Signalement, numérisation et valorisation
13es Journées des pôles associés et de la coopération
Jean-Jacques Vandewalle
Les 13es Journées des pôles associés et de la coopération de la Bibliothèque nationale de France (BnF) 1 ont réuni, les 7 et 8 octobre derniers, près de 200 participants, dont certains venus de Belgique, des Pays-Bas et du Royaume-Uni.
Signalement
Comme l’ont rappelé nombre d’intervenants, avant de numériser, il convient de signaler. À cet égard, le Catalogue collectif de France (CCFr) 2, présenté par Véronique Falconnet, chef du service du CCFr au département de la Coopération à la BnF est, sans aucun doute, un outil important 3. Le CCFr accueille depuis fin 2010 une interface dédiée aux partitions patrimoniales qui permet d’interroger le Répertoire international des sources musicales (RISM-France) ainsi que le résultat de la rétroconversion des 36 catalogues du Patrimoine musical régional (PMR).
Puisque l’heure était à la coopération régionale, on a pu rêver avec la présentation imag(in)ée d’une interface « personnalisable » du CCFr, sorte de portail régional « clé en main ». On a aussi pu regretter le fait que le référencement des notices du CCFr dans le moteur de recherche Google soit encore à améliorer.
Avant de signaler, de faire connaître, il faut d’abord connaître, c’est-à-dire recenser. C’est ce qu’ont illustré les agences régionales du livre en Picardie (Picasco) et Haute-Normandie. Cet important travail a été complété par la signature de conventions constituant des pôles associés régionaux pour la valorisation de leurs fonds patrimoniaux via des programmes de rétroconversion alimentant le CCFr. La constitution de ces pôles leur a permis de bénéficier du soutien de la BnF sur les aspects techniques et financiers (jusqu’à 50 % pour la rétroconversion). Déjà, les acteurs réfléchissent à la suite, qui concernera la numérisation et la valorisation via des portails régionaux. Dans le Nord-Pas-de-Calais, 91 fiches descriptives de fonds pour 28 établissements ont été ajoutées dans le RNBFD (Répertoire national des bibliothèques et des fonds documentaires) et signalées dans le CCFr et sur le portail régional du livre Eulalie 4. Actuellement, une large enquête auprès de tous types d’établissement vise à préciser les fonds patrimoniaux numérisés et « numérisables » dans la région.
Numérisation
La table ronde « Bibliothèques nationales et coopération numérique » animée par Arnaud Beaufort, directeur des services et des réseaux et directeur général adjoint à la BnF, et Bruno Sagna, chargé de mission pour les relations internationales à la BnF, a réuni des collègues belges, anglais et hollandais. Les interventions ont principalement porté sur les programmes de numérisation mis en œuvre par les bibliothèques nationales de ces pays.
Frédéric Lemmers, de la Bibliothèque royale (KBR) de Belgique, a rappelé le contexte institutionnel de son pays, dans lequel les actions de numérisation sont nécessairement réparties entre le niveau fédéral et les entités fédérées, flamandes et wallonnes, qui disposent de la compétence culturelle. Au niveau fédéral, le programme Digipat 5, lancé en 2004, a permis de rétroconvertir 1,5 million de notices des fonds des établissements scientifiques fédéraux et de numériser 40 titres de la presse quotidienne belge et de la presse clandestine pendant les deux guerres mondiales, soit 3 % des collections de la KBR. Le portail numérique Belgica 6 ne permet pas de consulter ces titres à cause de problèmes de copyright, mais ils peuvent l’être à la KBR. En 2010, un appel d’offres, dans le cadre d’un partenariat public-privé, a été lancé pour la numérisation des 10 milliards de pages du patrimoine libres de droit. Le budget d’investissement est estimé à 150 millions d’euros, en échange de vingt ans d’exploitation commerciale non exclusive.
Pour le Royaume-Uni, Jamie Andrews, de la British Library (BL), mentionne que vient d’être créé un département « digital research » chargé d’aider les « conservateurs traditionnels » sur les questions du numérique et de la numérisation. Il a souhaité placer la réflexion dans le cadre du texte « Cloud Culture, the future of global cultural relations » rédigé par le think tank « Counterpoint » du British Council, qui pose la question du financement de la numérisation, et dans celui du rapport « Digital Britain » qui n’aborde pas le sujet de la numérisation du patrimoine... Il a ensuite mentionné des projets de numérisation qui se déroulent généralement dans un cadre d’économie mixte (avec Microsoft pour 65 000 livres du XIXe siècle imprimables à la demande via un partenariat avec Amazon, et avec BrightSolid portant sur 40 millions de pages de journaux du domaine public et sous droits dont l’accès sera gratuit à la BL et payant hors les murs), mais aussi grâce au mécénat et, parfois, avec des subventions publiques telles celles du Joint Information System Committee, qui finance la numérisation des œuvres des poètes de la Première Guerre mondiale, les archives gouvernementales du début du XXe siècle, des enregistrements sonores et des journaux du XIXe siècle. Enfin, J. Andrews a mentionné le programme de numérisation européen, toujours sur la Première Guerre mondiale, auquel participe la BL.
Hans Jansen, de la Bibliothèque royale des Pays-Bas (KB), a indiqué qu’il n’y avait pas de politique nationale de numérisation dans son pays et que la volonté de mettre en place un portail unique d’accès aux documents numérisés était confrontée à la situation économique difficile. Cependant, le plan stratégique 2010-2013 de la KB vise à la numérisation de l’ensemble des collections pour 2030. Le financement de ce plan est en partie public et en partie avec des partenaires privés comme Google (convention pour 32 millions de pages d’ouvrages entre 1700 et 1900) et ProQuest (négociation en cours pour les livres antérieurs à 1700).
Concernant la France, Fabien Plazannet, chef du département du Patrimoine et de la Politique numérique au service du livre et de la lecture du ministère de la Culture et de la Communication (MCC) et Aline Girard, directrice du département de la Coopération à la BnF, ont synthétisé les dispositifs de financement pour la numérisation et le développement numérique des bibliothèques.
On notera du côté du ministère l’appel à projet de numérisation 2011 prévu pour financer des projets d’une durée d’un an maximum, et les dispositifs relatifs à la numérisation issus des 14 propositions pour le développement de la lecture. Le contrat numérique pour les médiathèques permet de financer l’informatisation d’établissements, la mise en place de nouveaux services aux usagers et des opérations de numérisation (financement jusqu’à 60 % pour numérisation externe de documents libres de droits), tandis que la mise à disposition de conservateurs d’État et des financements sont accordés pour la constitution des cinq grandes bibliothèques numériques de référence dont la première sera, sans doute, celle de l’Orléanais et du Centre. Ces financements étant réalisés par le concours particulier de la dotation générale de décentralisation (DGD), il faudra suivre l’actualité de la réforme territoriale qui pourrait entraîner des changements dans les modalités.
Les actions en matière de numérisation de la BnF s’inscrivent dans le contexte du contrat de performance 2009-2011 prolongé jusqu’en 2013 qui établit la BnF comme une bibliothèque numérique de référence dans un cadre collaboratif ; du rapport « Schéma numérique des bibliothèques », qui recommande le développement de programmes coopératifs de numérisation et de réservoirs de données OAI ; et du rapport 2009 de l’Inspection générale des finances qui demande à la BnF de passer à une logique plus quantitative et partenariale. Le budget global est de 3 millions d’euros, pour des financements pouvant représenter jusqu’à 50 % du coût de l’opération (hors frais de personnel et de matériel) dans le cadre, soit d’un pôle associé, soit d’un appel à projets de numérisation concertée thématique. Enfin, des crédits du Centre national du livre permettront d’intégrer, en 2011-2014, des bibliothèques partenaires dans les marchés de numérisation de la BnF, qui ont pour objectif d’inclure 20 000 livres par an (un tiers du total) fournis par les partenaires qui récupèrent ensuite les fichiers numériques.
Valorisation
En Languedoc-Roussillon, le portail « Culture et patrimoine » renvoie vers les sites des musées, archives et bibliothèques 7. Ce portail montre la pertinence de l’échelon régional, qui gère l’inventaire du patrimoine mais aussi les musées et centres d’art contemporain. L’encadrement fourni par la constitution du pôle associé régional a servi de catalyseur pour tous les acteurs de la numérisation et de la valorisation. À l’avenir, le portail devrait se doter d’un moissonneur OAI pour l’intégration dans Gallica, et devrait mettre en ligne des œuvres sous droits.
Le portail Manioc 8 est une bibliothèque numérique initiée en 2006 par le service commun de la documentation (SCD) de l’université des Antilles et de la Guyane et financée depuis par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR). Il a bénéficié du soutien du pôle associé interrégional constitué par la BnF, les Drac de Martinique, Guadeloupe et Guyane, le conseil régional de la Guadeloupe, la ville de Pointe-à-Pitre, et le conseil général de Guyane. Il offre l’accès à la fois aux collections patrimoniales (livres numériques avec liseuse exportable et images détourées librement réutilisables) et à des documents contemporains, ainsi qu’au catalogue collectif des périodiques. Sa richesse, qui mêle patrimoine et documents contemporains, souligne la diversité culturelle et actuelle de ces territoires au-delà de l’histoire coloniale.
En Franche-Comté, un portail régional concernant le patrimoine écrit dans son ensemble (musées, bibliothèques, sociétés savantes et archives) sera mis en œuvre en janvier 2011. Il est porté par l’Agence régionale de coopération de Franche-Comté, lecture, audiovisuel et documentation (Accolad).
La valorisation du patrimoine numérique écrit passe nécessairement par Gallica, que Frédéric Martin, chef du service Pôles associés – Gallica et chef de produit Gallica, et Guillaume Godet, chef de projet « Services numériques aux bibliothèques et aux éditeurs » au département de la Coopération de la BnF, ont présenté comme une plateforme numérique au service des bibliothèques.
F. Martin a décrit le partenariat avec Wikimedia France sur la correction collaborative des textes de 1 400 ouvrages ; la présence de Gallica sur Facebook, Twitter et les services associés comme la page Netvibes ; la lettre mensuelle et le blog Gallica, ainsi que l’impression à la demande (avec TheBookEdition.com et i-kiosque). Parmi les nouveautés, on notera le prochain renouvellement du moteur de recherche, la volonté accrue de développer la valorisation éditoriale, la mise en ligne d’une sélection de contenus sur des sites de partage (tels que Flickr ou Scribd), et l’accord avec Microsoft pour un meilleur référencement des documents dans le moteur de recherche Bing. Du côté du partenariat avec l’édition, huit nouveaux partenaires viendront enrichir l’offre de 30 000 documents sous droits proposés par les treize « e-distributeurs » actuels. Une nouvelle ergonomie pour la présentation de ces documents permettra de séparer feuilletage et achat et offrira des liens de rebond sur le modèle d’Amazon.
G. Godet a, quant à lui, détaillé les partenariats entre Gallica et les bibliothèques. Le moissonnage OAI, qui permet de signaler dans Gallica, avec renvoi sur le site source, des documents externes aux collections de la BnF, a, depuis le début 2010, multiplié par deux le nombre de documents concernés (31 000) et devrait bientôt intégrer quatre nouvelles sources. Le nombre de visiteurs qui se rendent sur les sites des partenaires est en progression. La numérisation par la BnF de documents « prêtés » par les partenaires devrait passer de 101 000 pages en 2009 à 800 000 en 2010, avec une meilleure mise en valeur de la mention de source et la possibilité de rechercher ces documents par leur origine. Il y a aussi le projet d’une offre « Gallica Marque Blanche » qui pourrait intéresser, par exemple, des établissements sans bibliothèque numérique souhaitant utiliser ce moyen pour valoriser les documents qu’ils ont prêtés à la BnF lors de leur numérisation. Enfin, le Système de préservation et d’archivage réparti (SPAR) sera en test à la fin 2010 et devrait être ouvert aux partenaires de Gallica.
Plus prospectif, Romain Wenz, responsable de data.bnf.fr au sein du département de l’Information bibliographique et numérique à la BnF, a brièvement présenté le projet de « pivot documentaire » (ou data.bnf.fr) qui consiste à fédérer les données pour améliorer l’accès aux ressources de la bibliothèque depuis les moteurs de recherche. Il s’agit d’aboutir à un très bon référencement dans ces moteurs de « pages d’atterrissage » qui regroupent et alignent les données de la bibliothèque avec les notions d’œuvres et d’auteurs comme pivot.
Demain, le patrimoine et le numérique
La reconnaissance de l’importance du signalement comme préalable à la numérisation et de la nécessaire valorisation comme objectif subséquent au signalement et à la numérisation est fondamentale. Le numérique permet de constituer un véritable réseau de bibliothèques offrant des services innovants à un large public. L’accès ouvert aux ressources favorise le partage qui, vu comme une externalité positive, constitue le véritable retour sur investissement du numérique. Sa mise en œuvre doit tenir compte de la dimension territoriale et intégrer des problématiques transversales avec des pratiques telles que la coopération, le souci de l’interopérabilité, le moissonnage croisé et le sourçage.
L’avenir, pour la BnF, passe par l’usage des fonds du Grand emprunt dans le domaine du patrimoine. La question des modèles économiques ayant pris de l’importance, la BnF doit y travailler avec des partenaires privés. Du côté du MCC et du MESR, la coordination est à l’ordre du jour avec la mise en place d’un comité de pilotage conjoint pour la future commission Bibliothèques numériques, présidée par Pierre Carbone. Cette commission est chargée de mettre en œuvre les recommandations du rapport « Schéma numérique des bibliothèques » dans les domaines prioritaires suivants : les acquisitions numériques, la numérisation, l’archivage pérenne et l’évaluation.