Les politiques de site

40e Congrès de l’ADBU

Yves Desrichard

Pour son quarantième congrès, l’ADBU (Association des directeurs, des personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation) avait choisi la bonne ville de Lyon, et la proximité (hélas, seulement la proximité) de son magnifique parc de la Tête d’or pour s’entretenir, le 10 septembre 2010, d’un sujet plutôt aride dans son énoncé, celui des « politiques de site ». On se permettra d’en résumer brutalement la problématique : d’un côté, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), longtemps combattue, désormais quasi partout en vigueur, et qui renforce très largement et l’autonomie des universités et les pouvoirs de son président et de son conseil d’administration dans la gestion de l’équipement, de ses personnels, de ses ressources. De l’autre, un grand nombre de dispositifs, anciens ou modernes, qui se proposent de fédérer les universités et, accessoirement ou non, d’autres équipements, dans des « politiques de site », chacun de ces termes prêtant, on s’en doute, à d’infinies variations.

Un ensemble foisonnant et parfois fastidieux

Ces politiques induisent de très nombreux partenaires car, s’il faut convenir que l’université française est bien malade, les médecins (ou autres) sont nombreux à son chevet. L’État bien sûr, l’Union européenne parfois, les collectivités territoriales de tous ordres plus sûrement. Chacun avec ses ambitions, ses façons d’être et de faire – ses moyens. Comment s’y retrouver ? C’était, à notre sens, le thème de la journée d’étude et, pour part, des débats qui l’avaient précédée la veille. Il n’est pas sûr, au terme d’une bien longue journée, qu’on puisse avec décision répondre à cette question.

Dans un ensemble foisonnant, mais parfois un peu fastidieux, il est bien difficile de traiter de telle ou telle intervention, mais, s’il fallait n’en retenir que deux, ce serait sans conteste celles de Michel Deneken, premier vice-président de l’université de Strasbourg, et celle de Michel Lussault, président de l’université de Lyon.

Le premier parla de « l’exemple strasbourgeois », à savoir de la fusion pure et simple, actée en 2009, des trois universités strasbourgeoises. Avec modestie et pragmatisme, il indiqua que, à son sens, l’exercice était CITATION« facile », et que « c’était presque un péché mortel que de ne pas fusionner ». Il insista sur le fait, sans doute fondamental car peu repris par les autres intervenants, que c’est de la base qu’a été initiée cette fusion, sans cacher les difficultés, notamment pour ce qui est de l’accompagnement social et (soyons clair) salarial d’une telle opération. Pour indiquer finalement qu’on avait privilégié « une fusion plutôt qu’un pôle de recherche de l’enseignement supérieur (PRES) extrêmement cosmétique », ajoutant même que, à son sens, la constitution de PRES entre universités ne pouvait être qu’une étape avant la fusion des établissements impliqués. On ne sait trop si c’est en hommage au président sortant de l’ADBU, Albert Poirot, par ailleurs administrateur de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (BNU), mais la situation documentaire de Strasbourg, il est vrai en plein bouleversement, fut évoquée dans plusieurs autres interventions, cela dit jamais avec la même pertinence et le même esprit d’à propos que ceux de M. Deneken.

Michel Lussault était, quant à lui, tout à la fois le « grand témoin de la journée » et le plus vigoureux avocat des PRES – en tout cas de « son » PRES, qu’il défendit avec vigueur, humour et concision, assénant d’emblée : « Aucun des problèmes d’un établissement ne peut être réglé au niveau d’un établissement. » Pour lui, l’affirmation de l’autonomie des universités n’est pas contradictoire avec la mise en œuvre de politiques coopératives ambitieuses : on ne coopère vraiment que quand on est maître de sa destinée. L’idée est séduisante, certes, et les bibliothèques universitaires n’ont pas attendu de telles injonctions pour développer des « politiques de site », pardon, des programmes coopératifs, desquels il fut curieusement peu question lors de cette journée. Dans le cas de Lyon, la tâche s’annonce rude : quatre universités, quinze écoles et instituts (dont l’Enssib), et une « culture d’opposition » qu’il s’agira sinon de vaincre, du moins d’amadouer. Deux cents millions d’euros seraient prévus avec, parmi les composantes documentaires, la construction d’un silo semblable à celui du Centre technique du livre de l’enseignement supérieur (CTLEs) pour accueillir les collections peu utilisées des bibliothèques des différentes composantes.

Le syndrome de Labiche

Avec ce « balancement » entre deux villes, deux régions, deux cultures, deux approches, la journée ménagea un contrepoint idéal que, il faut l’avouer, d’autres interventions plus convenues, voire trop éloignées du sujet initial, ne purent que conforter dans leur excellence. Il fut, ainsi, beaucoup question d’évaluation, sans qu’on comprenne vraiment ce qu’il en retournait, plutôt effrayé à vrai dire de la complexité technocratique renouvelée des dispositifs, qui tentent de s’accommoder de ce « système anomalique » dénoncé (encore lui) par M. Lussault, et permettant de l’applaudir quand il déclara dans sa synthèse que l’on n’avait pas besoin de « l’État notaire des indicateurs produits par l’établissement ».

Et pourtant, la tâche est immense : universités, Centre national de la recherche scientifique, autres grands organismes de recherche, grandes écoles, etc. Tout cela est, « vu de Shanghai » (il en fut beaucoup question) parfaitement insensé, et, à part Strasbourg, peu d’exemples semblaient aller dans le sens de la simplification, plutôt d’un accommodement d’avec la complexité au prix… d’une plus grande complexité, qui faisait penser à Labiche : « Le mariage, c’est résoudre à deux des problèmes que l’on aurait jamais eus tout seul. »

Et le pire est peut-être à venir, puisque, dans sa magistrale et dernière intervention en tant que président de l’ADBU, Albert Poirot dénonça le groupe de travail mis en place par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, au départ pour plancher sur le cas des bibliothèques interuniversitaires à l’heure de la LRU, mais au final pour réfléchir à la refonte des décrets fondateurs de 1985 et de 1991 sur la mise en place des services communs de la documentation, symboles s’il en est d’une « politique de site » bien comprise. À l’heure où ces lignes paraîtront, la situation aura sans doute évolué. Souhaitons que le syndrome de Labiche soit battu en brèche.