Fondateur du Mundaneum (1868 -1944).
Architecte du savoir, Artisan de paix
Paul Otlet
Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2010, 205 p., 21 cm
Coll. Hors Collection
ISBN 978-2-87449-095-8 : 17 €
L’aventure belge de Paul Otlet touche aussi bien à l’histoire du livre et des bibliothèques qu’à celle des institutions internationales du début du XXe siècle, de l’utopie, du mouvement pacifiste mais aussi de la pensée comme de l’urbanisme moderne.
Les Impressions nouvelles avaient déjà publié en 2006 une biographie « attachante 1 », sous la plume de Françoise Levie, de ce pionnier du classement, du repérage, de l’indexation. Nous devons à Paul Otlet, entre autres : la création de l’Office international de bibliographie (OIB), la Classification décimale universelle (CDU) 2, avec l’aide de son ami Henri La Fontaine, mais aussi l’Office international de bibliographie sociologique, l’Institut bibliographique, le Répertoire iconographique universel, etc.
Un homme d’un autre temps
Fils d’un industriel belge, Édouard Otlet, qui fit sa fortune grâce au développement des transports en construisant des voies ferrées et des tramways, Paul, lui, étudia le droit, avec pour objectif d’aider son père à gérer ses entreprises, sans pour autant arriver à les faire prospérer. Voulant comprendre et organiser le désordre conceptuel qu’il ressentait autour de lui, Paul Otlet n’aura d’autre but que de mettre au point un moyen systématique de recension des points de vue, écrits, expériences, thèses, théories afin d’en constituer un ensemble cohérent, organisé et accessible à tous dans une perspective positive et multilinguistique – « l’unique livre, le livre universel ». Ainsi, son chemin sera tout tracé et ses rencontres, de La Fontaine au Corbusier, scelleront ce qui fera le sens de sa vie : la construction d’une société idéale basée sur une utopie (totalitaire) de paix mondialiste. Ce rêve le conduira à mettre en œuvre le Mundaneum, sorte de centre documentaire affranchi de toutes les frontières, qu’elles soient nationales, techniques ou économiques, et à imaginer le Palais mondial et la Cité mondiale. Mais les rêves n’ont qu’un temps et ceux-ci se fracasseront à l’aube des grandes fractures historiques que seront la Première puis la Seconde Guerre mondiale. De tout cela, reste une douce rêverie, une volonté de penser, créer et organiser le monde comme un espace de liens entre des savoirs, des continents et des hommes, dans une perspective intemporelle, tout en portant, chevillée au corps, une vision positive des intentions humaines. Le vingtième siècle sonnera le glas de cette image de l’homme dont Jules Verne aurait été le précurseur et H.G. Wells un des visionnaires.
Rêver à l’impossible rêve
Aujourd’hui, le Mundaneum est un centre d’archives ouvert au public, à Mons (Belgique), qui regroupe, outre les archives des fondateurs, des fonds divers liés au féminisme, à l’anarchisme, au pacifisme, mais aussi une salle d’exposition dont la scénographie a été réalisée par Benoît Peeters et François Schuiten, ce dernier (et l’on comprend pourquoi) signant la couverture de cet essai.
Rassemblant douze contributions coordonnées par Warden Boyd Raynard 3 qui en signe aussi l’introduction, cet ouvrage se veut être un éclairage « des divers aspects de la vie et de l’œuvre de Paul Otlet ». Rien n’est négligé, de l’analyse de l’environnement de sa vie avec le remarquable article de Stéphanie Manfroid 4, en passant par une description méticuleuse des sciences sociales en Belgique, comme du développement des techniques de documentation photographique dans un contexte international. Sylvie Fayet-Scribe s’est intéressée, quant à elle, aux relations qui unissaient le général Hippolyte Sébert 5, qui animait le réseau français de la bibliographie et de documentation, à Paul Otlet. L’organisation et la représentation des connaissances, véritable passion d’Otlet, la presse, la muséographie avec l’aventure que constitua le Musée international, la philosophie et le pacifisme se trouvent présentés et analysés au travers de ces articles, comme autant de pièces d’un puzzle d’une étrange complexité et qui donne le vertige. Il y a quelque chose du savant fou, à la Tardi, de l’entreprise impossible, dans cet univers dont on perçoit l’aspect visionnaire grâce aux quelques illustrations présentes dans l’ouvrage et dont Charles Van den Heuvel 6 fait l’analyse.
Le pays de l’envol
C’est peut-être tout cela qui fascine, qui intrigue et qui fait le grand intérêt de cet ouvrage collectif. On y retrouve tout à la fois les rêves les plus fous, de l’entreprise impossible à l’utopie au service d’un projet collectif comme une impérieuse nécessité de s’échapper du plat pays. Paul Otlet est rempli de cet envol, de ce besoin de dépassement, de cette universalité propre à son temps, à son pays. Alors, comment peut-on ne pas être séduit par un homme qui, bien avant l’heure, avait eu l’intuition conceptuelle d’internet en imaginant « des télescopes électriques, permettant de lire de chez soi des livres exposés dans la salle “teleg” des grandes bibliothèques, aux pages demandées d’avance. Ce sera le livre téléphone » ?