Portraits pour un siècle : cent écrivains

par François Rouyer-Gayette
Préface Alain Jaubert
Textes choisis par Brigitte Besse
Photographies Agence Roger-Viollet
Paris, Gallimard/Roger-Viollet, 2011, 219 p., 29 cm
ISBN 978-2-07-013194-5 : 35 €

Les éditions Gallimard se sont associées à l’agence Roger-Viollet  1 pour rendre hommage aux grands écrivains français et étrangers du xxe siècle et aux artistes qui les ont photographiés en proposant une exposition à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris  2 et un élégant ouvrage d’une très noble facture. En regard d’une sélection de cent portraits d’écrivains, issus des collections de l’agence, figure un texte extrait de leur livre publié à la NRF, ou écrit par un autre écrivain sur cette œuvre. Ainsi sont associés l’art de la photographie et les territoires de l’écrit.

Cent pour cent

Cent ans, cent photographies, cent points de vue, cent propositions pour autant de voyages, de terres connues et inconnues à la célébration d’un siècle de la pensée, d’un art photographique en pleine expansion. À la pureté formelle du projet, qui n’est qu’apparente, répond une multitude d’interrogations, de surprises, d’étonnements, d’incompréhensions et de bonheurs. Pourquoi, alors que les clichés proposés sont en noir et blanc, certains (Hervé Guibert, Simone de Beauvoir, André Pieyre de Mandiargues, Junichiro Tanizaki et Georges Duby) ont-ils droit à la couleur ? En quoi les clichés d’Henri Martinie provoquent-ils à leur découverte cet étrange vertige que nous procure la tombée de la nuit ? Pourquoi choisir de se présenter en buste, en pied, de profil, couché, assis, débraillé, coiffé, méditant ? Qui du texte ou de l’image ? Où sont Thomas Pynchon, Jérôme David Salinger, Bruno Traven et tant d’autres…

Dire

Dans cette forêt du spectacle, le voyage est passionnant, chaque texte est évocateur d’un souvenir de lecture, d’un cours magistral, d’un sentiment, d’une pensée, d’un rêve, d’un départ, d’une rencontre, d’un abandon. On s’amuse à scruter les détails d’une image : la robe de chambre de James Joyce, la collection d’objets d’André Breton, la veste côtelée de Nathalie Sarraute, les joues de Pier Paolo Pasolini, le renard de Karen Blixen, les guenilles de Louis-Ferdinand Céline. À chacun de constituer sa propre géographie intime, de s’interroger sur son parcours de lecteur, de regretter de n’avoir pas accosté les rives littéraires prometteuses d’un auteur méconnu en ne s’arrimant qu’en terres connues. L’inattendu vient de ces découvertes croisées entre les extraits des œuvres et les photographies. Feuilleter cet ouvrage, s’y arrêter, s’y perdre, c’est découvrir des parcelles de vie, c’est dire l’en deçà, l’ailleurs, l’indicible, la fièvre, l’amour, l’absence, l’éloignement, le songe, l’ambition, la désinvolture sans jugement comme on ouvrirait la boîte de Pandore des sentiments qui nous relient à une œuvre et à sa représentation. Et pourtant la photographie ne dit rien d’une œuvre, elle n’offre qu’une simple information sur un individu. Peut-on réduire Guillaume Apollinaire à cet homme couché ? Iris Murdoch à ce regard perdu ? Saint-John Perse à cette condescendance guindée ? Non, bien évidemment que non.

Se dédire

Ce livre est plus secret, plus résistant qu’il n’y paraît. Il ne donne pas à voir, il propose à s’émouvoir. Il a la même fonction que ces albums de famille, la même intimité, la même impudeur, la même violence, le même désamour.

Bon nombre de ces auteurs nous sont inconnus physiquement et pourtant nous les avons imaginés. Ressemblent-ils à ces images forgées dans notre inconscient ? Ressemblent-ils à ce désir intime qu’ils soient ce que nous voulons qu’ils soient ? Non, bien évidement que non.

Alors qui sont-ils ? Que nous disent-ils ?

Ils nous disent l’humanité (Paul Léautaud), les chemins de traverse (Antonin Artaud), la lumière (Françoise Dolto), la décrépitude physique (Elsa Triolet), l’errance (Michel Leiris), l’engagement (George Orwell), la joie de vivre (Louise de Vilmorin), l’espérance (Antoine de Saint-Exupéry), les amis (Ernest Hemingway), la jeunesse (Marguerite Yourcenar), et tant d’autres mots à jamais.

Ils nous disent leur temps, ils nous parlent et ils nous taisent parfois aussi, mais ils nous émeuvent profondément car ils écrivent cent ans de littérature.