Les bibliothécaires face aux problématiques de médiation : une nécessité pour valoriser les ressources numériques

Yves Desrichard

Même s’il s’agit d’une publicité gratuite, on aurait mauvaise grâce à ne pas indiquer que c’est à l’initiative de la société Cedrom-SNI que s’est tenue, le 20 mars 2012, une après-midi de réflexion autour du thème : « Les bibliothécaires face aux problématiques de médiation : une nécessité pour valoriser les documents numériques ». Et, en effet, à l’heure où les ressources numériques abondent, leurs usages ne sont pas toujours probants, en bibliothèque universitaire par exemple. C’est donc qu’il faut mettre en relation publics et ressources : désormais, on appelle cela de la « médiation ».

Raymond Descout, directeur général de la société, rappela en préambule que, si les bibliothécaires sont, avec le numérique, « à la croisée des chemins », il ne tient qu’à eux qu’ils prennent le bon (chemin), car les lecteurs, les usagers, ont toujours besoin qu’on les guide, qu’on les conseille, et qu’un bibliothécaire a toujours été un « communicateur » – néologisme qu’on pouvait diversement apprécier.

Benoît Epron, directeur de la recherche à l’Enssib, s’appliqua ensuite à cerner ces nouveaux enjeux de la médiation. Pour lui, la bibliothèque n’est plus une affaire de ressources ou, plus exactement, le « simple » fait de proposer des ressources n’est plus perçu par l’usager comme suffisant, légitimant. La bibliothèque n’est qu’un fournisseur parmi d’autres, un point d’accès en concurrence, aux ressources numériques, qui restent d’ailleurs sous-utilisées – mais pas forcément moins que les collections physiques –, notamment parce que leur consultation est loin d’être aussi aisée que pour les documents physiques, désormais en libre accès généralisé. Qui plus est, avec la PDA (« Patron Driven Acquisition »), ce sont les usagers qui, par leurs clics, décident automatiquement si un document doit être ou non acquis par leur (le pronom n’a jamais paru aussi approprié) bibliothèque. Alors, que faire ? « Don’t panic. » De toute façon, ce que les usagers attendent de la bibliothèque, désormais, c’est une expertise, des services, pour leur permettre d’« optimiser la trouvabilité » – sic : on en conclut que la « sérendipité », si à la mode, et qui permettait de trouver ce qu’on ne cherchait pas, donc, d’une certaine manière, de perdre son temps, ne l’était peut-être plus tant que cela, dans une époque à l’efficacité pressée ?

Les bibliothécaires sont « du côté humain », et il y aura, toujours, une valeur ajoutée « humaine » à la compréhension d’une question. Benoît Epron eut le mérite – le grand mérite – de rappeler que tout était lié à la compétence des personnels (et donc à leur formation), et celui, qui laissa plus perplexe, d’indiquer que, « au-delà des services, [c’est] leur perception par l’usager [qui] est primordiale ». Cela revient-il à dire que le service peut être médiocre, pourvu que l’emballage soit séduisant ? Dans un sens, oui, puisqu’il s’agit dorénavant, dans le classique dilemme offre/demande, de choisir son camp, et, résolument, de créer des besoins et la façon de les vendre, « pour que l’offre devienne un besoin ».

Françoise Moreau, de la bibliothèque municipale de Lyon, qui présenta l’expertise, longue et innovante, de sa bibliothèque dans le domaine de la médiation numérique, approuva Benoît Epron en insistant sur le fait que « la médiation doit forcément passer par l’humain », et en indiquant que, à Lyon, les ressources numériques sont essentiellement des ressources de presse et d’autoformation, même si l’établissement conserve des ressources spécialisées, professionnelles, plutôt à destination d’un public d’étudiants qui n’est pas forcément son public naturel. « On met en avant plus des services que des collections », ajouta-t-elle, « collant » aux propos de Benoît Epron, avant de regretter, chez certains fournisseurs, l’absence de statistiques de consultation, qui ne permet pas de se rendre compte de l’intérêt, ou non, de conserver telle ou telle ressource que quand les plaintes se multiplient en cas d’impossibilité d’accès…

Stéphanie Gasnot, de Sciences-Po, présenta ensuite l’offre (plutôt que la médiation) numérique de l’établissement, que l’on sait très en avance sur ces sujets. Bases de données, e-books, périodiques électroniques sont proposés aux étudiants, auxquels « il manque des manuels numériques [en français] pour être heureux », même si « le e-book ne va pas toujours remplacer l’exemplaire imprimé ». De médiation, il fut peu question : à public aguerri, désintermédiation acquise ? Nous serions lors dans le contre-exemple d’une bibliothèque riche en ressources, mais « pauvre » en services, ou plutôt dont les usagers n’ont pas le besoin, la nécessité. Et Stéphanie Gasnot d’insister, là encore à rebours (un peu), sur la nécessaire élaboration d’une politique documentaire, qui implique de faire des choix.

Après deux établissements de prestige, la présentation conclusive, par Véronique Poyant, de l’action de la (petite) bibliothèque du Chesnay fut celle qui insista le plus sur le thème de l’après-midi – la médiation. La bibliothèque ne comporte ni CD, ni DVD, par choix politique, mais des services et des ressources en ligne importantes, depuis juin 2010. Ces ressources sont accessibles sur place, mais aussi à distance, via un portail, « ça va de soi ». « Penser portail, après on pense ressources », résuma Véronique Poyant. Puis elle présenta la politique, vigoureuse, de mise en valeur de ces ressources au sein de sa bibliothèque. Ainsi, chaque membre du personnel est le « parrain » d’une ressource, qu’il est plus particulièrement chargé de suivre et de valoriser auprès des usagers. « Formation, implication, médiation » sont les maîtres mots. L’équipe est fortement motivée, et dispose de compétences spécifiques en la matière, qui sont utilisées via une communication régulière, diversifiée, sur les ressources et leur usage, qu’il faut privilégier au maximum, notamment à distance, là où il est plus difficile d’atteindre l’utilisateur. Le personnel est dans un véritable « bain numérique »… et ça marche ! Si l’on ajoute que le bouche à oreille n’est pas négligeable, là encore, en matière de médiation, on aura compris que, sans l’humain, le numérique n’a pas de salut. Pour l’inverse, rien n’est moins certain. •