Profession éditeur 

Huit grandes figures de l’édition contemporaine racontent

par François Rouyer-Gayette

Olivier Le Naire

Institut Mémoires de l’édition contemporaine, 2011, 209 p., 24 cm
Coll. L’édition contemporaine
ISBN 978-2-35943-001-1 : 22 €

L’édition française est à un tournant majeur de son histoire et les modèles sur lesquels elle a longtemps reposé évoluent à grande vitesse. Révolution numérique, montée en puissance des agents littéraires, prix unique du livre, défense d’un réseau de librairies de qualité, droits d’auteurs en pleine mutation, nouveaux modèles de communication : les chantiers ne manquent pas, les défis non plus. Si ces changements touchent les éditeurs, ils concernent aussi l’immense majorité des Français conscients que l’accès à la connaissance à travers le livre est l’un des vecteurs majeurs de la démocratie. Ainsi, le Centre national du livre (CNL), le Syndicat national de l’édition (SNE) et l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC) ont décidé de s’associer pour lancer en 2009-2010 une mission inédite, « Profession éditeur », qu’ils ont confiée à Olivier Le Naire, journaliste, critique littéraire et grand reporter à L’Express. La présente publication en est un des témoignages après les six débats du Salon du livre de 2009 et les vingt-six interviews filmées sur le métier d’éditeur accessibles sur les différents sites des trois partenaires  1.

Un métier, une profession ?

Profession éditeur est la transcription intégrale des huit « portraits-entretiens » des figures incontournables de l’édition française contemporaine que sont Paul Otchakovsky-Laurens, Claude Durand, Françoise et Hubert Nyssen, Antoine Gallimard, Bernard Fixot, Teresa Cremisi, Francis Esmenard et Philippe Sollers. Mais ce « florilège » ne peut se dissocier des dix-huit autres interviews centrées sur un aspect précis du métier d’éditeur. Ainsi Jean-Marc Roberts aborde la relation auteur/éditeur, Olivier Cohen la littérature étrangère, Michel Chandeigne évoque l’éditeur-artisan, entre autres. Tous les secteurs éditoriaux des sciences humaines à la bande dessinée en passant par la littérature de jeunesse, le poche, etc., sont abordés, en réponse à la commande initiale du ministère de la Culture et de la Communication. La lecture de cet ouvrage est agréable (en partie liée à la forme) en même temps qu’elle surprend, tant ce métier, cette profession, relève pour Olivier Le Naire d’un grand mystère non élucidé, correspondant à ce que le coordinateur du projet appelle la part de « l’intangible » de l’édition, de ce hasard, de cette faculté à recevoir justement un ballon/manuscrit pour le transformer en point/livre. Car en fait publier, c’est à la fois de l’artisanat avec ses rites, ses objets et ses coutumes, mais c’est aussi du sport, qu’il soit individuel ou collectif. Mais, au-delà de ces métaphores, c’est répondre, pour partie, à une impérieuse nécessité émotionnelle. Il y a dans ces témoignages de la gourmandise, de l’appétence, de la drôlerie, de la folie tout autant que des « coups bas », des abandons et bien sûr des trahisons comme dans toutes les familles…

Tout simplement (peut-être) un savoir-être

Au moment ou l’on fête les cent ans des éditions Gallimard, gage de la qualité à la française, les propos de Bernard Fixot, coutumier des formules chocs, affirmant que « son principal boulot, c’est tout ce qui concerne l’emballage », c’est-à-dire ce qui crée le désir d’achat, détonnent avec la vision intime du rapport à l’œuvre comme l’expriment avec tendresse Françoise et Hubert Nyssen. Publier ne consiste pas à reproduire une recette, un mode de savoir-faire (quoique ?) mais relève plutôt d’un savoir-être, d’une capacité à recevoir un pli arrivé par la poste, d’un désir suscité par une rencontre ou de la volonté de faire une « affaire », de damner le pion de son ami-voisin-éditeur. Profession éditeur n’analyse pas des tendances, il donne à s’émouvoir, à se surprendre de ce mystère en démythifiant le secret, en le rendant humain, en lui donnant corps comme la preuve certaine qu’il n’est que le travail d’hommes et de femmes aux parcours atypiques, offrant à la littérature leur vision du monde. Aussi cette « compilation » peut se lire en creux, dans l’absence qu’elle évoque, car chaque éditeur incarne à sa façon la destinée d’un univers fantasmé dont la matérialité serait celle des livres qu’il publie. C’est dans ce mystère, ébauché, frôlé, qui caracole comme un torrent, que la littérature naît. C’est dans cette essence même du galet, de la pierre, de la trace matérielle ou numérique, dans cet effort physique du retournement, de l’engagement, que l’on trouve les fondements d’une profession constituée de 75 % de choses ennuyeuses comme l’évoque Antoine Gallimard, mais qui donnent naissance à une écriture, une œuvre, un fonds, une maison d’édition.

Complété d’annexes présentant les dates clés d’un demi-siècle d’édition (1961 – 2011) et des données sur l’édition française issues du SNE, Profession éditeur ressemble aux émissions de Bernard Pivot. Le propos y est toujours alerte, vivant et gai comme du vin blanc, accessible à tous, constituant ainsi des archives qui auraient cependant mérité d’être éditorialisées.