Dans le labyrinthe

Évaluer l’information sur internet

par Bertrand Calenge

Alexandre Serres

Caen, C&F éditions, 2012, 222 p., 21 cm
ISBN 978-2-915825-22-0 : 22 €

Les lecteurs du BBF connaissent déjà Alexandre Serres, qui avait écrit un article sur la même thématique dans un dossier consacré à la formation des usagers  1. Maître de conférences à l’Urfist de Rennes, il consacre ses travaux à la culture informationnelle, dans un contexte numérique notamment.

Les ouvrages consacrés à internet ne manquent pas, de qualité souvent inégale. Disons-le tout de suite : le présent opus se distingue particulièrement par sa rigueur, sa qualité d’écriture, sa force de conviction et ses vertus pédagogiques. Nous connaissons tous les analyses hâtives sur l’« infobésité », sur les bienfaits ou méfaits de Wikipedia, et autres poncifs. Alexandre Serres reprend les questions à la base, en se focalisant non sur internet, mais sur cette question bien plus centrale de l’évaluation de l’information (en environnement numérique ici).

En démontant les différentes composantes de cette évaluation, il construit son propos en cinq chapitres autonomes et pourtant bien articulés entre eux : les usages, les compétences, les comportements, les notions sur lesquelles s’articule la problématique de l’évaluation de l’information, et enfin les pratiques informationnelles. L’ensemble de ces composantes est analysé prioritairement du point de vue des jeunes (de type lycéens et étudiants), population-cible de ce chercheur.

Le premier chapitre sur les usages d’internet est en fait le moins abouti, dans la mesure où il ne fait que reprendre quelques constats maintenant bien établis (par exemple pour les usages d’information traditionnels : baisse de la lecture de la presse. Ou pour internet : importance de sa fonction de socialisation, confiance limitée accordée à sa valeur informative, etc.). L’auteur insiste avec justesse sur les clivages existant dans les usages, et appelle à sortir d’une vision uniformisante de la jeunesse et de ses usages informationnels.

La question des compétences informationnelles des jeunes se révèle beaucoup plus riche. Alexandre Serres montre la singulière complexité de compétences où il est parfois difficile de distinguer les compétences informationnelles des compétences numériques, la maîtrise ressentie de ces dernières poussant les jeunes à surestimer systématiquement leurs compétences informationnelles, les compétences critiques d’évaluation des résultats de recherche restant le véritable point noir.

Bien que bref, le chapitre sur les comportements est particulièrement intéressant. Au travers d’enquêtes nombreuses – en particulier américaines –, A. Serres démonte la primauté supposée de Wikipedia, utilisée en fait massivement comme l’ont toujours été les encyclopédies : un point de départ, un mode de débroussaillage d’une question. Parallèlement, il pointe l’inquiétant divorce entre les étudiants (notamment des filières courtes ou des sciences et techniques) et leur faible référence aux bibliothèques : ceux qui utilisent les bibliothèques sont les moins familiers avec le couple Google/Wikipedia.

Avec les notions à l’œuvre dans l’évaluation de l’information, Alexandre Serres aborde la partie la plus conceptuelle de son propos. Avec une grande rigueur, il délimite quatre champs sémantiques pour aborder cette problématique : les notions de crédibilité, d’autorité, de qualité informationnelle et de pertinence. Il en montre l’éminente complexité, et la non moins importante richesse. Un chapitre à relire plusieurs fois…

Le dernier chapitre, qui porte sur les pratiques informationnelles, donne l’occasion d’étudier de près de nombreux travaux conduits dans le domaine. Il montre qu’il est difficile de construire des modèles théoriques, et essaye de repérer quelques axes structurants pour conduire de véritables observations des pratiques, en relevant l’importance du sujet utilisateur dans cette approche.

Alexandre Serres conclut sur l’importance essentielle de l’enjeu, en citant Umberto Eco : « À l’avenir, l’éducation aura pour but d’apprendre l’art du filtrage. » Une phrase qui, à l’en croire, résume magistralement les défis à venir.

Un ouvrage passionnant et stimulant donc, que tout professionnel de l’information se doit de lire, et en particulier ceux qui s’intéressent à la médiation info-documentaire et à la formation des usagers.