Caro sindaco, parliamo biblioteche

par Livia Rapatel

Antonella Agnoli

Milan, Editrice Bibliografica, 2011, 140 p.
Coll. « Conoscere la biblioteca, 5 »
ISBN 978-88-7075-709-5 : 12 €

Après le succès rencontré en 2009 avec Le piazze del sapere, biblioteche e libertà 1, Antonella Agnoli, bibliothécaire convaincue de la place centrale de la bibliothèque au cœur de la cité, reprend sa plume militante et publie Caro sindaco, parliamo biblioteche [Cher maire, parlons des bibliothèques]. Ce petit opus est une longue lettre qu’elle adresse aux maires pour leur expliquer pourquoi il est absolument nécessaire et possible de continuer à créer des bibliothèques, et cela malgré Google, les réseaux sociaux et la crise économique.

Pourquoi les bibliothèques sont (encore) nécessaires

La première partie de l’ouvrage recense dans un contexte de développement permanent des technologies numériques et de réduction des dépenses publiques les atouts de la bibliothèque physique face à ses avatars protéiformes du web. L’auteur oppose ainsi à l’internet, qualifié de « bibliothèque globale », la certitude et la stabilité des collections. Elle rappelle aux maires le besoin de disposer de lieux où se rendre pour être guidé et formé afin de pouvoir s’orienter dans le grand maelstrom de la société de l’information et compare la longévité des bibliothèques institutionnelles à l’extrême vulnérabilité des réseaux sociaux, dont certains comme Wikipédia commencent à s’essouffler en raison d’une baisse du nombre des contributeurs, tandis que d’autres subissent la censure de certains états ou sont victimes de la manipulation de leaders d’opinion. Elle vante les mérites d’une « bibliothèque vivante », indispensable terreau démocratique, un des rares lieux de la cité à permettre un véritable « melting-pot » de populations où il est possible de côtoyer des personnes ayant des appartenances religieuses, politiques ou sociales différentes et de faire de vraies rencontres. Elle rappelle aussi le rôle social qu’exerce la bibliothèque en période de crise et de paupérisation accrue de la population, elle est le lieu neutre, accueillant et gratuit qui permet de maintenir le lien social et facilite la réinsertion professionnelle.

Comment permettre leur développement

Après avoir exposé les arguments justifiant l’absolue nécessité de poursuivre le maintien, le développement et même la création de nouvelles bibliothèques, Antonella Agnoli propose dans la seconde partie de l’ouvrage des solutions pour continuer à construire, à réaménager des bâtiments et à les faire fonctionner, et cela malgré la rigueur et la baisse des dépenses des collectivités locales. Elle exhorte ainsi les élus à reconsidérer les dépenses dévolues à la culture et au tourisme et les interroge sur les centaines de milliers d’euros dépensés chaque année pour organiser le festival de l’aubergine, le concours de miss bikini ou accueillir des shows télévisés. Elle les incite à faire appel aux sponsors privés comme ce fut le cas à Fano (64 000 habitants) où la bibliothèque a été financée à hauteur de 6 millions d’euros par l’entrepreneur maritime Carlo Montanari ; mais aussi à multiplier les initiatives permettant de diversifier les financements et elle cite des exemples, à Pesaro une « liste de mariage » a été établie en partenariat avec les librairies de la ville pour inviter les habitants à contribuer à la constitution du fonds de la bibliothèque, avec un slogan très accrocheur : « Offre un livre et gagne une bibliothèque. » D’autres possibilités sont évoquées : l’organisation de marchés pour revendre les livres sortis des collections mais aussi l’utilisation des lieux, en particulier les bâtiments historiques, pour célébrer des mariages, organiser des anniversaires et pourquoi pas tourner des spots publicitaires ! La bibliothèque, pour Antonella Agnoli, doit être conçue comme une plateforme de services, une place publique close permettant à la population d’accéder à l’information, à la recherche, un lieu où l’on vient se divertir mais aussi se faire délivrer une attestation, s’inscrire à un cours et même se marier…

Une solution prônée dans l’ouvrage a fait débat et suscité de nombreuses réactions sur la liste de discussion des bibliothécaires italiens AIB-CUR (http://www.aib.it/aib/aibcur/aibcur.htm3) : la proposition de recourir largement au bénévolat pour assurer le fonctionnement des établissements  2. Cette nécessité présentée comme un bon moyen de continuer à assurer et à développer les services, alors que les équipes vieillissent et que les recrutements se raréfient, a été perçue, dans un pays en proie à une sévère crise économique et où les bibliothécaires jouissent d’une faible reconnaissance sociale, comme une réelle mise en péril de l’avenir de la profession. Mais beaucoup reconnaissent aussi qu’il s’agit d’une ressource précieuse et qu’il convient de réfléchir à la manière d’associer les citoyens volontaires et motivés aux projets de la bibliothèque.

Cette virulente interpellation, adressée par Antonella Agnoli aux élus, a le mérite de poser la question du devenir des bibliothèques au cœur du débat public et de bousculer les canons de la profession en proposant des solutions radicales et peu orthodoxes pour assurer le financement et le développement des services des piazze del sapere.