La réforme du concours particulier

Une évolution dynamique des textes réglementaires au profit des investissements des collectivités dans les bibliothèques territoriales

Christophe Séné

Laure Collignon

Le concours particulier des bibliothèques de la dotation générale de décentralisation est l’outil principal de soutien de l’État aux investissements des collectivités en faveur des bibliothèques. Profondément réformé en 2009, il vient d’être modernisé et complété par de nouvelles aides pour suivre au mieux l’évolution des besoins qui se font jour dans les établissements de lecture publique (mise aux normes des bâtiments, dont l’accessibilité, développement des services numériques, etc.) et contribuer ainsi à leur attractivité.

Dedicated state funding for libraries –part of the general financing for the wider decentralisation project– is the principal means by which central government supports local authority investment in libraries. This funding underwent a thorough modernisation in 2009, receiving additional sources of funding to keep up with the changing needs of libraries. These include bringing buildings in line with current regulations such as provision of access for handicapped users, increasing digital collections, and so on. This in turn has made libraries more desirable community assets.

Die Sondersubvention der Bibliotheken der allgemeinen finanziellen Ausstattung der Dezentralisierung ist das grundlegende Unterstützungsmittel des Staates zu den Investitionen der Körperschaften zu Gunsten der Bibliotheken. Sie wurde im Jahr 2009 grundlegend reformiert und soeben modernisiert und durch neue Hilfen zur besseren Verfolgung der Entwicklung der Bedürfnisse, die in den öffentlichen Bibliothekseinrichtungen zu Tag kommen (normgerechte Gebäude, darunter fallen die Zugänglichkeit, Entwicklung der digitalen Dienstleistungen, etc.), ergänzt und die somit zu ihrer Attraktivität beitragen.

El concurso particular de las bibliotecas de la dotación general de descentralización es la herramienta principal de apoyo del Estado a los involucramientos de las colectividades en favor de las bibliotecas. Profundamente reformado en 2009, acaba de ser modernizado y completado por nuevas ayudas para seguir de la mejor manera la evolución de las necesidades que se hacen día en los establecimientos de lectura pública (puesta en las normas de los edificios, cuya accesibilidad, desarrollo de los servicios numéricos, etc.) y contribuir así a su atractividad.

Les bibliothèques sont les lieux culturels les plus présents sur le territoire français, et les plus fréquentés. Depuis les lois de décentralisation dites « lois Deferre », les bibliothèques départementales sont gérées par les départements ; les bibliothèques municipales, elles, ont toujours été des services municipaux. Cependant, l’État a choisi de conserver un levier pérenne pour soutenir les collectivités dans le développement de la lecture publique sous la forme d’un concours particulier créé au sein de la dotation générale de décentralisation, abondé par les crédits qu’il consacrait aux bibliothèques avant la décentralisation.

Un dispositif créé en 1986

Ce dispositif, créé en 1986, a connu plusieurs états, décrits dans un article de ce numéro  1 : part municipale pour le fonctionnement, part municipale pour l’investissement, part départementale, part réservée aux bibliothèques municipales à vocation régionale… Une des plus importantes réformes a été celle de 2006, où les différents concours ont été fusionnés en un seul, destiné à l’ensemble des bibliothèques territoriales, et dont les crédits sont centrés sur l’investissement.

La réforme de 2006  2 a mis en place une architecture simple :

  • une première fraction dédiée aux projets de petite et moyenne importance dont la gestion est déconcentrée au niveau régional ;
  • une seconde fraction, plafonnée à 15 % du montant du concours particulier, qui est mobilisable pour les projets structurants d’intérêt régional ou national, qui permettent le développement d’actions de coopération avec les différents organismes en charge du livre et de la lecture ; les préfets de région transmettent les projets déposés par les collectivités territoriales aux ministères chargés des collectivités territoriales et de la culture, qui arrêtent conjointement chaque année la liste définitive des opérations à ­subventionner.

Le dispositif est codifié dans la partie réglementaire du Code général des collectivités territoriales aux articles R. 1614-75 à R. 1614-95.

Après trois ans d’exercice, le bilan de cette réforme est positif : à l’issue des mesures financières transitoires qui avaient accompagné la mise en œuvre de la réforme de 2006 (extinction de la part de fonctionnement du précédent dispositif), les crédits disponibles au profit de la première fraction ont augmenté de près de 68 %. Quant à la seconde fraction, elle a permis depuis cette date de mobiliser des crédits importants pour des projets d’envergure, notamment ceux des bibliothèques communautaires de Strasbourg (subvention de l’État de 12 millions d’euros), de Béziers-Méditerranée (subvention de l’État de 4,3 millions d’euros), de la bibliothèque départementale de l’Hérault (subvention de l’État de 4,6 millions d’euros) ou de la bibliothèque départementale de la Réunion (subvention de l’État de 1,3 million d’euros).

À un niveau plus fin, le bilan de l’exercice budgétaire 2009 est éloquent : le concours particulier a permis de soutenir 276 opérations sur les bâtiments, 132 opérations d’équipement mobilier, 198 opérations liées au numérique, 10 opérations pour le patrimoine (numérisation ou aménagement de locaux de conservation), 8 achats de bibliobus. Par ce biais, l’État a été en mesure d’aider les investissements de 481 communes, 119 intercommunalités et 24 départements.

En 2011, le concours particulier est doté de 80,4 millions d’euros répartis en 68 358 212 € pour la première fraction et 12 063 214 € pour la seconde fraction.

Le contexte de la réforme de 2010

Cependant, quatre ans après la réforme d’envergure de 2006, les dispositions réglementaires relatives au concours ont dû être modifiées afin de prendre en compte l’impact de deux textes législatifs : l’ouverture du concours aux communes de la Polynésie française  3 et le changement de statut apporté aux collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin  4. En effet, le caractère fermé de l’enveloppe de crédits affectée à ce concours imposait une intégration de ces collectivités dans le système actuel de calcul des crédits de la première fraction et dans les modalités de répartition de la seconde, et, de ce fait, une modification de certains articles du décret.

Le ministère instructeur des dossiers (ministère de la Culture et de la Communication) et le ministère gestionnaire des crédits (ministère de l’Intérieur, de l’Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l’Immigration) ont choisi de profiter de cette mise en conformité des textes pour adapter, clarifier et apporter des compléments aux textes réglementaires, sans en modifier l’architecture et l’esprit.

Les nouveautés apportées par la réforme de 2010

Le projet culturel au cœur des démarches

Une des modifications les plus symboliques de cette réforme est la fourniture par les collectivités, parmi les documents du dossier de demande de subvention, d’une note explicative décrivant les axes du projet culturel, scientifique, éducatif et social de la bibliothèque. En effet, la bibliothèque constituant souvent le principal équipement culturel des collectivités et participant à l’attractivité et à la structuration des territoires, il a paru nécessaire d’affirmer sa place dans les politiques locales.

Dans ce document, il s’agit pour la collectivité de présenter l’opération qu’elle se propose de réaliser en énonçant les actions prioritaires et les moyens mis en œuvre pour y parvenir (conditions de constitution et de communication des ressources documentaires, organisation des locaux, développement de services spécifiques, médiation culturelle, politique des publics...). En un sens, il est demandé de mettre en corrélation la volonté politique, l’enjeu que représente la construction d’une bibliothèque ou le développement d’un service numérique pour un territoire, les crédits d’investissement, les crédits de fonctionnement, etc. Les professionnels des bibliothèques ont tout intérêt à transformer cette « demande administrative » en opportunité afin d’asseoir leur rôle et celui de leur établissement au sein de la cité  5.

L’adaptation aux modalités d’investissement des collectivités sur les bâtiments des bibliothèques

Depuis 1986, 2 680 630 m² ont été construits grâce aux crédits du concours particulier. Malgré le rythme encore important des constructions (chaque année, près de 80 000 m² nouveaux sortent de terre), il s’agissait de prendre en compte les besoins importants de rénovation et de mise aux normes réglementaires des bâtiments des bibliothèques existants afin de favoriser l’émergence de pratiques de lecture diversifiées, ce qui n’était que peu possible dans le dispositif précédent, centré sur les constructions, les extensions et les restructurations.

Les modifications apportées par le Conseil d’État ont permis en outre de renouer avec l’esprit des textes de 1986 : les collectivités qui assurent l’investissement, mais pas forcément la maîtrise d’ouvrage, des opérations sur les bâtiments de leurs bibliothèques, peuvent recevoir des subventions de l’État. Concrètement, il est désormais possible, via le concours particulier, de subventionner des opérations réalisées non plus uniquement sous le régime de la loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée (loi MOP), mais aussi sous le régime des contrats de partenariat  6 (notamment les partenariats public–privé) ou de la vente en l’état futur d’achèvement (VEFA) 7, dans le respect des règles juridiques en vigueur.

Le soutien à l’accessibilité au cadre bâti et aux services des bibliothèques

L’accueil de tous les publics constituant une priorité pour les bibliothèques, il a paru capital aux rédacteurs des nouveaux textes de faire une place importante à la mise en accessibilité des lieux de lecture. En effet, au sens de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées  8, le principe d’une accessibilité générale au cadre bâti et aux services est posé pour les établissements recevant du public (ERP).

Par conséquent, le concours particulier réformé peut à présent soutenir les collectivités dans leurs investissements destinés à rendre accessible le cadre bâti (installation d’ascenseur, de rampe d’accès, de boucle magnétique, de bande podotactile, etc.), le mobilier (installation de banque de prêt adaptée, de table à hauteur réglable, etc.) et les services numériques (achat de matériel informatique ou de logiciel spécifiques, comme la synthèse vocale ou le grossissement des caractères, création ou refonte d’un site internet accessible, etc.).

Un axe fort : le numérique

Le développement d’une culture de l’écran, confirmé par l’enquête sur les Pratiques culturelles des Français 9 à l’automne 2009, et les attentes de la population en matière de numérique modifient le rapport des Français aux bibliothèques, qui doivent être aux premières lignes du développement numérique et être identifiées comme des équipements modernes et attractifs. Pour ce faire, les textes du concours particulier ont été adaptés et font apparaître plus nettement la distinction entre opérations d’informatisation ou de réinformatisation et développement de nouveaux services aux usagers, aussi bien en première qu’en seconde fraction. En outre, la circulaire introduit de nouvelles modalités de calcul des assiettes subventionnables en prenant en compte, outre les matériels et logiciels utilisés dans les bibliothèques qui étaient auparavant subventionnés, les études et développements, ainsi que les frais de migration de bases de données et les frais de rétroconversion.

Les modalités liées à la numérisation des collections sont étendues et précisées : elles concernent tous les supports et les documents de toute nature conservés dans les bibliothèques territoriales (manuscrits, imprimés, presse, fonds sonores ou audiovisuels, iconographie…) 10. Les projets peuvent s’inscrire dans une démarche d’amélioration de la conservation des documents rares, précieux ou fragiles et/ou dans une démarche de valorisation des documents numérisés.

Cet axe fort du nouveau concours a trouvé un écho dans les « 14 propositions pour le développement de la lecture » présentées par le ministre de la Culture et de la Communication en mars 2010, en particulier dans les propositions regroupées sous la dénomination du « contrat numérique » que l’État propose aux collectivités territoriales. Deux objectifs sont décrits, qui peuvent prendre appui sur le concours particulier : informatiser et développer des sites internet propres dans les bibliothèques des villes de plus de 20 000 habitants (12 % d’entre elles ne sont pas équipées) ; faire émerger au moins cinq bibliothèques numériques de référence proposant services numériques et/ou collections numérisées de premier plan au niveau régional, qui prennent en compte les recommandations du Schéma numérique des bibliothèques 11 et s’inscrivent dans le cadre des grandes orientations de la politique numérique de l’État.

La refonte de la seconde fraction

Sans modifier la part de crédits du concours affectée à la seconde fraction (15 %), les ministères partenaires ont souhaité la caractériser plus précisément : elle est à présent réservée aux projets de bibliothèques à rayonnement départemental ou régional portés par des collectivités chefs-lieux de région ou de département (chefs-lieux de région uniquement dans les textes de 2006) ou des collectivités (communes ou intercommunalités) de plus de 60 000 habitants (80 000 habitants dans les textes de 2006). Les bibliothèques municipales classées  12 ont accès à cette fraction, quels que soient la population ou le statut administratif de leur collectivité d’implantation.

Grâce à ces modifications, l’État peut mobiliser des enveloppes de crédits conséquentes, et soutenir de manière adéquate les projets ambitieux des collectivités locales éligibles. Il reconnaît ainsi un rôle prépondérant à ces bibliothèques en termes d’animation territoriale dans le champ de la culture, et plus spécifiquement du développement de la lecture ou de la conservation et de la médiation du patrimoine écrit.

C’est pourquoi, afin de donner toute l’ampleur possible aux actions, les opérations subventionnables en seconde fraction sont complétées par de nouveaux types d’investissements : l’équipement mobilier et l’aménagement des locaux destinés à améliorer les conditions de préservation et de conservation des collections patrimoniales, la création de services aux usagers qui utilisent l’informatique et la numérisation des collections patrimoniales. Ce dernier point devrait permettre l’émergence des bibliothèques numériques de référence mentionnées au paragraphe précédent.

La mise en place

Le décret étant paru tardivement dans l’année 2010  13, il n’a pas été possible d’appliquer les nouvelles modalités d’instruction pour l’ensemble des dossiers du concours : seule la seconde fraction reflète l’évolution des textes, avec l’arrêté du 5 novembre 2010 relatif à la constitution du montant de la seconde fraction du concours particulier.

Ainsi, en 2010, ont pu être soutenues, grâce aux nouveaux critères d’éligibilité, la restructuration de la bibliothèque communautaire d’Aurillac (collectivité chef-lieu de département), la restructuration de la bibliothèque communautaire de Moulins (bibliothèque municipale classée et collectivité chef-lieu de département), la première phase de la bibliothèque numérique de référence de Moulins et la première phase de la bibliothèque numérique de référence d’Orléans (bibliothèque municipale classée et collectivité chef-lieu de région).

Ce n’est donc qu’en 2011 que les effets de cette réforme seront véritablement opérationnels avec la publication de la circulaire d’application du 17 février 2011  14 : il ne tient qu’aux collectivités et aux professionnels de se rapprocher des conseillers pour le livre et la lecture en Drac et de se saisir de ces nouvelles procédures au plus grand bénéfice des publics des bibliothèques. •

Février 2011

  1. (retour)↑   Voir l’article de Thierry Ermakoff et François Rouyer-Gayette, « L’arbre, la décentralisation des bibliothèques et le concours particulier ».
  2. (retour)↑   Décret n° 2006-1247 du 11 octobre 2006 et circulaire n° NOR MCTB0600080C du 29 novembre 2006.
  3. (retour)↑   Ordonnance n° 2007-1434 du 5 octobre 2007 portant extension des première, deuxième et cinquième parties du Code général des collectivités territoriales aux communes de la Polynésie française, à leurs groupements et à leurs établissements publics.
  4. (retour)↑   Loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer.
  5. (retour)↑   Une fiche méthodologique sur le projet culturel sera mise à disposition courant 2011 sur le site internet de la Direction générale des médias et des industries culturelles, rubrique Service du livre et de la lecture. En outre, la publication portée par le ministère de la Culture et de la Communication, Concevoir et construire une bibliothèque aux Éditions du Moniteur, propose des éléments pratiques pour déterminer le contenu et rédiger un tel document.
  6. (retour)↑   Ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat codifiée aux articles L. 1414-1 à L. 1414-16 du Code général des collectivités territoriales et informations générales sur : http://www.ppp.minefi.gouv.fr
  7. (retour)↑    Code de la construction et de l’habitation, articles L. 261-1 à L. 621-22 et R. 261-1 à R. 261-33, et Code civil, articles 1601-1 à 1601-4.
  8. (retour)↑  Code de la construction et de l’habitation, articles L. 111-7 à L. 111-7-4.
  9. (retour)↑   Olivier Donnat, Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique : enquête 2008, La Découverte/Ministère de la Culture et de la Communication, 2009.
  10. (retour)↑   La numérisation peut porter sur des documents libres de droit ou bien sur des documents protégés, sous réserve que la collectivité puisse fournir la preuve formelle qu’elle est titulaire ou cessionnaire des droits de propriété littéraire et artistique.
  11. (retour)↑   Rapport de Bruno Racine élaboré dans le cadre du Conseil du livre (décembre 2009), disponible en ligne : http://www.dgmic.culture.gouv.fr/IMG/pdf/SNB_Rapport_Racine.pdf
  12. (retour)↑  Code général des collectivités territoriales, articles R. 1422-1 à R. 1422-3.
  13. (retour)↑   Décret n° 2010-767 du 7 juillet 2010 relatif au concours particulier de la dotation générale de décentralisation relatif aux bibliothèques municipales et aux bibliothèques départementales de prêt.
  14. (retour)↑  N° NOR MCCB102689ZC