La démocratisation culturelle au fil de l’histoire contemporaine
Anne-Marie Bertrand
Le Comité d’histoire du ministère de la Culture fait de la politique ! Ou, plus exactement, donne toute sa place à l’étude du fil rouge de l’action du ministère depuis 50 ans : la démocratisation culturelle, projet politique s’il en est.
Sous la houlette de Pierre Moulinier et Jean-Claude Pompougnac, le Comité d’histoire a, en effet, lancé au printemps dernier un appel à contributions auprès des chercheurs (jeunes ou moins jeunes) pour éclairer cette très importante question, toujours en débat mais aujourd’hui davantage sous la forme de la déploration (la rhétorique de l’échec de la démocratisation) que de l’ardente obligation. À la suite des nombreuses réponses reçues (une trentaine), un séminaire a été organisé, en lien avec le centre d’histoire de Sciences Po, et tient des séances mensuelles 1.
Si le tropisme de ces travaux est historique (comme le soulignent à la fois le titre du séminaire et l’identité de ses promoteurs), il l’est sous forme interrogative – « Une histoire de la démocratisation culturelle et de ses mises en œuvre politiques est-elle possible ? », s’interroge le Comité d’histoire – et hybride puisqu’il associe chercheurs et grands témoins. Ainsi, la première séance a vu intervenir aussi bien Philippe Poirrier, Emmanuelle Chapin, Isabelle Mathieu et Marion Denizot que Jacques Sallois. Dans la deuxième séance, Bernard Faivre d’Arcier joua ce rôle de grand témoin, Élisabeth Caillet dans la troisième séance, etc. Les travaux des uns sont ainsi éclairés par les témoignages des autres, d’ailleurs acteurs autant que témoins 2.
Chaque séance est présidée par un chercheur (Philippe Poirrier, Olivier Donnat, Emmanuel Wallon…) et a un caractère thématique, plus ou moins précis ou général : les pratiques culturelles, la médiation culturelle, les institutions, les territoires… Il s’agit à la fois de rendre compte de travaux en cours ou fraîchement achevés et de les confronter à des expériences, des témoignages ou d’autres travaux (par exemple, ceux concernant l’éducation populaire), en tentant de dépasser les frontières des disciplines académiques. Lors de la première séance, Jacques Sallois avait souligné, de son côté, « le flou des références idéologiques », soulignant que l’on pourrait parler aussi bien « d’irrigation » (comme résultat de l’offre) que de démocratisation.
En guise d’exemple, prenons la séance du 12 novembre dernier, « Les études sur les pratiques culturelles et leur réception ». On le sait, l’enquête nationale « Pratiques culturelles des Français » (PCF), dont la première édition eut lieu en 1973, est souvent perçue comme l’évaluation des politiques de démocratisation. Alors que, comme le souligne fréquemment Olivier Donnat, il s’agit de mesurer l’évolution des pratiques – évolution liée à l’offre des établissements culturels publics, certes, mais aussi (surtout ?) à l’évolution de l’offre commerciale (internet, télévision, cinéma, musique…) et des usages qu’elle induit ou encourage.
Olivier Donnat, introduisant la séance, rappelait donc que les enquêtes PCF englobent les formes les plus larges de la culture, pas seulement les plus consacrées, donc « excèdent largement le champ du ministère de la Culture », et sont, de ce fait, « des éléments apportés sur le contexte dans lequel s’inscrit l’action culturelle et non pas des éléments sur cette action et son impact ». Philippe Coulangeon (CNRS – Sciences Po) évoquait, lui, « la fonction barométrique » de ces enquêtes et s’interrogeait sur les disparités mesurées : sociales et/ou territoriales ? Dans le premier cas, les écarts ne se resserrent pas, dans le second si (« le privilège parisien s’est estompé », dit-il).
Les débats (vifs) ont porté sur les limites de ces travaux quantitatifs : ils ne disent rien de la « désirabilité » des pratiques (P. Coulangeon), celles qui sont encouragées par les parents par exemple, ni de la hiérarchisation des pratiques, ni des « manières de pratiquer ou de s’approprier les objets culturels ». Il y a aussi, s’indigne Philippe Coulangeon, un « usage scélérat » des chiffres (ceux sur lesquels s’appuie la politique libérale du New Management Public). Bernard Faivre d’Arcier, regrettait, pour sa part, que ces enquêtes apportent des éléments sur « l’emploi du temps culturel » des Français, mais rien sur leur satisfaction ou sur les contenus auxquels ils ont accès.
Bref, concluait Olivier Donnat, il faut maintenant lancer des enquêtes qualitatives, qui puissent combler ces lacunes et sortir du déclaratif, dans lequel objectivité et mise en scène de soi se disputent le premier rôle.
Les résumés des interventions sont en ligne, une publication est imaginée…
À suivre, donc. •