Architectures de la culture, culture de l’architecture : 1959-2009
Paris, Éditions du Patrimoine et Centres des monuments nationaux, 2009, 351 p., 28 cm
ISBN 978-2-7577-0037-2 : 45 €
En février 1959, le général de Gaulle confiait à André Malraux la charge d’un ministère des Affaires culturelles dont la mission était de « rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français, d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent 1 ». À l’occasion du cinquantenaire du ministère, l’ouvrage publié par les Éditions du Patrimoine et du Centre des monuments nationaux met en lumière l’un de ses rôles, somme toute peu valorisé, celui de bâtisseur.
Une chronologie, des réalisations illustrées et le cadre réglementaire
La première partie évoque les grandes périodes de cette politique jusqu’aux toutes récentes réalisations en passant par les grands travaux des années quatre-vingt. Une deuxième partie présente quelque trois cents réalisations : maisons de la culture, salles de spectacle, monuments historiques, musées, centres d’art, bibliothèques et médiathèques, archives, centres de formation et bâtiments administratifs (principalement les directions régionales des affaires culturelles, mais pas uniquement, puisqu’une courte notice est consacrée au Centre national du livre). Enfin, la dernière partie, plus resserrée, fait le point sur l’évolution législative et réglementaire de la maîtrise d’ouvrage publique (MOP), analyse la notion de maîtrise d’ouvrage (MO) pour les projets culturels tout en proposant un index des grands acteurs, architectes, urbanistes ou hommes politiques, qui ont contribué à l’écriture architecturale des lieux de la culture. L’illustration abondante de cet ouvrage est, pour partie, le fruit d’une commande passée auprès de cinq photographes plasticiens : Ianna Andréadis, Sandrine Marc, Jürgen Nefzger, Jacqueline Salmon et Gilles Vilquin.
« Nous sommes chargés de l’héritage du monde, mais il prendra la forme que nous lui donnerons 2 »
L’intitulé de la première contribution, « Entre politiques culturelles et équipements culturels : l’architecture d’Éric Lengereau 3 », pose d’une manière juste toute la problématique de la place de l’architecture culturelle, qui résulterait d’un effort anonyme permettant à l’homme de se révéler à lui-même. Ainsi s’installe ce jeu permanent entre le désir de représentativité et la réalité d’une offre culturelle qui connaîtra, durant cette cinquantaine d’années, des « bonheurs variés ». La première décennie (1959 – 1969) sera marquée par la mise en place de ce qui fondera la légitimité de l’État en matière culturelle, avec la construction des Maisons de la culture. Tout est affaire de symbole : marquer la rupture, donner des signes, regarder vers l’avenir. L’entre-deux-mai (1969 – 1981) sera quant à lui consacré à la recherche de la cohérence, de l’insertion urbaine, alors qu’apparaissent, au sein du ministère de la Culture, de nouvelles attributions (la totalité des maillons de la chaîne du livre par exemple) 4 qui lui permettront « d’imaginer » la Bibliothèque publique d’information (BPI) au sein du Centre Georges Pompidou. La période suivante (1981 – 1995) peut être lue comme une course contre le temps. Valéry Giscard d’Estaing l’avait appris à ses dépens. François Mitterrand en fera une obsession, alors même qu’il devra faire face à deux alternances politiques. Le Président ordonnateur devient l’archétype du bâtisseur dont l’imprimatur marque la politique des grands travaux, laissant le soin à chaque locataire de l’Élysée d’inscrire son règne républicain sous le sceau de la pierre. Pour Jacques Chirac, ce fut le Musée du quai Branly ; pour Nicolas Sarkozy, ce sera le futur Musée de l’histoire de France.
« Le paradis, à n’en pas douter, n’est qu’une immense bibliothèque 5 »
Le parti pris de l’ouvrage, exposé dans la préface de Christine Albanel, donne le ton au deuxième chapitre, qui passe en revue une série de réalisations en fonction de leur typologie. Sont présentés en premier lieu les bâtiments dont la maîtrise d’ouvrage a été assurée directement par l’État puis, dans un second temps, une sélection des réalisations se voulant emblématiques ou symboliques, auxquelles il a participé, soit « financièrement », soit « par sa force d’entraînement ». La contribution consacrée aux bibliothèques et médiathèques a été rédigée par Christophe Séné, conservateur des bibliothèques, et Marc Germain, architecte-conseil, qui œuvrent de concert sur ces dossiers au service livre et lecture 6 du ministère de la Culture et de la Communication. L’importance de l’action du ministère dans ce domaine, si elle ne peut pas se mesurer uniquement à la simple place rédactionnelle qu’occupent les bibliothèques dans cet ouvrage collectif (soit 17 %, ce qui la place en tête), est la preuve éclatante que maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre se sont saisis de la question pour en faire un objet de débat. En privilégiant l’approche chronologique, les auteurs nous invitent à feuilleter un album de famille retraçant une aventure collective dont on perçoit assez clairement les enjeux. Bâtiment symbolique, la bibliothèque est aussi un espace fonctionnel qui doit répondre à des attentes, des usages, et aux besoins des professionnels. Si le rôle de l’État est mis en valeur dans un recensement unique et exemplaire des bibliothèques départementales de prêt, outre la Bibliothèque nationale de France, les programmes des bibliothèques à vocation régionale (BMVR) et des « Ruches » permettent cependant de démontrer que les énergies conjuguées des collectivités territoriales et de l’État, au travers du dispositif du concours particulier de la dotation générale de décentralisation, ont permis la réalisation de bâtiments forts où la « créativité comme la recherche ont été d’évidence au rendez-vous » comme le souligne Marc Germain.
« L’art c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art 7 »
Au total, Architectures de la culture, culture de l’architecture déçoit, malgré la grande qualité formelle de sa réalisation. Se voulant exhaustif (ce qu’il n’est pas), il ne donne qu’à survoler des équipements parfois très connus, laissant dans l’ombre des réalisations dont l’intelligence fonctionnelle et la beauté formelle auraient mérité d’être mieux mises en valeur. Conçu en fait comme un catalogue d’exposition 8, un objet hybride, ni beau livre ni ouvrage scientifique, il est cependant un premier outil utile pour retrouver une réalisation, se remémorer un nom d’architecte ou pour se souvenir que l’intervention du ministère de la Culture ne concerne pas uniquement de grandes réalisations parisiennes mais aussi des bâtiments plus modestes.