Journées Abes 2013
Bilan, projets et perspectives
Marlène Delhaye
Gaël Revelin
Les journées de l’Abes 2013 se sont déroulées les 14 et 15 mai dans un Corum comble, malgré l’annonce – tardive, il est vrai – de leur retransmission en direct sur CanalC2 1. Cette forte participation traduisait une attente légitime de la part des membres du réseau, au moment où l’Abes leur demandait notamment leur avis sur le projet de SGBM, placé au cœur des débats, avec plusieurs interventions dédiées.
Carl Grant, directeur des services d’information à l’université Norman (Oklahoma, USA), auparavant en poste chez ExLibris, en était le témoin privilégié. Son expérience et sa vision des enjeux 2 ont permis de mettre en perspective le dossier SGBM au prisme des défis actuels ou à venir.
« Ses sanglots longs n’y pourront rien changer »
Raymond Bérard, qui n’était pas seulement venu nous dire qu’il s’en allait (prendre la direction de l’Inist), a rappelé les évolutions marquantes et le travail réalisé par les équipes de l’Abes au cours des sept dernières années, bien loin du raccourci rapide opéré par la presse lors de la publication du rapport sur les agences.
Il a ainsi évoqué la prise d’autonomie technique vis-à-vis des outils propriétaires d’OCLC (grâce à des développements locaux), l’ouverture des données (licence Etalab sur toutes les notices produites par le réseau), l’internationalisation des activités de l’agence par la mise en place de contrats avec de nombreux partenaires (Google Scholar dès 2006, puis WorldCat, DART-Europe, CERN, bientôt ICCU, RERO, DARIA, JISC...). Raymond Bérard a également souligné l’ouverture de l’agence à la recherche par l’intégration d’agents à des équipes et des projets de recherche (comme Qualinca ou IdRef), ou par le travail en cours sur l’articulation entre IdRef et ORCID, ainsi que sur VIAF, qui pourrait déboucher sur des échanges de données. L’expertise acquise par les équipes de l’agence en matière de gestion de métadonnées se voit également reconnue par l’implémentation d’IdRef dans le projet de référentiel national des chercheurs en cours dans le cadre de BSN 3. Enfin, l’importance grandissante de l’acquisition de ressources électroniques dans les activités de l’Abes, avec le portage de groupements de commandes et les négociations à venir dans le cadre d’Istex, ainsi que le travail accompli sur les thèses (gestion de bout en bout de la chaîne de traitement, adoption de STEP par la Conférence des grandes écoles) complètent les atouts qui font de l’Abes un acteur désormais incontournable de l’IST.
Cette période marquante pour l’évolution de l’agence n’a cependant pas toujours été un conte de fées : Raymond Bérard différencie les échecs – la tentative malheureuse de signalement des ressources électroniques que fut le portail Sudoc, l’impossible modernisation du PEB, l’introduction de l’outil Collection Analysis d’OCLC dans les BU françaises – des regrets qu’il a à formuler concernant les applications qui n’ont pas rencontré le succès escompté (Numes, Signets des universités), ou le chantier de l’implémentation de RDA en France, qui risque de faire du surplace faute d’un échéancier précis.
Plusieurs gros chantiers figurent dans la feuille de route de l’Abes pour les années à venir (signalement de la documentation électronique, système de gestion mutualisé, hub de métadonnées), qui impliquent un renouvellement des relations de l’agence avec ses différents partenaires de l’enseignement supérieur, le consortium Couperin, le CCSD et l’Inist travaillant sur des périmètres proches.
Parmi les nouveautés de la « maison Abes » présentées cette année, Colodus 3 va permettre la gestion des exemplaires dans le Sudoc et sera disponible pour l’ensemble du réseau en septembre 2013.
SGBM, KB et autres DT…
L’objectif du projet de SGBM 4 est de travailler avec un outil plus simple, pour signaler les ressources électroniques, mais également permettre une évolution du Sudoc en remplaçant CBS.
Les présentations de GOKb et KB+, en lien avec l’étude Pléiade sur le Discovery Tool, ont permis de mieux appréhender les projets de constitution de bases de connaissances libres et ouvertes dont pourrait s’inspirer une base de connaissance nationale. GOKb promeut l’ouverture des données pour permettre leur exploitation et la collaboration entre les acteurs de la chaîne de traitement. L’objectif est de constituer un entrepôt de données accessibles librement.
Knowledge Base+ a été lancé par JISC Collections à l’automne 2012 pour aider les bibliothèques à mieux gérer leurs ressources électroniques avec des données bibliographiques, des informations d’abonnement et des informations sur les licences.
Comme l’explique Liam Earney, les deux projets se complètent : GOKb fonctionnera au niveau international et contiendra les données sur les éditeurs, leurs bouquets ainsi que les licences, quand KB+ interviendra au niveau consortial pour les informations sur les licences nationales.
Numérisations en débat
Le débat sur les politiques de numérisation, accueillant des représentants d’institutions européennes (de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne, et de la Bibliothèque royale du Danemark) a eu une résonance toute particulière avec l’intervention de Jacqueline Sanson, de la Bibliothèque nationale de France. Le récent partenariat de la BnF avec ProQuest pour la numérisation de 200 000 ouvrages du domaine public a en effet été vivement critiqué par une partie de la profession lors de son annonce début 2013, principalement en raison des dix années d’exclusivité octroyées au prestataire, durant lesquelles la diffusion des documents numérisés sera restreinte (5 % seront disponibles sur Gallica, et la totalité uniquement depuis les terminaux des salles de lecture de la BnF 5). J. Sanson a reconnu que la BnF a privilégié une durée globale d’embargo moins longue, mais a entendu les demandes des universités : des solutions plus ouvertes en direction de l’enseignement supérieur seront recherchées lors de futurs accords de ce type.
L’accès ouvert en marche
Marin Dacos, du Cléo, a insisté sur l’idée que les professionnels doivent être des acteurs, et ne plus subir. Que ce soit sur la question des identifiants des chercheurs d’abord : il rappelle l’hégémonie de CrossRef avec les DOI, passage obligé désormais des acteurs privés et publics pour l’identification de leur production scientifique numérique, et remarque l’absence d’initiative publique, alors que des projets existent : IdRef (développé par l’Abes) ou ISNI (porté par l’ISO). Ces projets sont centrés sur le document, contrairement à ORCID 6, qui place l’auteur, le chercheur, au centre de l’écosystème. Marin Dacos s’interroge : faut-il résister, ou construire nos propres infrastructures ? Sa réponse est qu’il faut aller plus loin, en s’appropriant les projets existants pour mieux les exploiter : en enrichissant ORCID avec nos propres logiques, par exemple. En se positionnant comme source de données, on cesse d’être client, et on conserve la maîtrise des données.
C’est la même idée qui prévaut dans l’offre d’Open Access Freemium : il faut cesser d’enfermer l’information dans les silos que les bibliothécaires ont naturellement tendance à créer, et la libérer pour ne plus être des consommateurs passifs face à des sociétés commerciales.
D’autant plus que l’on constate que, contrairement à ce qui est fréquemment avancé, les SHS sont au cœur d’une demande sociale extrêmement forte (10 millions de visites par mois sur Cairn, Erudit, Persée, Revues.org). Aujourd’hui, 94 % des articles disponibles sur Revues.org sont en open access. L’accès ouvert à la littérature scientifique est un véritable enjeu de société, qui nécessite des moyens (les coûts de plateforme ont remplacé les coûts d’impression) : il faut trouver des modèles économiques équitables, qui respectent les auteurs et les lecteurs.
OpenEdition a plusieurs chantiers à mener à bien : le lancement de l’offre Freemium pour les livres électroniques (OpenEdition Books) en juin, la suite du projet de mise en ligne des 15 000 livres financée par Equipex, de développement des outils de fouille de texte par sa branche de recherche et développement OpenEdition Lab. Cette effervescence autour de l’accès ouvert montre bien que c’est un réel enjeu, dont les prochaines étapes, pour Marin Dacos, vont se jouer au niveau national (BSN) et international (DARIAH-EU) : c’est là qu’il faudra de plus en plus s’impliquer.
En conclusion, Raymond Bérard a souligné la richesse des interventions et des échanges de ces journées qui ont certainement aidé à l’appropriation de tous les dossiers ouverts. Remerciant encore une fois avec émotion ses équipes – et promettant que le traiteur ne ferait pas faux bond la prochaine fois –, il nous a donné rendez-vous pour les treizièmes journées de l’Abes, les 20 et 21 mai 2014. •