Évaluer la bibliothèque
Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2012, 186 p., 24 cm
Collection « Bibliothèques »
ISBN 978-2-7654-1373-8 : 35 €
Les manuels d’évaluation foisonnent, et on pourrait s’étonner a priori de voir paraître cet assez mince ouvrage (moins de 200 pages) sur un sujet aussi général que l’évaluation d’une bibliothèque. Les auteurs qui ont dirigé cet ouvrage collectif ne sont certes pas les premiers venus, et ont démontré leur expertise dans ce domaine, à la fois sur le terrain et dans les travaux de l’Afnor notamment. Mais quel nouveau regard pouvaient-ils apporter ?
Enjeux de l’évaluation
Il est toujours risqué de se laisser aller à sa première réaction, et la lecture de ce volume révèle son lot de bonnes surprises. En effet, il évite sous ce format de fournir un catalogue d’outils et de procédures, mais questionne la démarche même d’évaluation en la resituant dans ses enjeux profonds, comme en en démontrant l’intérêt et les limites. Tous les contributeurs s’accordent à pointer le caractère incomplet, voire indécis des indicateurs, et les difficultés rencontrées dès qu’on aborde une dimension majeure de l’évaluation : la comparaison.
Maya Bacache-Beauvallet et Pierre Carbone ouvrent le feu en replaçant le développement des politiques d’évaluation, l’une dans le paysage économique des politiques publiques, l’autre en s’attachant à montrer l’émergence de cette préoccupation dans les administrations nationales intéressant les bibliothèques. Maya Bacache-Beauvallet, en particulier, en quelques pages incisives, procède à une critique en règle des méthodes d’évaluation des politiques publiques, pointe la pierre d’achoppement que représente l’évaluation individuelle des performances, et souligne qu’au fond l’évaluation des politiques publiques « signe la crise de confiance en l’État en ses agents ». Pierre Carbone, quant à lui, brosse le paysage des multiples dispositifs nationaux d’évaluation, et relève le trop fréquent retard dans la définition des indicateurs au regard de la rapide évolution des pratiques, collections, services des bibliothèques.
En fin de volume, Pierre-Yves Renard et Roswitta Poll reprennent ces réflexions de fond, le premier en soulignant le fait que, face à la difficulté de construire des indicateurs pertinents et d’en contrôler la variabilité, on s’oriente de plus en plus vers des indicateurs d’une grande complexité ; et la seconde procède, avec une grande rigueur terminologique, à la critique des mesures d’impact économique et social des bibliothèques.
Mises en œuvre de la démarche évaluative
Ces textes rigoureux et clairs encadrent des contributions différentes, axées sur quelques points spécifiques et critiques en matière d’évaluation, et sur une expérience globale de démarche évaluative conduite sur l’ensemble d’un canton suisse, le Valais.
Christophe Evans évoque les enquêtes de public. Son tableau rapide ne dispensera pas de se plonger dans d’autres ouvrages plus complets 1, mais il souligne ici la distinction à opérer entre la position de l’enquêteur (qui se situe aux côtés des publics) et celle de l’évaluateur (nécessairement en retrait et à distance).
Luc Dandin et Sophie Mazens brossent les grandes lignes de l’évaluation des collections, en veillant à y inclure les collections électroniques (malgré les évidentes lacunes des outils disponibles), en apportant un regard intéressant sur le codage rétrospectif de niveau dans la collection existante. On aimerait en savoir plus, comme on aurait aimé connaître la source des tableaux de suivi montrés en annexe.
Nadine Delcarmine, partant de l’expérience du SICD de Grenoble 2, démonte la mise en œuvre de tableaux de bord dans un établissement, en ses multiples dimensions tant contextuelles que managériales. Elle insiste sur la nécessité d’outils adéquats (en particulier des bases intermédiaires de collectes de données non issues du SIGB, une base réplique de ce même SIGB et un outil logiciel d’exploitation et d’édition des données), et aborde, au travers de l’évaluation documentaire de l’ensemble de l’université, les difficultés à cerner précisément le public cible de référence (campus ? université seule ? universités du site grenoblois ?).
Une place particulière doit être donnée au long chapitre de Valérie Bressoud Guérin, qui retrace les étapes de la certification qualité des bibliothèques du canton suisse du Valais. Une démarche pragmatique, associant des établissements de tailles très différentes, et finalement couronnée de succès avec en 2011 le trophée BiblioValais Excellence décerné à 50 bibliothèques sur les 65 du Valais. Les motivations profondes de cette démarche rejoignent les motivations générales de l’évaluation des politiques publiques : fournir une assise garantissant aux subventionneurs la qualité du service qu’ils consentent à financer. L’auteur liste les multiples facettes de cette démarche qualité, abordant tour à tour les questions de pilotage, de coordination du réseau, de fonctions de direction de bibliothèque, de logistique, de développement et traitement des collections, de services au public, et enfin de médiation culturelle. Elle montre bien les difficultés d’appréhension de certaines exigences, les nécessaires adaptations de la formation des acteurs (sur laquelle elle insiste justement), la progressivité des phases tests. On ressort admiratif du récit de cette aventure collective.
Voilà en somme un ouvrage stimulant qui est tout sauf un manuel, mais plutôt la source d’une réflexion approfondie sur le contexte, l’intérêt, les limites et l’ambition d’une démarche d’évaluation aujourd’hui. Un voyage salutaire en somme, qui ne saurait dispenser ceux qui veulent se lancer dans l’aventure de s’entourer de manuels plus précis et complets.