Grandeur de la mutualisation

L’exemple rochelais

Olivier Caudron

Trois ans après un précédent article dans le BBF, Olivier Caudron, directeur du SCD de l’université de La Rochelle, présente les nouveaux éléments de la mise en œuvre de la LRU : diminution des ressources, augmentation des charges. Outre une opération de désabonnement à des périodiques, la marge de manœuvre peut venir d’une amélioration de la mutualisation, avec d’autres services universitaires ou avec la médiathèque de l’agglomération.

Three years on from his previous article on the topic for BBF, Olivier Caudron, director of the La Rochelle university library, discusses new aspects arising from the implementation of the LRU law: a reduction of resources and a rise in charges. The library has achieved some financial breathing room by cancelling periodical subscriptions and working to pool resources with other universities and with local public libraries.

Drei Jahre nach einem vorangehenden Artikel in BBF stellt Olivier Caudron, Leiter der gemeinsamen Bibliotheksdienste der Universität La Rochelle, die neuen Elemente der Umsetzung des Gesetzes LRU (Gesetz für die Freiheit und die Verantwortlichkeit der Universitäten) dar: Kürzung der Mittel, Zunahme der Aufgaben. Ausser einer Zeitschriftenabbestellungsaktion kann der Handlungsspielraum von einer Verbesserung der wechselseitigen Nutzung mit anderen universitären Diensten oder der Mediathek des Grossraums kommen.

Tres años después de precedente artículo en el BBF, Olivier Caudron, director del SCD de la universidad de La Rochelle, presenta los nuevos elementos de la ejecución de la LRU: disminución de los recursos, aumento de los costos. Además de una operación de desabono a periódicos, el margen de maniobra puede venir de una mejora de la mutualización, con otros servicios universitarios o con la mediateca de la aglomeración.

Ici même, il y a trois ans, sous le titre « La vraie révolution », nous laissions le lecteur impatient en situation d’attente : sur l’éventuel impact de « l’autonomie universitaire » sur la bibliothèque universitaire de La Rochelle, et sur l’arrivée de la révolution du livre numérique.

De l’ambition à la gestion

Après la période d’espoirs post-loi LRU, et en caricaturant quelque peu, on voit bien que l’époque est désormais davantage, dans les universités, à la gestion qu’à l’ambition. Peu fortunée à la base, l’université de La Rochelle, bien que pilotée avec prudence et rigueur, n’a pu dégager que des marges de manœuvre limitées, qui peuvent être rapidement préemptées par le coût des formations et l’enveloppe des heures complémentaires, ou par la pression revendicative sur le régime indemnitaire. La masse salariale est également très affectée par le poids de son augmentation mécanique due au glissement vieillesse technicité (GVT), ici très « positif ».

Si la dotation attribuée par l’établissement à sa bibliothèque n’a pas fluctué, ni dans un sens ni dans l’autre, en 2010 et 2011, et a continué d’additionner les anciennes dotation globale de fonctionnement (DGF) et dotation du contrat alors quadriennal, il n’en va plus de même en 2012. Le gel de 20 % du budget de fonctionnement hors « charges incompressibles » s’est transformé en cours d’année en diminution des crédits ouverts, actée à la seconde décision budgétaire modificative (DBM2), soit une baisse de plus de 100 000 € pour le budget du service commun de la documentation (SCD), désormais « rentré dans le rang » pour cause de défléchage budgétaire et traité comme les autres services et composantes. La lettre de cadrage budgétaire pour 2013 situe, pour chaque service, ce que l’on appelle désormais la subvention pour charges de service public au niveau de la DBM2 de 2012.

Si la BU parvient à boucler l’exercice 2012, en ayant cependant réduit sensiblement l’enveloppe d’acquisition de livres, c’est que le paiement anticipé, en 2011, de l’essentiel de la facture des abonnements papier et électroniques isolés a rendu moins douloureuse la baisse du budget en 2012. Mais la pratique du paiement anticipé étant désormais proscrite en application du rattachement des charges à l’exercice, la difficulté financière est reportée sur 2013. La BU a donc sollicité, dans le cadre de la procédure dite du dialogue de gestion, une « rallonge » au-delà du cadrage budgétaire annoncé : réponse à suivre…

Les ressources propres, souvent présentées comme un relais à développer face à la réduction des moyens d’origine publique, sont ici défaillantes : l’essentiel de ce type de recettes provient encore en 2012 de l’inscription à la BU, par le Groupe Sup de Co – La Rochelle, de la totalité de ses étudiants. Mais comme moins de 10 % de cet effectif vient effectivement, chaque année, se faire inscrire à la BU, cette école supérieure de commerce a réduit de 75 % son versement pour 2013. Quant aux redevances étudiantes issues des inscriptions à l’université, le pourcentage croissant de boursiers annule à peu près l’accroissement de recettes que l’on aurait pu attendre de la hausse de l’effectif étudiant ces dernières années et du montant du droit de bibliothèque augmentant d’1 € par an.

Moins de recettes, plus de charges : l’évolution du mode de rémunération des « tuteurs étudiants », de la bourse de stage au contrat à durée déterminée (CDD), si elle ne rapporte pas beaucoup plus à l’étudiant, est nettement plus coûteuse pour la bibliothèque. Quant à la demande des élus étudiants en faveur d’une ouverture de la BU le samedi après-midi, elle va être notamment étudiée du point de vue de son coût, pour une éventuelle mise en application expérimentale à la rentrée universitaire 2013-2014.

Par ailleurs, un complément de ressources précieux provient de la mise en place par l’université d’un Plan pluriannuel d’investissement (PPI), financé par un prélèvement annuel sur le fonds de réserve de l’établissement et qui est en passe de s’alimenter par le seul produit de la procédure d’amortissement mise en place depuis plusieurs années. Le PPI a d’ores et déjà permis de financer, sur deux années, 60 % de la réinformatisation de la BU, et le solde pour 2013 est demandé dans le cadre du même dispositif, ainsi que l’achat de rayonnages compacts pour le magasin des périodiques. Le PPI est toutefois, et bien évidemment, très sollicité, notamment pour les besoins du patrimoine immobilier de l’université et des réseaux informatiques. Les arbitrages seront rendus bientôt.

Confrontée donc à une baisse notable de son budget de fonctionnement (moins 20 % en 2013 par rapport au budget 2011), la BU a décidé de réduire d’un tiers l’enveloppe consacrée aux abonnements papier et électroniques isolés, ce qui a abouti à résilier pour l’année prochaine 40 % des titres. L’équipe a pour ainsi dire « positivé la contrainte financière » en faisant de cette opération de désherbage un bon travail de politique et de cohérence documentaires. Se déplaçant pour la première fois en groupe dans les UFR pour tâcher d’impliquer le plus possible d’enseignants (avec toutefois une réussite limitée sur ce point), les bibliothécaires ont pu notamment faire valoir le critère de dédoublonnage papier/numérique (supprimer la version papier lorsque la version électronique est disponible en totalité ou avec un embargo réduit), seuls les juristes continuant à souhaiter la présence matérielle des grandes revues juridiques. La nécessité de tenir l’objectif chiffré de réduction a permis d’aller au bout des discussions et de supprimer des titres qui en définitive n’intéressaient plus, ce dont personne n’avait songé à aviser la BU.

Quant au budget mobilisé par les ressources électroniques, qui pourrait représenter en 2013 pas moins de 60 % des acquisitions documentaires, il n’a pu être réduit qu’à la marge (suppression d’un bouquet de périodiques et d’un dictionnaire de langue), le dossier du cofinancement par la recherche n’avançant pas (seule une base de données est cofinancée) et le dédoublonnage des offres BU/CNRS étant complexe à traiter, d’autant que plusieurs groupements de commande sont toujours valides en 2013. On ne peut bien sûr que s’interroger sur la durabilité et la soutenabilité de l’évolution des coûts de la documentation numérique.

Si l’on considère maintenant les ressources humaines, il faut se réjouir que la BU ait conservé tous « ses » postes. La campagne d’emplois 2010 a permis de rehausser un poste de magasinier vacant en poste de bibliothécaire, donnant ainsi à la BU un bien utile sixième poste de catégorie A, ce qui a permis de renforcer l’encadrement et la structuration en services. En revanche, après cette « période faste », le vent financier ayant tourné, l’université n’a pu donner suite en 2011 à une demande de rehaussement d’un poste de bibliothécaire en poste de conservateur, pour ne pas alourdir la masse salariale. Quant au régime indemnitaire, les discussions entre présidence et représentants des personnels viennent d’aboutir, ce qui va permettre aux personnels de bibliothèque (magasiniers, BIBAS, bibliothécaires) un alignement de leurs primes sur les autres filières, et notamment sur la filière Administration de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur (AENES), généralement mieux dotée. Autre évolution à noter, l’alignement progressif et aujourd’hui abouti de l’organisation et du fonctionnement de la CPE-Bibliothèques sur les CPE-AENES et CPE-ITRF (commissions paritaires d’établissement).

On mesure donc que l’autonomie universitaire a pour l’instant peu modifié le destin de la bibliothèque universitaire de La Rochelle, ce qui est déjà en soi une satisfaction. Et aujourd’hui, le nouveau contexte budgétaire affecte ce service à l’instar des autres services, sans « sanctuarisation ». La réponse prochaine à la demande présentée par la BU de dépassement, à hauteur de 90 000 €, de la dotation allouée par le cadrage budgétaire, sera significative de la possibilité de faire valoir des besoins particuliers au milieu des contraintes financières de l’établissement. En attendant, la BU a fait montre d’un gros effort d’économie par son travail, en liaison avec les enseignants-chercheurs, de réduction du coût de l’enveloppe des abonnements de périodiques.

Réseau, partenariat et mutualisation

Pas plus qu’en 2009, les superstructures régionales ne jouent aujourd’hui un rôle d’appui à la fonction documentaire. L’université numérique en région (UNR) Poitou-Charentes-Limousin cessera sans doute en 2013 de financer les deux abonnements électroniques mutualisés, sa vocation étant plutôt de soutenir des projets innovants que récurrents. Quant au pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) Limousin-Poitou-Charentes, il ne s’est pas encore intéressé à la documentation, malgré les efforts des responsables des SCD. Pourtant, l’avenir documentaire ne peut être que dans le travail en réseau, la coopération, la mutualisation, à différentes échelles, du local au national et au-delà.

Et dans tout cela, où en est la révolution du livre numérique que nous pressentions en 2009 ? Elle a pris du retard si l’on peut dire, en tout cas à La Rochelle où les moyens disponibles n’ont pas permis de multiplier les bibliothèques numériques. Un « décollage » de l’usage s’est toutefois produit en 2011, avec 4 500 téléchargements ou lectures en ligne, ce qui a permis au nombre global de prêts de la BU de ne pas marquer une nouvelle baisse annuelle. Cette utilisation du livre électronique a ainsi représenté l’an dernier plus de 8 % des prêts.

Il est vrai que le nombre de prêts était orienté à la baisse depuis 2007. Or, si l’effectif inscrit à la BU continue de se réduire, avec seulement 44 % de taux de pénétration de la population étudiante dans l’année universitaire 2011-2012 (chiffre qui cache une grande disparité, de 16 % à l’IUT à 68 % à l’UFR Lettres, Langues, Arts et Sciences humaines), le nombre annuel de prêts remonte depuis septembre 2011 du fait du relèvement du nombre de documents pouvant être empruntés simultanément. L’emprunt de DVD, désormais facilité, et la mise en place à compter de janvier 2013 du prêt des périodiques (sauf ceux de droit, à la demande des enseignants de cette UFR) devraient encore accroître cette remontée. Au total, moins d’emprunteurs, mais empruntant plus.

L’accord en vigueur depuis la rentrée de septembre 2012 avec la médiathèque d’agglomération Michel-Crépeau, devrait amener plus d’étudiants à la BU – c’est du moins l’un des paris. En effet, l’étudiant inscrit à la BU bénéficie désormais de l’inscription gratuite dans la médiathèque (toujours labellisée bibliothèque municipale classée – BMC –, et bibliothèque municipale à vocation régionale – BMVR) relevant de la communauté d’agglomération de La Rochelle, et peut donc aussi emprunter dans les bibliothèques municipales de ce territoire ; et réciproquement pour l’inscription gratuite à la BU des personnes titulaires de la carte de la médiathèque.

Mitoyennes de par la volonté de l’ancien maire de La Rochelle, Michel Crépeau, communiquant par un passage intérieur, les deux bibliothèques ont ainsi franchi une étape importante en mutualisant leurs publics, grâce aux votes – unanimes – du conseil d’administration de l’université et du conseil communautaire – et ce, pour une faible perte en recettes au regard des bienfaits de l’accord. Désormais, l’usager accède à un vaste ensemble documentaire, pour l’étude, la culture, le loisir. Les politiques documentaires vont, progressivement, pouvoir se penser dans la concertation et la complémentarité. Déjà, depuis un an, suite à l’intégration dans l’université de La Rochelle du centre rochelais de l’IUFM Poitou-Charentes (école interne de l’université de Poitiers), c’est la médiathèque Michel-Crépeau qui, ayant répondu favorablement à la sollicitation de la BU, assume la dimension Littérature Jeunesse et répond ainsi aux besoins documentaires des enseignants et des étudiants du master rochelais Enseignement et formation, spécialité Professeur des écoles.

Aujourd’hui, c’est la politique d’abonnement aux périodiques pour 2013 qui profite de cet accord : dans le cadre de la réduction de l’enveloppe financière évoquée plus haut, un certain nombre de titres davantage « grand public » présents (et empruntables) à la médiathèque ont été résiliés par la BU. Quand les OPAC respectifs des deux établissements auront été bien stabilisés suite aux réinformatisations respectives, c’est une interrogation simultanée sur les deux catalogues qui pourra être mise en place. Sans parler d’autres actions communes déjà mises en œuvre, par exemple en matière d’action culturelle. Au total, l’accord institué entre les deux bibliothèques est un point de départ qui ouvre tout un champ des possibles, et dans un cadre simple puisque la configuration des locaux fait que chaque établissement reste chez soi, ce qui évite tout risque de fonctionnement complexe. C’est donc bien là qu’il faut chercher l’élément le plus novateur et le plus prometteur – et le plus stimulant pour les acteurs – dans la destinée présente de la bibliothèque universitaire de La Rochelle.

Mais cette ouverture au partenariat, voire plus, existe aussi au sein de l’institution universitaire. L’implantation face à la BU, grâce au financement du Contrat de projet État-Région (CPER), de la Maison de l’étudiant et de la Maison de la réussite et de l’insertion professionnelle, qui ouvriront en 2013, va permettre le regroupement autour d’une même place de plusieurs services qui ailleurs pourraient avoir vocation à être regroupés dans une entité du type Learning center, un vrai pôle multiservice et de transversalité. L’action culturelle menée par la BU en liaison étroite avec l’Espace Culture de l’université ne pourra que gagner à cette proximité enrichie par des locaux modernes et adaptés. Les liens avec la Maison de la réussite autour des formations transversales, notamment de la formation méthodologique de l’étudiant, et autour du centre de ­ressources documentaires de ce service commun, ne pourront que se resserrer.

Oui, il y a une grandeur dans la mutualisation – et même, par les temps qui courent, un riche intérêt. •

Novembre 2012