Les 2es Assises de la lecture publique en Martinique ou « lire le monde comme un grand livre »
Marie-Françoise Bernabé
Jean-Philippe Accart
Après une première édition en 2000, la seconde édition des Assises de la lecture publique en Martinique a eu lieu les 17 et 18 novembre 2010 à Fort-de-France, et une centaine de professionnels ont pu échanger autour du thème « Livres, multimédia et internet : quels nouveaux enjeux pour les bibliothèques ? ». L’Association des bibliothèques publiques de Martinique (ABPM) et sa dynamique présidente Anique Sylvestre – en outre directrice de la Bibliothèque Schoelcher –, la direction régionale des affaires culturelles de Martinique (Drac) représentée par Michèle Nardi, le conseil général de la Martinique ainsi que la Région Martinique ont soutenu cette manifestation très attendue par les participants. En dix années, il est peu de dire que le paysage de l’information a changé, plongeant la profession de plain-pied dans l’ère du numérique.
Le professeur Jean Bernabé, linguiste et écrivain, a introduit de belle façon les Assises en mentionnant la bibliothèque comme « outil d’ingénierie sociale, permettant de mieux vivre ensemble » : la mondialisation est vue comme une mise en relation des individus où l’on parle de culture, de civilisation et de civilité. Les Antilles sont un carrefour entre l’Europe, l’Afrique, l’Orient, le Levant, où la question de l’identité se pose. Il faut « apprendre à lire le monde, qui est un grand livre ». La bibliothèque est devenue « transculturelle ». Les participants ont particulièrement apprécié les interventions d’Anne-Laure Collomb, responsable du Guichet du Savoir à la bibliothèque de la Part-Dieu, à Lyon, et de Jean-Philippe Accart, de l’université de Genève. Les pistes dégagées par ces types de service de référence en ligne seront certainement utiles localement.
Les bibliothèques en Martinique : trente ans d’existence, et de nombreux projets
En Martinique, le mariage réussi entre cyberbase et bibliothèque municipale de Rivière-Salée offre un exemple de collaboration intelligente entre deux services municipaux. Le projet Ribino (Réseau informatisé des bibliothèques du Nord), mené sans réelle implication des bibliothèques concernées et non abouti depuis des années, permet en contrepoint de mesurer les effets néfastes d’une gestion technocratique. Béa Bazile, directrice de la bibliothèque départementale de prêt (BDP) de Guadeloupe, expose un bilan très documenté de la mise en application du « Plan développement lecture » signé il y a une quinzaine d’années entre conseil régional, conseil général et Drac : toutes les communes guadeloupéennes, à une exception près, participent au réseau informatique de la BDP. Le Portail documentaire guadeloupéen, incluant toutes les bibliothèques, y compris universitaires, est pour bientôt. Simone Marie-Rose, directrice de la BDP de Martinique, détaille le plan départemental de lecture publique en Martinique, voté et appliqué depuis deux ans. Le débat suggère la nécessité d’un dialogue entre l’ensemble des élus et leurs bibliothèques prenant en compte l’existant et cherchant des solutions pour le faire évoluer au mieux.
Le rôle de la lecture publique dans la lutte contre un important problème d’illettrisme
Marcellin Nadeau, président de la commission culture du département, évoque les principales dispositions prises pour la lecture publique, véritable enjeu pour la solidarité. Il rappelle que la population en Martinique (soit 402 000 habitants) compte un peu plus de 15 % d’illettrés (9 % en métropole) : l’objectif visé est bien entendu la réduction dans les cinq ans de ce chiffre. Sont ensuite mentionnés les contrats territoires-lecture, qui sont de véritables partenariats entre les différents acteurs de la lecture. À sa suite, Myriam Sangre détaille les raisons qui font que la Martinique déplore un pourcentage qui est presque le double de la moyenne nationale. Raoul Maran, évoquant les grandes lignes du plan académique, rend compte de la riche expérience « programme parler », menée dans les communes du Marin, du François et de Saint-Pierre, et intégrée dans le Plan régional d’action 2011-2013.
Vif débat autour du livre aux Antilles
La table ronde sur l’édition, la diffusion et la distribution du livre aux Antilles, objet d’un débat passionné entre auteurs, éditeurs, libraires, diffuseurs, réunis autour d’Arlette Pacquit, journaliste, a montré l’acuité du problème en Martinique, pays de très grande production desservi par une médiocre diffusion et menacé de tomber partiellement dans l’oubli, faute de réédition. Tous les handicaps répertoriés amènent le débat sur le projet d’agence régionale du livre, pour lequel, depuis trois ans, Madame Nardi, de la Drac, a constitué un groupe de travail. À ce sujet, Yvette Gallot, représentante du conseil régional, précise l’état de la réflexion des élus, soucieux de soutenir la production locale du livre comme facteur de promotion des langues et cultures créoles.
Dix ans après
Les premières Assises avaient établi un constat général de carence en matière de mètres carrés de bibliothèque, de formations initiale et continue des personnels, de chiffres fiables, et surtout de volonté politique affirmée. Dix ans après, le déficit a été pratiquement comblé en Martinique. Dans sa conclusion, au terme d’une journée et demie d’intenses travaux, Anique Sylvestre insiste avec raison sur l’ampleur des tâches à venir, forcément tributaires d’une collaboration améliorée des différents acteurs. Un constat final : de notables progrès accomplis, une feuille de route et des projets émergents, propres à améliorer le « mieux vivre ensemble » de la population martiniquaise.
Le Plan d’action post-séisme pour Haïti
Dernière demi-journée dédiée à la situation du livre et de la lecture en Haïti : Érik Toussaint, ingénieur en sciences de l’information, en charge de la gestion de trente bibliothèques de proximité, expose le Plan d’action post-séisme à court, moyen et long terme élaboré par les professionnels. Alice Gradel, conservateur, adjointe au directeur du service commun de la documentation, lance la discussion en présentant les actions concrètes de collaboration entre le service commun de la documentation, Bibliothèques sans frontières et Haïti, et pose la délicate question du don de livres.