« Science.com, libre accès et science ouverte »

par Joachim Schöpfel
Coordonné par Joëlle Farchy, Pascal Froissart et Cécile Méadel
Hermès, n° 57
Paris : CNRS Éditions, 2010, 239 p., 22 cm
ISBN 978 2 271 07105 7 : 25 €

Hermès, revue phare du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) dans les sciences de la communication, consacre son numéro 57 au libre accès à l’information scientifique. Le titre annonce le programme : « Science.com » pose la question de la communication scientifique comme choix entre privatisation et science ouverte.

Le numéro est composé de vingt-cinq contributions comprenant entre deux et quatorze pages. Les auteurs sont pour la plupart des chercheurs ou enseignants-chercheurs, issus des sciences de l’information et de la communication, des sciences économiques, de la sociologie, du droit, etc.

La sortie de ce numéro – le premier qu’Hermès consacre au mouvement vers le libre accès – est à elle seule un événement et confirme l’impact de ce mouvement. Or, la qualité de ces contributions est assez variée. Le lecteur trouvera un patchwork avec quelques très bons articles, d’autres qui sont du (bon) journalisme scientifique et certaines contributions syndicales sans intérêt  1. Ce cocktail est divertissant mais étonne dans une revue CNRS – un peu à l’image de certaines archives ouvertes.

L’approche est pluridisciplinaire. La première partie place le métier, le rôle et le comportement du chercheur au cœur du débat. La deuxième partie aborde le phénomène du libre accès sous l’aspect des politiques de savoir. La dernière partie met en question l’aspect commercial de la communication scientifique, critique le « marché de la science » et oppose à la science « bien public » la science « marchandise privée ». Sur les vingt-cinq contributions du dossier, dix sortent du lot. Voici un bref aperçu.

Pierre Mounier (École des hautes études en sciences sociales) dresse un panorama du mouvement du libre accès et fait le lien entre technologie et économie, entre l’offre et les outils d’accès et de sélection. Il souligne le transfert de la valeur ajoutée des contenus vers les services de sélection avec un impact direct sur le modèle économique  2.

Dominique Vinck décrit la transformation de la revue scientifique, de la communication et des pratiques des chercheurs sous l’effet des nouvelles technologies de l’information et de la communication. L’intérêt de cette étude est sa perspective pluridisciplinaire, une manière différenciée de voir l’appropriation, les pratiques et besoins en fonction des particularités de chaque discipline. Cette approche tranche avec l’idée d’une « génération Google » ou d’un effet égalisateur des technologies.

Guylaine Beaudry introduit l’environnement de l’e-science  3 et l’accès aux données scientifiques. Ce lien est intéressant et nécessaire car ce domaine en développement rapide est au cœur du débat sur la science ouverte. Dommage que l’auteur n’aborde pas les réalisations et projets en France, comme DataCite  4 ou SIDR, la base de données Solaire Sol BASS2000  5 de l’observatoire de Paris (Meudon) ou encore la Crystallography Open Database  6 hébergée par l’université du Maine.

Lionel Barbe (Paris 10) sort Wikipédia du cadre d’interprétation de la communication scientifique pour placer très justement l’encyclopédie collective dans celui des phénomènes sociétaux. Cette approche rejoint l’étude récente de Clay Shirky sur le cognitive surplus 7 et le potentiel de créativité et de générosité de nouveaux outils et formes de partage sur le web.

Dans sa synthèse de l’édition scientifique, Ghislaine Chartron (Conservatoire national des arts et métiers) met l’accent sur les particularités du marché en France et sur la pluralité des situations et acteurs. Elle dégage trois facteurs-clés pour l’avenir de l’édition : l’émergence de plusieurs modèles économiques (dont le libre accès), les politiques institutionnelles, et l’impact de l’évaluation sur le comportement des chercheurs.

« L’arrivée de l’Open Access […] n’a […] pas modifié […] la structure du marché » : c’est le constat de Joëlle Farchy et Pascal Froissart. Dans leur intéressant article, les deux auteurs décrivent l’économie de l’audience et du trafic et pointent deux problèmes majeurs auxquels le libre accès n’a donné qu’une réponse partielle : la diffusion (rapidité, visibilité) et la valeur des contenus (prix de l’information). Le libre accès a un coût, aussi bien pour la diffusion que pour les contenus. Il fait partie du marché et n’est pas une alternative au système actuel.

Trois autres articles abordent le libre accès sous l’angle du droit. Marie Cornu analyse le statut juridique des publications d’un chercheur agent de l’État, en particulier depuis la nouvelle loi de 2006  8. Elle rend compréhensible les enjeux des droits moraux (paternité, qualité d’auteur) et des œuvres collectives ou de collaboration, et elle met le doigt sur un problème de principe : légalement parlant, comment un chercheur public peut-il verser volontairement une création dans l’espace public pour être discutée, poursuivie et modifiée par d’autres ?

Justement, parlant du volontariat, Valérie-Laure Benabou expose l’application du droit d’auteur au libre accès et insiste sur la titularité et l’exercice des droits par les chercheurs. Création rime avec liberté. Par rapport au débat sur l’obligation d’une publication dans une revue en accès libre ou dans une archive ouverte, l’auteur est lucide : « Il faudrait […] veiller à ce que le libre accès ne devienne pas un prétexte au musellement de la recherche scientifique. » Bien vu !

Avocate en France des licences Creative Commons, Danièle Bourcier  9 développe l’idée d’une science comme bien commun, à produire, diffuser, partager et réutiliser librement et sans contrainte. Elle dessine les grandes lignes d’un nouveau statut et rôle du chercheur.

M. Meyer livre une réflexion pertinente sur l’évolution du rôle du documentaliste vers un courtier de l’information, avec et/ou à côté du chercheur. La même réflexion est menée depuis quelques années par les réseaux documentaires et l’observatoire des métiers du CNRS  10.

On peut regretter que l’article ne fasse pas le lien avec cette réflexion née du terrain ; tout comme, sur un plan plus général, on peut regretter que ce numéro ait ouvert si peu de pages aux professionnels et chercheurs du CNRS. Par contre, bien plus surprenant : que le dispositif et la politique du CNRS  11 en matière du libre accès ne fassent l’objet ni d’une description synthétique ni d’une analyse critique. Pourquoi ? Personne ne comprendra le mouvement du libre accès sans comprendre les stratégies, investissements, contraintes et désengagements des structures, organismes et acteurs en place. Ces regrets diminuent quelque peu le plaisir de lecture  12 mais pas l’intérêt de ce numéro dans le contexte des publications sur la communication scientifique en libre accès.