Le livre électronique : quels services pour quelles pratiques ?
Marie-Laure Duval
Un panorama international contrasté
La première session des 5es Journées sur le livre électronique, organisée par la Cellule e-Books (CeB) du consortium Couperin les 17 et 18 mai derniers, à Lille, a fourni un bilan français et international des pratiques et usages du livre électronique en bibliothèque universitaire. Le cas français a été présenté au travers de deux études : l’utilisation des e-books dans les portails CNRS (Centre national de la recherche scientifique), d’une part, et les résultats de l’enquête sur la perception et les attentes du public du livre électronique commandée par le ministère de la Culture 1, d’autre part. Ces études ont été mises en perspective avec des retours d’expérience de Hong-Kong, d’Italie et de Grande-Bretagne. Des convergences mais aussi des spécificités nationales ont ainsi pu être établies.
Selon l’étude du CNRS, il apparaît que l’usage des e-books diffère de celui des périodiques électroniques. En Grande-Bretagne, le National Ebooks Project du JISC (Joint Information Systems Comittee) a montré que les livres électroniques ne sont pas utilisés comme substituts aux livres papier. L’enquête du ministère de la Culture a permis d’identifier le profil des lecteurs d’e-books : des hommes jeunes, très technophiles, grands lecteurs (public actuel) ou lecteurs modérés (public potentiel). Les étudiants apprécient l’aspect pratique des e-books (mobilité, accessibilité, capacités de stockage). De son côté, Bill Tang, de l’université de Lingnan de Hong-Kong, a présenté plusieurs enquêtes menées aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Inde et à Hong-Kong montrant une réelle attente des étudiants pour les livres électroniques. Néanmoins, les études menées en Italie témoignent d’une situation moins tranchée, les lecteurs de la Péninsule leur manifestant moins d’intérêt. Ce contraste entre pays se retrouve également dans les fonds d’e-books présents dans les bibliothèques universitaires. Si les établissements hongkongais ont su développer leur offre en livres électroniques en créant un consortium d’achat, les bibliothèques italiennes se révèlent encore pauvres en e-books.
Livres électroniques et nouvelles pratiques en bibliothèque
Bill Tang a expliqué comment la bibliothèque Fong Sum Wood de l’université de Lingnan de Hong-Kong a optimisé la gestion des ressources électroniques en repensant ses méthodes de travail et le management des ressources humaines. Cette bibliothèque a aussi mené une réflexion autour de l’accès aboutissant à la création d’un moteur de recherche fédéré. Par ailleurs, les résultats d’expériences françaises de cartable électronique dans le secondaire et dans l’enseignement supérieur ont aussi été présentés.
Delphine Merrien (service commun de la documentation de l’université de Toulon) a, quant à elle, rendu compte d’une enquête sur les prêts de liseuses d’e-books dans les bibliothèques universitaires françaises. L’expérience est limitée, au moment de l’enquête, à deux bibliothèques. Plusieurs recommandations pour mieux adapter ce type de service aux bibliothèques ont été formulées.
Des limites au développement des e-books
Du point de vue des lecteurs, les principaux freins au développement des e-books sont le prix, le manque d’informations et surtout l’inconfort de lecture. Thierry Baccino, directeur du Laboratoire des usages en technologies d’information, confirme que les caractéristiques propres au document électronique et à la machine de lecture (liens hypertextes, rétro-éclairage, scrolling, multimédia) empêchent une lecture rapide approfondie. Même les liseuses basées sur la technologie e-paper ne peuvent encore rivaliser avec la feuille papier.
L’intervention de Catherine Thiolon, des éditions QUAE, a permis de mieux comprendre les problématiques actuelles des éditeurs : modèle économique à trouver, archivage pérenne, archives ouvertes, etc. Les éditions QUAE ont fait plusieurs choix dont celui, encore rare, de la multidiffusion sous plusieurs modalités (avec ou sans verrous numériques).
Quant aux difficultés de signalement, l’intervention de Camille Dumont, de l’Abes (Agence bibliographique de l’enseignement supérieur), a montré que l’intégration des e-books aux catalogues de bibliothèque n’est pas aisée. Unimarc n’est pas adapté aux ressources électroniques et les notices des éditeurs sont trop souvent incomplètes. Afin de développer rapidement les notices d’e-books, l’Abes envisage d’adosser le Sudoc à la base de connaissances d’un ERMS 2. Hadrien Gardeur, de Feedbooks, a présenté le protocole OPDS 3, développé par plusieurs acteurs de la chaîne numérique (Internet Archive, O’Reilly, Adobe, Feedbooks, la Library of Congress, Aldiko). Il s’agit d’un écosystème standardisé qui vise la création d’un véritable « web du livre » qui s’opposerait aux « applications-magasins » qui empêchent la découverte et la diffusion libre des contenus.
Du piratage au partage : vers de nouveaux modèles ?
La disponibilité des contenus et la gratuité ont aussi été au cœur des réflexions. Comment passer de la rareté à l’abondance de contenus ? La question du piratage a été abordée par Mathias Daval du MOTif (Observatoire du livre et de l’écrit de la Région Île-de-France) qui a présenté les résultats de la première étude française sur l’offre illégale de livres électroniques. Elle a permis de mieux cerner ce phénomène et de faire des préconisations aux éditeurs, en leur enjoignant, notamment, de développer un modèle économique innovant. À la suite de cette étude, le MOTif a créé un observatoire sur le piratage du livre numérique (portraits des pirates, étude des plateformes légales et illégales, étude du rôle de l’intermédiation dans la diffusion numérique des livres).
Enfin, la lecture de l’intervention de Joël Faucilhon, absent, a présenté les paradoxes du DRM (Digital Rights Management). Ces verrous numériques, facilement craqués, ont nourri les sites d’échange. Là encore, de nouveaux modèles apparaissent nécessaires.
Au final, ces 5es Journées du livre électronique ont fourni un panorama relativement large des enjeux actuels du livre électronique en bibliothèque universitaire. On peut néanmoins regretter que les nouveaux supports de lecture tels que les tablettes du type iPad ou les smartphones n’aient été que très peu abordés.