Print for Victory

Book Publishing in England, 1939–1945

par Martine Poulain

Valerie Holman

Londres, The British Library, 2008, XII-292 p., 25 cm
ISBN 978-0-7123-5001-3 : 30 £

Comme dans tous les pays touchés par la guerre, mais différemment des pays occupés par l’Allemagne nazie, telle la France, éditeurs et lecteurs de Grande-Bretagne virent leurs activités modifiées par le conflit. Dans un livre très documenté, Valerie Holman s’attache à raconter l’histoire du livre britannique durant la dernière guerre.

Des lecteurs en manque de livres

L’impact de la guerre fut immédiat. Le gouvernement britannique, comme la plupart des gouvernements, dut limiter le stock de papier accordé aux éditeurs, à hauteur de 60 % de ce qu’ils avaient utilisé au cours des mois précédents, le papier étant un produit largement importé, donc beaucoup moins accessible qu’avant-guerre. De plus, le gouvernement avait lui-même besoin de papier pour la lecture des troupes et pour ses activités d’information sur la guerre. Les éditeurs créent, le 4 septembre 1939, quatre jours après la déclaration de guerre, un « Comité d’urgence des éditeurs en temps de guerre », présidé par Geoffrey Faber, le président de leur association. Une part de leurs personnels sont mobilisés (2 000 sur 5 000), ce qui accroît, comme dans toutes les professions, leurs difficultés. Les bombardements nazis touchent terriblement Londres et la Grande-Bretagne : dans la seule nuit du 29 décembre 1940, 1 million de livres de stocks d’éditeurs dans le quartier de la cathédrale Saint-Paul partent en fumée… Mais l’un des éditeurs les plus touchés, Longmans, dont le fonds de 6 000 titres est réduit à 12, réussit en une semaine à reconstituer des collections offertes à la vente !

Les lecteurs, bloqués chez eux par le couvre-feu puis par le blitz, acceptent la croissance des prix des livres (+ 30 % entre 1939 et 1942), tant ils sont avides de lectures : « Emportez toujours votre masque avec vous ! Emportez toujours un livre ! », conseille ainsi une publicité des éditions Harrap. Le Conseil national du livre, créé en 1925 par l’éditeur Stanley Unwin pour promouvoir la lecture, cherche lui aussi à fournir aux lecteurs les romans souhaités : Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell, est, là comme ailleurs, un best-seller, de même que Le ciel m’en soit témoin, de Rachel Field, Qu’elle était verte ma vallée, de Richard Llewellyn, et tant d’autres. C’est pendant la guerre qu’est mis en service le premier bibliobus en prêt direct aux lecteurs. Les Britanniques sont de grands emprunteurs de livres en bibliothèque, 250 millions de livres en 1939 ! Il faut aussi offrir de la lecture aux troupes. Le Conseil national du livre concocte des listes qui proposent 40 % de fiction pour 60 % de documentaires. Mais les soldats ont surtout besoin de se détendre et préfèrent la fiction légère, les policiers, etc. Appel est fait aux populations afin qu’elles apportent leurs propres livres et journaux dans les bureaux de poste : 3 millions de livres sont ainsi déposés en 1940 à destination des troupes. Un nouveau lectorat émerge durant la guerre, comme en témoigne un rapport de mars 1940 sur La lecture en temps de guerre. Si bien qu’il est de plus en plus difficile d’approvisionner autant que nécessaire les lecteurs.

Le manque de papier est l’une des principales difficultés du gouvernement, dont les différents ministères consomment près de 40 % du papier disponible. Le recyclage de vieux papier est organisé (56 millions de livres sont ainsi récoltés entre 1940 et 1943), le contrôle de sa répartition est plus sévère au fil des ans, la situation de plus en plus difficile pour les éditeurs et les négociations entre eux et le gouvernement de plus en plus difficiles aussi. Guerre et Paix, qui redevient un best-seller, ne peut être édité qu’en 30 000 exemplaires quand 79 000 sont en commande. Les éditeurs sont contraints d’utiliser tout type de papier, de remplir au maximum les pages, ce qui permet par exemple à Harpa de continuer à publier environ 75 % de ce qu’il publiait avant-guerre. Les imprimeurs sont submergés, ce qui conduit certains éditeurs à tenter de publier ailleurs, dans l’Empire, par exemple en Inde. Alors que 14 904 titres sont publiés en 1939, ils ne sont plus que 7 581 en 1941. Même un livre de Winston Churchill sur Malborough doit être refusé ! Il faut choisir, privilégier certains genres (la santé par exemple).

Information, contrôle et propagande

Le ministère de l’Information comprend trois départements : censure, propagande intérieure, propagande extérieure, et emploie plus de 6 600 personnes. Dès 1938, des Règlements de censure avaient été établis. La censure préalable est rétablie pour nombre de livres. L’association des éditeurs met elle-même en place un « Comité de conseil pour la censure des livres ». La propagande intérieure se préoccupe du moral de la population et de sa bonne information sur le conflit et ses raisons. De nombreux dépliants détaillent Cinquante faits sur Hitler, recommandent des livres sur le conflit. Somerset Maugham écrit La France en guerre, publié en poche chez Penguin/Alan Lane, et George Saunders écrit deux des plus importants best-sellers de la guerre : La bataille d’Angleterre (4,8 millions d’exemplaires vendus dans le pays) et Bomber Command (1,2 million). Les éditeurs contribuent à cet effort pédagogique, tout en sachant que la propagande est d’autant plus efficace qu’elle est moins visible.

La propagande cherche aussi à joindre les pays de l’Empire, et même les États-Unis. Il faut en effet éviter à tout prix un sentiment anti-américain sur le sol britannique, continuer à vendre la littérature britannique aux États-Unis et à importer des titres américains et canadiens. Les échanges entre les deux pays sont affaiblis, mais se poursuivent. Le British Council, fondé en 1935, va prendre en charge une part de cet effort de guerre, via l’imprimé, en soutenant l’introduction de livres anglais là où il est implanté. C’est au Moyen-Orient que le manque de livres se fait le plus sentir. L’Australie constitue traditionnellement un immense marché pour les éditions britanniques, mais il y naît en raison des circonstances, comme au Québec, une édition locale autonome. La guerre affecte aussi les exportations vers l’Inde. Les éditions d’État et privées essaient de s’implanter dans différents pays d’Europe neutres, en Amérique du sud, en Afrique, etc.

À partir de 1944, l’enjeu changera de nature. Il faut expliquer aux pays libérés l’action des Alliés (53 titres publiés par le ministère de l’Information en 2 millions d’exemplaires sont ainsi distribués aux Français). À une Allemagne en ruines, il faut faire comprendre les raisons de la nouvelle occupation alliée et rééduquer les esprits durablement formatés par la propagande nazie : 45 tonnes de livres sont envoyées en Allemagne en deux ans. Les livres publiés doivent alors aider à préparer la paix, à construire un monde meilleur, mais aussi à reconstruire la Grande-Bretagne. Ce sont des livres éducatifs qui deviennent nécessaires et les bibliothèques britanniques prêtent (enfin, diraient certains !) plus de documentaires que de fiction.