Si tous les gars du monde
Yves Desrichard
Oui, je sais, il n’y a pas la Russie, à quoi bon l’Australie, peu de Moyen-Orient, trop d’Europe, pas assez d’Asie, et ne parlons ni des pays baltes, ni de l’Amérique du Sud hispanophone (n’en parlons pas, donc). On ne saurait satisfaire tout le monde (surtout en France). Pour autant, c’est la première fois que le Bulletin des bibliothèques de France propose, de l’avenir de nos établissements, une vision uniquement étrangère, en tout cas venue de l’étranger 1.
Ce qui frappe en effet, mais devrait plus rassurer qu’étonner, c’est que nous sommes, de certains, bien proches, et d’autres, pas si différents. Chacun est fasciné par le numérique, d’une façon parfois incompréhensible, parfois logique – parfois paradoxale. On ne jure que par les réseaux, la collaboration et, souvent, mais oui, on déplore le manque à venir de professionnels qualifiés : bibliothécaire sera-t-il, dans l’avenir mondial, sinon français, un métier « en tension », délicieux et redoutable néo-néologisme ? On aurait mauvaise grâce à ne pas l’espérer.
En tout cas, et heureusement pour le lecteur, la diversité assumée des pays, des contributeurs, de leur réflexion, doit s’apprécier des contraintes, des présupposés (des dogmatismes ?) propres à chacun et à ses origines, qu’il faut traiter et apprécier avec mesure, neutralité, bienveillance, mais sans angélisme non plus.
On découvre que les préjugés peuvent être, doivent être battus en brèche : le Nord est riche, mais triste ; le Sud est pauvre, mais optimiste. Certes. Et inversement. L’Ouest est sauvage, mais plein d’espérances ; l’Orient est extrême, mais bien compliqué. Certes. Et inversement.
Les professionnels français pourront envier les pays où les bibliothèques sont si peu développées et les besoins culturels et éducatifs des populations si immenses que l’avenir pourrait y être radieux. Comme une enfance de l’art qu’on contemplerait émus, une première fois déjà bien lointaine et nostalgique pour nous. Il faut au contraire y puiser de nouvelles confortations, comme le font les collègues de pays plus proches dans leur niveau de développement, dans leurs inquiétudes on l’accorde, mais aussi dans leurs envies, dans leurs espoirs. C’est un mal bien français, stigmatisé en début d’éditorial, de voir les verres à moitié vides – quand ils sont à moitié pleins. C’est l’ambition involontaire des contributeurs, qu’on ne saurait trop remercier de leur acceptation spontanée, parfois miraculeuse, à collaborer à ce numéro – à charge de revanche ? – que de nous en détourner, au moins le temps d’une lecture.
Après une ample ouverture, américaine dans ses origines, mais universelle dans ses attendus, on proposera deux actes, Nord/Sud, Est/Ouest, et un épilogue qui ne peut pas en être un, puisque nous parlons du futur, ou, plus exactement, de l’avenir des bibliothèques – vues d’ailleurs.
* Remerciements plus que chaleureux à l’ensemble bénévole des traducteurs et traductrices des contributions de ce numéro, et à Christelle Di Pietro, de l’Enssib, qui a traqué les photos du bout du monde.