Charles Nodier et la passion du livre
Elsa Bres
C’est dans les salons de la bibliothèque de l’Arsenal que s’est tenue la journée d’étude « Nodier et la passion du livre », proposée par Élisabeth Parinet (École nationale des chartes) et Hélène Védrine (Paris 4), le 14 mars 2011 1. À la place même où Charles Nodier (1780 – 1844) tenait son cénacle, Bruno Blasselle (Bibliothèque nationale de France) a eu la difficile tâche d’introduire le programme de cette ambitieuse journée et de présenter un amateur inconditionnel du livre, tout aussi féru d’innovations qu’épris de traditions.
Alors, « Monsieur Nodier, où en sommes-nous avec le livre ? ». C’est à cette interrogation que s’est attachée à répondre la communication de Jacques-Rémi Dahan 2. Après avoir dessiné un tableau de la réception de l’œuvre de Charles Nodier de 1830 à nos jours, il a tracé les contours d’un personnage au portrait éclaté, bornés par deux facettes emblématiques : le Nodier bibliothécaire et le Nodier « bibliologue », bibliographe et polygraphe.
La passion du livre mise en pages : l’Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux (1830)
Charles Grivel (université de Mannheim) s’est intéressé à l’ouvrage emblématique de Nodier, comme « livre d’images ». La proposition est audacieuse au vu des 50 illustrations qui parsèment le texte de l’Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux. Pourtant, Charles Grivel a montré comment les planches et vignettes donnent les clefs de cet ouvrage, qui ne cesse de démontrer l’incongruité de son existence. Livre singulier, il fut la réponse de Charles Nodier au « désastre du Livre » du premier XIXe siècle, au livre produit industriellement et soumis à la « collectionnite ».
Dans une tout autre optique, pour Roselyne de Villeneuve (Paris 4) 3 il s’est agi, par l’étude érudite des avant-textes et des avant-propos, d’expliciter la genèse de l’écriture de l’Histoire du roi de Bohême, de repérer les glissements ou les réemplois, et de comprendre de manière fine les mécanismes d’élaboration d’un texte mûri plus de trente ans.
L’amour des livres à l’Arsenal
Vincent Laisné (Paris 10) 4 a tracé une perspective cavalière du « livre en acte à l’Arsenal » qui a permis de saisir un élément-clé de la chaîne du livre et de la constitution d’un mouvement romantique structuré : celui de la médiation littéraire avec les pairs. Dans le cénacle de Charles Nodier, loin des lectures solennelles engoncées dans le protocole, la déclamation des textes devint une séquence essentielle d’un processus de patronage des poètes excédant largement le seul moment de la lecture.
Le Nodier « passeur de livre » a particulièrement intéressé Sylvain Ledda (université de Rouen). Nous rappelant combien les stances de Nodier adressées à Musset, autant que les sonnets du poète au bibliographe, sont les sources émouvantes d’une relation littéraire et intellectuelle, il a reconstitué des pans de l’influence de l’érudit sur la formation de l’esprit romantique et du rôle de mentor joué par Charles Nodier dans les orientations littéraires d’Alfred de Musset, perceptible dans ses premières œuvres d’inspiration fantastique.
De la bibliographie à la bibliophilie
Annie Charon (École nationale des chartes et rédactrice en chef du Bulletin du bibliophile) a mis en lumière l’action de Charles Nodier lors de l’émergence du Bulletin du bibliophile, c’est-à-dire de 1830 à 1834. Il lui fallut quelque quatre années pour transformer un catalogue de livres à prix marqués, proposés par le libraire Teschener, en véritable Bulletin du bibliophile, enrichi de notices, notes bibliographiques et dissertations, légitimant, à côté d’une librairie ancienne, cette bibliophilie curieuse qui avait sa préférence.
Pour Jean Viardot, Charles Nodier incarna le « bibliomane romantique » obsédé par la quête des espèces en voie de disparition, qu’il s’agisse de bouquins ou de patois, collectionnant ainsi des ouvrages conservatoires de la langue ou réceptacles d’un « génie national ». Charles Nodier a été l’un des premiers à recourir sciemment à un certain nombre de mécanismes de sauvetage des livres menacés. Dotés d’attributs irrésistibles pour le bibliophile, rhabillés par des reliures de luxe ou poétisés à travers des notices, les livres déchus recueillis par Nodier entrèrent dans le domaine du « collectible » et, à ce titre, échappèrent à la destruction.
Les passions d’un bibliophile écrivain
Marine le Bail a rappelé qu’à rebours d’un Prosper Mérimée qui se désolait de succéder à Charles Nodier à l’Académie puisque cela supposait de faire son éloge, Paul Lacroix parmi les premiers vit en lui une figure tutélaire de la bibliophilie. Nodier fut pourtant écrivain autant que bibliophile, ne cessant jamais d’être l’un pour devenir l’autre. L’écrivain de l’amour des livres, rendu sensible dans L’amour et le grimoire (1832) ou Franciscus Columna (1844), a encore beaucoup à nous révéler sur le bibliophile et bibliographe Nodier.
Emmanuelle Toulet (Bibliothèque historique de la ville de Paris) s’est intéressée au goût de Charles Nodier pour les reliures. Elle a mis en lumière le rôle précurseur de cet amateur de reliures dans un marché encore en formation. Une véritable typologie de ses partis pris en matière de reliure et de ses affinités avec les maîtres relieurs a permis de montrer les nuances, voire les contradictions apparentes, de l’amateur. Ainsi, le motif de reliure dit « à la fanfare », auquel Nodier a donné une certaine postérité, ne marque pas tant un goût du neuf qu’une passion du passé poussée à l’extrême.
Cette journée, polyphonique et riche en perspectives nouvelles, a été clôturée par une lecture des textes de Charles Nodier, choisis et présentés par Jean-Luc Steinmetz (université de Nantes) dans le cadre des Lundis de l’Arsenal. En contrepoint de cet événement, l’équipe de l’Arsenal proposait en vitrine un éventail de curiosités tirées des collections de la bibliothèque de l’Arsenal, comprenant aussi bien le célèbre portrait que fit Tony Johannot du bibliophile que des volumes des œuvres de plume de Charles Nodier ou des ouvrages lui ayant appartenu. •