Un printemps à la BPI

Du mode « concurrence » au mode « inclusif »

Hélène Deleuze

Entre avril et juin environ, les espaces de lecture de la Bibliothèque publique d’information (BPI) sont régulièrement « envahis » par un public de lycéens qui viennent préparer les épreuves du baccalauréat. Ce public, ignorant des « règles de vie » de l’établissement, et largement concurrent, dans ses pratiques et dans ses besoins, des publics habituels, se trouve de fait en concurrence avec les autres publics. Pour faciliter la mixité, la BPI a mis en place, sous le nom générique d’« Objectif Bac », un certain nombre de dispositifs pour faciliter la cohabitation : espaces spécifiques, bibliographies, gestion différente des places de lecture, aide personnalisée des bibliothécaires, etc.

The Bibliothèque publique d’information (BPI, public information library) is “invaded” between April and June every year by final year pupils studying for their bac (final exams). These occasional users are unfamiliar with the unspoken rules of library conduct and as such their needs and practices are in competition with those of regular readers. The BPI has made efforts to reconcile the two groups, introducing the “Objectif bac” programme to improve conditions for both categories of reader, offering dedicated work spaces, bibliographies, a different way of allocating seats, individual help from librarians, and so on.

Etwa zwischen April und Juni werden die Leseräume der Bibliothèque publique d’information (BPI) regemläßig von einem Gymnasiastenpublikum „überströmt“, das kommt, um die Abiturprüfungen vorzubereiten. Dieses Publikum, das die „Lebensregeln“ der Einrichtung ignoriert und in seinen Gewohnheiten und Bedürfnissen bei weitem konkurrierend mit den gewohnten Besuchern ist, befindet sich in der Tat in Konkurrenz mit den anderen Benutzern. Um die gemischte Struktur zu vereinfachen, hat die BPI unter dem Begriff „Ziel Abitur“ eine gewisse Anzahl von Maßnahmen zur Vereinfachung des Zusammenlebens eingesetzt: spezifische Räumlichkeiten, Bibliografien, andere Verwaltung der Leseplätze, individuelle Beratung durch die Bibliothekare, etc.

Entre abril y junio aproximadamente, los espacios de lectura de la Biblioteca pública de información (BPI) son “invadidos” por un público de estudiantes de liceos que vienen a preparar las pruebas del bachillerato. Este público, que ignora las “reglas de la vida” del establecimiento, y ampliamente competidor, en sus prácticas y en sus necesidades, de los públicos habituales, se encuentra de hecho en competencia con los otros públicos. Para facilitar la mixidad, la BPI ha instalado, bajo el nombre genérico de “Objetivo: Bac”, un cierto número de dispositivos para facilitar la convivencia: espacios específicos, bibliografías, gestión diferente de los lugares de lectura, ayuda personalizada de los bibliotecarios, etc.

Printemps 2012, ou la banalité d’un marronnier à la BPI ?

La presse a ses marronniers, la BPI (Bibliothèque publique d’information) aurait-elle le sien ? Comme à chaque printemps depuis 2007, la BPI réinterroge son dispositif d’accueil du public pour l’adapter aux exigences de cette saison : accueillir « aussi », « en plus », « à côté de son public habituel », un public de lycéens qui investit la bibliothèque pour y réviser – les mercredis, samedis et dimanches en avril-mai, à temps complet les premières semaines de juin –, la part de ce public allant croissant pendant toute cette période, jusqu’à être plus que majoritaire la veille des épreuves du baccalauréat, où les candidats au bac représentent la quasi-totalité des 5 000 lecteurs qui fréquentent chaque jour cette bibliothèque de lecture publique exclusivement réservée à la consultation sur place  1.

Est-ce à dire que le dimanche, à la veille de l’épreuve de philosophie qui ouvre la semaine des épreuves écrites, peut être observé le résultat d’un phénomène : la concurrence des publics et l’éviction quasi complète du public « habituel » de la BPI au bénéfice du « circonstanciel » public des lycéens ? Est-ce bien cela qui s’est joué pendant la saison des révisions ? Un instantané pris un beau dimanche de juin, à la veille du galop ritualisé d’écrits, dit-il quelque chose de « la concurrence des publics » ?

En mettant en place un dispositif d’accueil spécifique à l’intention des candidats au baccalauréat, la BPI a pris acte qu’elle n’avait pas le choix de la question de la « concurrence », qui s’est imposée à elle du fait de cette fréquentation saisonnière des lycéens, mais qu’en revanche elle avait le choix des réponses qu’elle mettait en œuvre en tant que bibliothèque au service des usagers.

Jusqu’à même substituer d’autres questions à cette question première : et si l’irruption printanière et impétueuse de la concurrence, plus qu’une bousculade ébranlant le quotidien et les fondations de la bibliothèque ou une mauvaise saison à passer, avait appris à la bibliothèque, au fil des saisons, à dépasser progressivement le questionnement initial en termes de « concurrence des publics » pour l’exprimer désormais à la fois en termes d’accompagnement des publics pour favoriser le « vivre ensemble » et en termes de réflexion et d’expérimentation de services spécifiques ?

Concurrence des publics vs lecture publique :
une bibliothèque bousculée

Reprenons depuis le commencement, en 2007. À l’arrivée du printemps, des jeunes gens, des adolescents entre deux mondes – celui de l’enfance et celui des adultes –, sont à la recherche d’un lieu où réviser, où se préparer à vivre l’épreuve du feu marquant, au niveau scolaire, le passage ritualisé dans le monde des grands, à la découverte – la fougue aidant, plutôt un assaut – d’un lieu sans espace jeunesse, un lieu qu’ils investissent en groupes : la BPI. Pourtant, la BPI s’adresse, notamment dans son organisation matérielle, à des individus, et ne propose aucun espace adapté au travail de groupe. C’est un lieu où les règles à observer sont peu nombreuses, mais « impératives », et toutes définies pour favoriser les projets individuels de chacun et le partage, dans le respect d’autrui, de l’espace public, règles auxquelles ce public de printemps se montre parfois peu acclimaté. Son comportement tend à décourager, voire à faire fuir, le temps que jeunesse passe, les publics habituels de la BPI, qui ne reconnaissent plus, durant quelques semaines, « leur » bibliothèque, et ne parviennent plus à mener à bien sereinement les projets qui leur tiennent à cœur et auxquels la bibliothèque offre en temps ordinaire un cadre propice. De même pour les bibliothécaires présents dans les espaces de lecture, observateurs et partie prenante de cette situation, qui vivent mal cet état de fait et se sentent régulièrement impuissants, démunis, désemparés, chacun à leur heure, de manière plus ou moins récurrente, après avoir tenté d’intervenir pour rappeler les usages du lieu à ceux de ce public de printemps qui y contreviennent.

Construire une réponse… : de la nécessaire préservation des fondamentaux

La bibliothèque ne pouvait en rester là. Le printemps ne pouvait être une parenthèse, voire une rupture, un moment à part dans la vie de la BPI. Comment aurait-elle pu ne pas réagir à un état de fait qui bousculait ainsi ses fondements mêmes, et qui mettait en difficulté à la fois la bibliothèque comme espace public partagé, les bibliothécaires dans leur rôle et les usagers « habituels » dans leurs usages ? Il fallait rétablir le fil des saisons en s’attachant à préserver leur continuum, et donc s’attacher au principe de « concurrence des publics » pour en réduire la virulence de printemps, afin que la bibliothèque ne soit pas victime d’une intoxication saisonnière, voire plus durable.

Il fallait redonner aux principes de bon fonctionnement leur vigueur atteinte par celui de la « concurrence des publics » : ne pas laisser à ce principe de concurrence la possibilité d’agir dans la bibliothèque jusqu’à contrarier ce qui fonde la BPI et la lecture publique : être un lieu ouvert à tous, où tous sont légitimes et attendus, dans le respect de chacun.

En effet, la bibliothèque de lecture publique est un lieu où la concurrence des publics n’est sans doute pas absente, mais où elle n’entre pas dans la composition de ce qui le définit et ne peut se jouer qu’en mode mineur, en sourdine, comme à la marge, sans venir bousculer les fondements. Cette notion de concurrence heurte les principes fondateurs de la lecture publique : les lieux qui lui sont dévolus sont réticents à la manifestation de cette « concurrence », leur définition intrinsèque tend à les rendre imperméables à cette valeur portée particulièrement par le monde libéral. La bibliothèque de lecture publique, en substance, appartient à un autre monde – extension du domaine du « 3e lieu » ?

Une réponse commune, collective, cohérente et claire : de l’ordre dispersé à une organisation collective

Les compétences et initiatives individuelles des bibliothécaires ne suffisaient pas à construire l’intervention nécessaire : il fallait que ce soit LA bibliothèque qui construise sa réponse, pour que celle-ci soit proportionnée aux effets de concurrence des publics observés. C’est donc une réponse collective qui a été pensée, pour soutenir les interventions individuelles, les harmoniser, leur donner la visibilité et la légitimité qui les renforcent.

Concurrence des publics non souhaitée, fondamentaux de la bibliothèque publique bousculés, professionnels perplexes, ont conduit à mettre en place dans un premier temps un dispositif qui visait à réaffirmer les fondamentaux de la bibliothèque en œuvrant à l’acclimatation du public lycéen aux règles de fréquentation et de partage de l’espace public.

Ainsi, le dispositif s’est construit sur un ensemble d’actions destinées à faire que la bibliothèque ne soit pas dessaisie de sa capacité à intervenir dans ses espaces de lecture pour se maintenir comme lieu de calme, d’étude, propice à la concentration, mais au contraire affirme bien explicitement l’attention qu’elle porte à ce que ses règles de fonctionnement soient observées par tous, dans l’intérêt de chacun. Pour donner de la visibilité et de la lisibilité à cette démarche autour du respect des règles du vivre ensemble en bibliothèque, une série d’éléments a été articulée.

Veiller

Veiller, en renforçant la vigilance sur ce qui se passe avant l’entrée dans la bibliothèque, c’est-à-dire aux conditions d’attente avant l’entrée dans le lieu, en faisant en sorte que les modalités d’accès au lieu ne laissent pas s’exprimer la concurrence des publics au travers des phénomènes de resquille, alors que le printemps, période de révision des examens pour les lycéens mais aussi pour les étudiants, est la saison où les files d’attente pour entrer dans la bibliothèque sont les plus importantes.

Être en mesure d’accueillir 2 000 personnes simultanément dans de bonnes conditions, c’est-à-dire en réduisant la capacité d’accueil du lieu (habituellement de 2 134 personnes) pour garder une certaine fluidité dans le choix des places et éviter les tensions que pourrait générer une adéquation parfaite entre capacité théorique et capacité réelle d’accueil.

Rendre visible

Rendre plus visibles les codes et les attendus du lieu en informant sur les règles d’utilisation destinées à favoriser le vivre ensemble, par le biais de flyers « Règles de vie » reprenant les quelques principes à observer par chacun pour la satisfaction de tous, sur le mode sans détour du « Ne pas » très peu politiquement correct (Ne pas parler fort, Ne pas manger ni boire dans les espaces de lecture, Ne pas travailler en groupe, Ne pas téléphoner…). Il s’agit de signifier que les espaces de lecture sont des espaces destinés à permettre la concentration de chacun, et qu’il existe des espaces de pause, propices à la détente (cafétéria, fumoir, balcon), bien distincts de l’espace de travail qui accueille simultanément 2 000 usagers aux projets variés. Mis en place sur toutes les places de lecture, quotidiennement en période de forte fréquentation lycéenne, ces flyers donnent de la visibilité aux règles ; ils sont aussi le support auquel se réfèrent les bibliothécaires quand ils sont amenés à intervenir pour les rappeler. Ils constituent une aide à l’intervention, qui s’appuie sur un écrit, ce qui réduit la contestation par les usagers de la légitimité du rappel à la règle. Ceux-ci les utilisent également comme support de médiation pour une autorégulation de voisinage.

Organiser une présence renforcée

Organiser une présence renforcée des bibliothécaires dans les espaces de lecture. Les bibliothécaires postés aux dix bureaux d’information qui structurent l’espace et le renseignement au public, ainsi que le « responsable de service public », portent une attention renforcée à ce qui se passe dans les espaces et sont amenés à intervenir plus souvent que d’ordinaire pour réaffirmer la nécessité du respect des « Règles de vie », pour que chacun puisse profiter de la bibliothèque sans empêcher les autres usagers d’en faire autant.

Les premiers printemps, des formations à la gestion des situations difficiles avaient été reproposées aux bibliothécaires pour les accompagner dans la mise en œuvre du dispositif et faciliter leurs interventions.

Pour compléter, cette attention accrue portée aux respects des règles est signifiée et rendue très visible par la mise en place d’un renfort mobile, pris en charge par des bibliothécaires volontaires, se déplaçant d’un espace à l’autre et parcourant régulièrement toute la bibliothèque, intervenant quand ils constatent qu’un usager ou un groupe d’usagers contrevient aux règles réaffirmées notamment au travers des flyers mis en place. Le système de renfort mobile, qui augmente la dynamique d’intervention dans les espaces, a été institué les premiers printemps d’avril à juin, désormais de mai à juin, suivant un calendrier qui détermine des jours orange (renfort discontinu) et des jours rouges (samedis, dimanches, jours fériés, et derniers jours précédant les épreuves du baccalauréat). Les agents de sûreté qui assurent le contrôle à l’entrée de la bibliothèque (plan Vigipirate du Centre Pompidou) et la régulation à l’entrée et dans les espaces de lecture sont également partie prenante du dispositif, permettant de graduer les niveaux d’intervention auprès des contrevenants.

Repenser certains espaces

Repenser certains espaces plus exposés de par leur configuration à l’impétuosité juvénile de printemps. En mettant en place un dispositif d’accès aux places de lecture spécifique pour la période, comme dans l’espace Autoformation qui régule l’accès à ses 120 « cabines », très prisées par les lycéens qui en « détournent » l’usage initialement pensé, parfois au détriment du public utilisateur des outils d’auto-apprentissage, qui se plaint de cette gêne. En rompant certains alignements de tables pour les moduler en espaces plus petits, comme il a été décidé avant le printemps 2010, pour l’espace Sciences et techniques.

Autant de mesures articulées ensemble pour une bonne gestion du lieu, en faisant que la bibliothèque de printemps ressemble le plus possible dans ce qui caractérise ses espaces et sa sociabilité à ce qu’elle propose aux autres saisons : un lieu calme, propice à la concentration, accueillant une grande diversité de publics, au bénéfice de chacun.

Collections de printemps

La réussite du dispositif quant à cet objectif de « vivre ensemble » et de partage non-concurrentiel du lieu a libéré, d’année en année, la réflexion, qui s’est ouverte à l’élaboration d’autres types de propositions, complémentaires et renforçant l’identité « bibliothèque » des espaces. Il s’agissait de faire que le lieu ne soit pas uniquement perçu comme une gigantesque salle de révision, mais bien comme une bibliothèque, avec ses collections, ses services… et ses codes. Ainsi serait-il plus facile d’acclimater les lycéens aux règles, en rendant plus évident encore à leurs yeux qu’il s’agissait bien là de ce qu’il est convenu d’appeler une « bibliothèque ».

Cette démarche s’est vu opposer durant les premières saisons une certaine défiance : la BPI n’avait « pas de collections pour lycéens », qui n’étaient donc pas légitimes dans le lieu ; quant à penser qu’elle pourrait acquérir des collections spécifiquement à l’intention de ce public de printemps, c’était jouer avec le feu et s’exposer à les attirer plus nombreux encore, ces jeunes peu coutumiers des usages de la bibliothèque. Les lycéens pouvaient individuellement questionner les bibliothécaires aux bureaux d’information – qui mettaient alors tout en œuvre pour répondre sur mesure et accompagner ces demandes au singulier. Mais de là à penser une offre de collection spécifique pour ces lycéens, il y avait un pas…

Un pas qui fut franchi une première fois au printemps 2009 par l’édition d’un dépliant « Préparer le bac à la BPI ? » qui pointait les principaux gisements de ressources pouvant particulièrement intéresser les candidats au baccalauréat pour leurs révisions, dépliant sur le modèle de la série de dépliants BPI « Une info sur » – un opus parmi d’autres. En 2010, un flyer « Bac 2010 » pointant les ressources utiles mises à disposition par la bibliothèque fut distribué régulièrement aux places de lecture, au vu et au su de tous les usagers, donc des lycéens, pendant toute la saison. Épuisé, « Préparer le bac à la BPI ? » a été remplacé en 2011 et 2012 par des bibliographies adaptées, déclinées en une collection de dépliants « Objectif : Bac » : « Réviser l’épreuve de… » (Arts, Français, Histoire, Géographie, Musique).

Ce premier pas fut suivi d’un autre, en 2010, plus discuté : l’acquisition de collections de printemps « Spécial Bac », mises à disposition dans un espace dédié « Objectif : Bac » à proximité du lieu de tous les passages : la cafétéria. Il s’agit de la part la plus visible et la plus massive de ces « collections de printemps » : une collection renouvelée tous les ans de plus de 300 exemplaires d’annales, filières générale, technique et professionnelle (chaque titre acquis en nombre) ; des numéros spéciaux en exemplaires multiples édités par les magazines pour aider aux révisions, ce afin de diversifier les outils proposés en les élargissant à la presse (Lire, Philosophie Magazine, Magazine littéraire, Réviser le bac avec Le Monde…) et aux médias (en signalant les initiatives spécifiques des radios France Culture, pour l’épreuve de philosophie – Les Nouveaux chemins de la connaissance/Spéciale Bac Philo –, et France Musique, pour les épreuves de musique). L’espace Autoformation fait également une proposition de ressources « Objectif : Bac », augmentant au printemps le nombre de licences disponibles de certains titres tels que Maxicours ; de même pour le secteur Musique (achat des partitions et enregistrements au programme, L’éducation musicale « Spécial Bac »…).

Une collection de conférences « Objectif : Bac » vient, depuis 2011, enrichir le dispositif, pour aider les lycéens à préparer leurs examens. Elles ont lieu chaque mercredi du mois de mai (un mercredi, une discipline) dans la bibliothèque même – une nouveauté – et sont signalées par un dépliant spécifique et des annonces sonores dans les espaces où révisent les lycéens.

Ces collections de printemps, outre qu’elles habillent désormais le lieu bibliothèque en « Objectif : Bac », sont également présentées en ligne. Le dispositif « Objectif : Bac » est ainsi devenu un dispositif à double attente : acclimater le public lycéen à la bibliothèque pour éviter la concurrence des publics et lui proposer des collections et des services spécifiques venant renforcer l’attente initiale.

L’observation du réel, un dispositif vivant

Vouloir mettre en place un dispositif parfait, pensé dans ses moindres détails avant d’être mis à l’épreuve du réel, n’est-ce pas rester sourd aux exigences du réel, rendre difficile le passage de la réflexion au mode opératoire et fermer le dispositif aux effets du réel en le rendant peu sensible à ceux-ci ?

Le dispositif « Objectif : Bac » a été pensé dans un premier temps comme une réponse à l’inquiétude du personnel et à la concurrence des publics, plus virulente au printemps, et sa perméabilité et sa sensibilité au réel ont permis de l’enrichir d’année en année, pour en augmenter les effets attendus et encourager les effets collatéraux inattendus, bienvenus et particulièrement intéressants pour la bibliothèque en termes d’adaptabilité aux publics et de réactivité quant aux services spécifiques à développer. En observant au quotidien comment le réel réagit à la mise en place du dispositif d’accueil et interagit avec lui, la bibliothèque s’est donné les moyens de l’adaptabilité, de la pertinence et de l’évolutivité du dispositif d’accueil. La place est ouverte à d’autres compléments ; côté collections, notamment en rendant plus visible l’offre multimédia par des écrans d’accueil et une ergonomie de saison, et côté services en réfléchissant à des accompagnements spécifiques d’aide aux révisions. Longue vie et vitalité à « Objectif : Bac ».

L’observation du réel pour enrichir et faire vivre le dispositif n’a pas été que quotidienne. Elle a également été organisée, à travers la réalisation par le service « Études et recherche » de deux enquêtes auprès du public lycéen de printemps. La première enquête, qualitative, réalisée en 2010, a mis particulièrement l’accent sur le phénomène d’acclimatation au lieu et à ses codes, jusqu’à pouvoir le définir comme « une sorte de rite de passage ou plutôt d’affiliation au cours d’une phase importante, sinon critique de sa scolarité et de son existence ». La seconde enquête, quantitative, mise en place avec le service Accueil, s’est déroulée de mai à juin 2011 (565 questionnaires auto-administrés utiles recueillis) pour mieux caractériser ces usagers et leurs besoins (filières disciplinaires, lieu de résidence, modalités et motifs de visite, fréquentation d’autres bibliothèques, image de la BPI, usages sur place, connaissance et usage des ressources mises à disposition des candidats).

De la mixité, ou la recherche d’une dynamique vertueuse

« Objectif : Bac » est un dispositif qui, né de la concurrence des publics, a grandi en renforçant la mixité des publics présents à la bibliothèque à cette période du printemps, mixité qui permet aux mécanismes de transmission intergénérationnelle de jouer, discrètement, mais efficacement. On observe en effet le rôle régulateur induit par ce caractère de mixité générationnelle et d’usages : soutenir cette mixité par un dispositif qui vise à éviter l’éviction d’un public au profit d’un autre par un jeu de concurrences, de préemption de l’espace et d’affirmation d’un usage dominant sans égards pour les usages et usagers « autres », c’est mettre en place les conditions d’une dynamique vertueuse au bénéfice de tous les usagers et de tous les usages, aussi différents soient-ils.

Le dispositif « Objectif : Bac », s’il s’adresse au public lycéen, parle à tous les publics. En construisant un tel dispositif, la bibliothèque affirme sa capacité à prendre en compte une situation particulière, « la tendance au renforcement du phénomène de concurrence des publics » pendant la période de mai-juin, et sa capacité à mettre en place des propositions spécifiques à l’attention d’un public cible : les lycéens, tenant compte de leurs attentes et de leurs besoins particuliers.

Post-scriptum

Pour mieux servir et renforcer le dispositif, il fallait un nom de baptême. La question du nom n’a pas été première dans la construction présentée ici. Est-ce à dire qu’il faut la négliger ou au contraire considérer que le nom est partie prenante du dispositif ? « Objectif : Bac » permet de marquer une cohérence entre les différents modes selon lesquels se décline le dispositif d’accueil : ce ne sont pas des conférences, ou des collections de printemps, ou une communication renforcée dans les espaces de lecture sur les règles qui contribuent à un vivre ensemble de qualité, mais tout cela à fois – un dispositif multidimensionnel.

Le lien n’est pas assuré par le pouvoir du nom. Les composantes sont articulées indépendamment de l’étiquette « Objectif : Bac » qui leur est apposée, mais le lien est souligné par ce nom. Ainsi, le public-cible peut découvrir le dispositif par l’une de ses composantes, celle qui lui est la plus accessible, pour, grâce au lien, avoir ensuite un accès facilité aux autres dimensions du dispositif. En outre, ce nom a un pouvoir d’évocation et de communication qui le rend apte à retenir l’attention, à éveiller l’intérêt, à capter le regard du public lycéen sur différentes propositions dont le pouvoir attractif n’est pas égal mais qui tous ont un sens pour cet usage. Enfin, ce nom permet d’habiller l’espace BPI, un vaste espace, en « Objectif : Bac » : ce rappel visuel apparaît à de multiples occurrences dans le lieu, comme un repère pour les lycéens façon cailloux du Petit Poucet, et comme un signal pour les autres publics. •

Pour compléter :

•Fiche « Objectif : Bac » disponible sur le site collaboratif Bibliothèques dans la cité : partager des savoirs, faire société : http://www.bibliothequesdanslacite.org

•Deux enquêtes du service Études et recherche de la BPI : – Enquête qualitative : Préparer le bac à la BPI : enquête auprès des usagers lycéens, d’Agathe Zuddas, sous la direction de Christophe Evans et Françoise Gaudet, août 2010. En ligne : http://www.bpi.fr/modules/resources/download/default/Professionnels/Documents/Etudes%20et%20recherche/Publics_lyceens_2010.pdf– Les lycéens à la BPI : enquête quantitative mai-juin 2011, novembre 2011.

•Patrick Perez, Fabienne Soldini et Philippe Vitale « Usages conflictuels en bibliothèque : une lecture sociologique », BBF, n° 1, 2002, p. 4-8. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2002-01-0004-001

•« Réviser sans stress à la bibliothèque » de Laurence Santantonios, Livres Hebdo, n° 911, 25 mai 2012.

  1. (retour)↑  350 000 documents, pas de collections jeunesse, un peu plus de 2 000 places assises en simultané, un accès sans aucune formalité ni inscription, ouverte tous les jours sauf les mardis et le 1er mai, 62 heures par semaine.