La vidéo en ligne : techniques, usages et métiers
Journée d'étude de l'ADBS
Nathalie Nosny
La journée d’étude sur la vidéo en ligne, organisée par l’Association des professionnels de l’information et de la documentation (ADBS), était accueillie dans les très agréables locaux de la société Colas, à Boulogne-Billancourt, le 9 avril dernier.
Partant du constat de l’explosion de la vidéo en ligne durant les cinq dernières années – un milliard de vidéos visionnées chaque jour dans le monde en 2010 –, notamment depuis l’émergence des sites de partage YouTube et Dailymotion, la mission audiovisuelle de l’ADBS a souhaité rassembler des intervenants autour des nombreuses nouvelles problématiques soulevées par cette évolution. En développant de nouveaux modèles de consommation, de multiples formats et techniques, en démultipliant l’offre, la vidéo sur le web interroge en effet les métiers de l’information et de la documentation sur la manière dont les documentalistes et les professionnels de l’information doivent traiter la vidéo : comment la conserver, comment la produire, l’indexer, l’archiver, la diffuser et la relier aux autres services ?
Dans cette perspective, la matinée était consacrée aux aspects techniques et théoriques, tandis que l’après-midi était réservé aux retours d’expériences, afin de donner quelques clés aux professionnels sur les positionnements possibles.
Indexation et métadonnées
Dans un secteur particulièrement concurrentiel, l’importance attachée à la qualité des métadonnées et de l’indexation en général apparaît cruciale. David Clémenceau, de la société Opsomaï, regrettait précisément l’absence de volonté des grands acteurs professionnels de normaliser la description des métadonnées. Il a présenté à l’auditoire la norme MXF (Material Exchange Format), seule initiative actuelle de normalisation de métadonnées en XML (Extensible Markup Language) encapsulées au fichier vidéo. Cette norme reste cependant inaboutie (pas de norme de description) et encore cantonnée à un usage restreint, interne à de grands groupes. Des projets de normalisation sont en cours, comme le Dublin Core ou le P/META (pour l’Europe), et méritent donc d’être attentivement suivis.
Sur l’indexation, la présentation de Jean-Marc Lazard, d’Exalead, ouvrait en revanche de nouvelles perspectives innovantes. Il relatait une expérience d’indexation sémantique automatisée de vidéos en direct pour France 24. Basé sur une retranscription des bandes-son via un outil de speech-to-text, enrichi par une analyse des images et une indexation des termes clés issus de cette retranscription, ce type d’indexation plus riche, plus intelligent, mais aussi plus automatisé, offre de nombreuses perspectives de valorisation en permettant de relier des documents via des tags plus nombreux et plus fins et de dépasser ainsi la simple requête en offrant une palette de suggestions.
La présentation du logiciel « Ligne de temps », développé par l’Institut de recherche et d’innovation 1 (Iri) du Centre Pompidou, donnait également une idée des développements possibles de nouvelles formes d’indexation, sur une échelle plus petite, pour des publics plus ciblés. Vincent Puig présenta les dernières évolutions de ce logiciel qui permet, par un travail véritablement collectif, de redécouper un film par une indexation personnalisée, constamment enrichie et faisant éventuellement appel à de nouveaux concepts : par exemple, les « tags gestuels » développés au cours d’un projet autour de la danse. Cet outil, trop lourd pour un simple usage documentaire, s’ouvre cependant à des technologies web plus modulaires afin d’en favoriser l’appropriation.
Nouveaux services, nouveaux usages
Guillaume Blanchot, directeur du multimédia et des industries techniques du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), s’est particulièrement attardé sur la croissance des nouveaux services à la demande. La vidéo à la demande connaît en effet une croissance régulière depuis la mise au point de l’IP-TV, c’est-à-dire la télévision connectée à internet, et se présente comme un modèle économique payant assez solide mais encore très tributaire de l’offre. La « catch-up tv », ou télévision de rattrapage, modèle gratuit de visionnement, est en revanche un service en très forte croissance mais dont les modalités restent très hétérogènes d’un média à l’autre (quels contenus, pour quelle durée ?). Les nouveaux modèles économiques de l’audiovisuel sur le web, outre le gratuit financé par la publicité et le payant à l’acte ou à l’abonnement, s’inspireront peut-être du Freemium, modèle issu du monde des jeux vidéos où le premier niveau d’accès est gratuit mais où l’ajout de fonctionnalités devient payant.
Les nouveaux usages – individualisation de la consommation, consommation différente selon la génération et le niveau d’études (cf. l’étude d’Olivier Donnat) 2 –, se caractérisent aussi par une consommation simultanée d’écrans, comme l’a souligné Jean-François Gervais de l’Ina. Ces usages sont également étroitement liés à des stratégies économiques et industrielles souvent ignorées du grand public (importance des réseaux de serveurs de diffusion 3, investissements en matière de réseaux, de brevets, coût énergétique de ces réseaux…). Et si les réseaux sociaux sont devenus prééminents, notamment Facebook dont la fréquentation dépasse celle de Google aux États-Unis, et YouTube (qui est le deuxième moteur de recherche après Google), c’est parce qu’ils se sont aussi appuyés sur les nombreuses études de comportements des usages pour développer des outils adaptés (notamment la théorie des 150 amis basée sur les études de Dunbar ou celle des six degrés de séparation, née des expériences du psychologue Stanley Milgram).
Des applications « métiers »
Face à ces nouveaux enjeux, Benoît Labourdette, de la société Quidam, a tenté de donner quelques clés techniques afin d’effectuer les bons choix, en particulier en matière de débit, de compression et de formats. Au cœur de son intervention, les « fichiers pivots », nouveaux masters de la diffusion audiovisuelle, qui doivent bénéficier d’un traitement qualitatif adapté (choix du gamma, désentrelacement des images, crop, recadrage) et conservatoire (hébergement sur des serveurs locaux adaptés).
Deux autres interventions étaient consacrées à des retours d’expérience. Celle du Centre européen pour la recherche nucléaire (Cern), que Silvano de Gennaro présentait, montrait la nécessité, pour un centre axé sur la recherche fondamentale, de communiquer sur des plateformes à haut trafic comme YouTube. Le Cern y dépose régulièrement des clips audiovisuels pédagogiques qu’il produit. Au-delà de la problématique de la modération, l’importance de l’échange et de la visibilité est au cœur de la stratégie du Cern.
Enfin, la médiathèque de la SNCF présentait pour sa part le passage à une solution documentaire globale, le logiciel Opsis Media de la société Opsomai, qui lui a permis de concilier traitement documentaire et montage numérique avec Final Cut Pro, et qui lui a apporté souplesse et simplification dans le circuit de diffusion et de traitement existant.
Si cette journée n’a pas vraiment apporté de réponses précises et uniques aux questions posées, elle montrait bien à quel point les enjeux documentaires sont désormais étroitement liés aux enjeux techniques, économiques, industriels ou juridiques.