Les bibliothèques, entre imaginaires et réalités
Actes des colloques Bibliothèques en fiction (8-9 juin 2006) et Bibliothèques et collections (25-26 juin 2007) organisés par l'Université Artois, Textes & cultures
Arras, Artois Presses éditions, 2009, 483 p., 24 cm
ISBN 978-2-84832-097-7 : 28 €
Ces 29 contributions reprennent des interventions aux deux colloques organisés par l’Université d’Artois en 2006 (« Bibliothèques en fiction ») et 2007 (« Bibliothèques et collections »), ici regroupées indistinctement en quatre rubriques : « Collections : réalités et représentations », « Institutions, érudition, pouvoirs », « Imaginaires critiques », « Bibliothèques d’écrivains ».
Réunis par Claudine Nédelec, ces travaux sont largement placés sous l’égide d’Alain Viala, qui signe ici une apostille où il réconforte la critique en avouant que « l’impression qui domine est celle de la diversité ». Certes. Tentons d’y voir quelques lignes de force.
La bibliothèque dans la littérature
L’interrogation sur les représentations, l’image et l’imaginaire de la bibliothèque, traverse l’ensemble des contributions, même quand il s’agit d’étudier la réalité, ici « La constitution d’une collection en bibliothèque de lecture publique » (Cécile Rabot), « Création des sections pour enfants » (Alain Chiron) ou « Bibliothèques et publics » (Isabel Fernandez) : représentation de la bibliothèque comme lieu du livre plutôt que lieu du lecteur, représentation de la lecture (lecture scolaire, lecture plaisir), modèle américain de bibliothèque, représentations du public.
Mais c’est surtout dans le registre de la fiction que le terme imaginaire est décliné. Le « motif littéraire de l’attachement à une bibliothèque » (Michèle Rosellini), à la lecture, est décrypté ici, depuis Don Quichotte bien sûr, jusqu’aux femmes savantes, précieuses ridicules, page disgracié et autre berger extravagant.
« Comment se fabrique l’image de la bibliothèque ? », s’interroge Nathalie Grande. Là aussi, les textes sont appelés à témoigner, avec Umberto Eco, Furetière, Montesquieu ou Cyrano de Bergerac. Les textes, les auteurs – mais pas les lecteurs.
Les bibliothèques d’écrivains
La dernière partie de l’ouvrage est consacrée aux bibliothèques d’écrivains. À nouveau, signalons l’éclectisme des sujets traités : Vincent Voiture, Montaigne, La Rochefoucauld, Pierre Benoît ou Georges Perec. Signalons les contributions sur Emma Bovary (élevée au rang d’écrivain), la bibliothèque de Claude Mauriac (celle de son père, et ses avatars) et les livres de voyage : Stevenson, Melville, le Nautilus de Jules Verne et sa bibliothèque-microcosme, et la typologie des baleines (dans Moby Dick) classées en in-folio, in-8° ou in-12°.
« Une grande diversité », disait Alain Viala : c’est bien le sentiment qui domine. Peut-être parce que les contributions sont nombreuses et courtes, donnant un sentiment d’émiettement. Grande diversité, aussi, dans la qualité des articles. « La Bibliothèque Charpentier » (Marianne Duflot) comporte trop d’approximations, d’affirmations discutables ou de truismes : « sans éditeur pour publier ses écrits puis les diffuser, un auteur a peu de chances d’être connu/reconnu par le public », « le support Internet », « il faut respecter ses propres aspirations artistiques et littéraires », « savoir publier en masse ne sert à rien si les acheteurs ne sont pas au rendez-vous. »Inversement, une petite perle : « La bibliothèque dans Les désastreuses aventures des orphelins Baudelaire» (Christine Prévost), saga où les 12 tomes de ces aventures présentent chacun une bibliothèque, où l’on découvre un hôtel organisé selon la classification Dewey (la chambre 831 abrite une « petite réunion de poètes allemands »), où la bibliothèque est à la fois un havre de paix et la solution aux problèmes affrontés par les enfants, un mot et une réalité dont la définition symbolique est riche et complexe (« Bibliothèque est l’un de ces mots dont le sens peut déborder de sa signification première »).
Pour des bibliothécaires, ce recueil est étrange, voire exotique : l’approche est résolument celle d’enseignants ou chercheurs en histoire de la littérature. Elle n’est ni celle des bibliothécaires (tant mieux, on a ce qu’il nous faut par ailleurs), ni celle des lecteurs (sujet absolument ignoré), ni celle des acteurs politiques, ni celle des sociologues, etc. L’imaginaire de la bibliothèque des contributeurs de cet ouvrage est majoritairement tourné vers un rassemblement (privé) de livres – pas une offre publique, pas une institution, pas un projet culturel, pas un outil de formation. La bibliothèque est ici une métonymie pour lecture de fiction. Ce choix est à la fois intéressant mais, pour une bonne part, frustrant. Les frustrés se reporteront à l’analyse de Robert Damien dans son livre La grâce de l’auteur : essai sur la représentation d’une institution politique : l’exemple de la bibliothèque publique, Encre marine, 2001.