À travers le miroir

Yves Desrichard

Dans un film d’Ernst Lubitsch dont le titre m’échappe (récompense offerte), Edward Everett Norton, qui joue le rôle d’un psychiatre – à moins que ce ne soit Reginald Gardiner – demande à Mirna Loy, qui joue le rôle de la patiente – à moins que ce ne soit Claudette Colbert – : « Madame, vous êtes-vous déjà rencontrée vous-même ? » C’est à cet exercice que ce numéro du Bulletin des bibliothèques de France convie ses lectrices et, accessoirement, ses lecteurs.

C’est en effet la première fois que nous consacrons un dossier entier, non à nos usagers, mais à la parole et à l’écriture de nos usagers. Le terme même, « usager », est sujet à caution, provoque, agace, démange, choque, meurtrit. Mais il en faut bien un, et d’autres semblent si peu appropriés. Lecteur ? Mais on fait bien autre chose, dans une bibliothèque que lire (être lu ?). Utilisateur ? La bibliothèque n’est pas, pas encore, pas heureusement, une simple machine fournie avec son mode d’emploi, même si d’aucuns, parmi nos contributeurs, se livrent à cet exercice. Client ? Pas un seul de nos rédacteurs, ou alors si peu, le hasard, je vous jure, ne pense même à employer le mot.

Qu’importe au fond comment on les nomme, et comment elles et ils se nomment. Car chacun, chacune, anonyme ou non, propose sa propre et extraordinaire vision. Propre, car unique, particulière, involontaire ou consciente, spontanée ou réfléchie. Extraordinaire, car il faut, au lecteur (cette fois) du BBF plus qu’un soupçon de schizophrénie pour se plonger dans ces fleuves de mots, parfois lents, parfois rapides, parfois des cascades, parfois des torrents, des méandres, des embouchures. On n’en sort pas indemne. C’est si doux…

Peu, à vrai dire, sont réellement critiques, le hasard, je vous jure, même si beaucoup ne comprennent pas toujours comment nous fonctionnons, oui, nous et nos bibliothèques, vous n’imaginiez pas des usagers parler de bibliothèques sans parler de bibliothécaires, si ? D’aucuns nous voudraient meilleurs, bien sûr, que nous ne sommes, mais d’autres, qu’on lit parfois non sans étonnement, revendiquent avec des relents nostalgiques des bibliothèques que pas un manager d’aujourd’hui n’envisagerait sans rougir.

Ce regard porté nous fait penser au joli mot de Cocteau : « Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu avant de renvoyer les images. » Nos contributeurs le font, ou non, et c’est heureux, dans les deux cas. Aux verbatims de la première partie, extraits ou provoqués, répondent les témoignages plus construits, plus lettrés, de la deuxième et de la troisième, avant un épilogue, comme dans un film.

Justement, au psychiatre, Mirna Loy – à moins que cela ne soit Claudette Colbert – répond du tac au tac : « Non, et je n’y tiens pas tellement ! » Souhaitons, lectrices, lecteurs, qu’il n’en soit pas de même pour vous, et que vous découvriez, étonnés ou confus, honteux ou émerveillés, la bibliothèque vue par ses usagers, même.

 

*. À ce numéro est adjoint, pour les abonnés papier du Bulletin des bibliothèques de France, un pur moment de poésie et de bibliothèque(s), dessiné par Bruno Heitz. Qu’il soit ici remercié, ainsi que tous les contributeurs, connus ou non, de ce si particulier opus.