Pour le livre : rapport sur l’économie du livre et son avenir
Hervé Gaymard
ISBN 976-2-07-012657-6 : 10 €
Ce texte est la version imprimée d’un rapport rendu à la ministre de la Culture et de la Communication, Christine Albanel 1
Le prix unique du livre
Comme le souligne son rapporteur-auteur, ce rapport est né d’une circonstance : le vote de la loi dite de modernisation de l’économie qui s’interrogeait sur le maintien du prix unique du livre : énième tentative depuis l’instauration de cette loi, le 10 août 1981, d’en rogner, sinon la fin, du moins les moyens.
Et le livre numérique ?
Si ce rapport est un peu décevant, ce n’est pas pour ce qu’il traite (nous y reviendrons), mais pour ce qu’il laisse dans l’ombre : le livre numérique. Sur ce point, ce rapport Gaymard renvoie au rapport Patino, qui souffre quand même de quelques insuffisances, sans doute nées de l’incertitude qui pèse aujourd’hui sur le livre numérique, et les angoisses conséquentes : qu’est-ce qui, demain, sera totalement numérique ? Qu’est-ce qui perdurera, et quel en sera le modèle économique ? S’il s’agit bien d’inconnues, nous nous en tiendrons là pour ce document : et pourtant, les éditeurs sont préparés, ils savent à peu près ce qui va disparaître. La presse, par exemple, qui est à la fois la grande perdante et celle qui innove le plus (avec les sites Mediapart et Rue89, par exemple, sur deux modèles différents). Renvoyons, pour cela, aux interventions de François Gèze (PDG des éditions La Découverte) et François Rouet (chargé d’études au Département des études de la prospective et des statistiques au ministère de la Culture), lors du colloque Horizon 2019 2, organisé par l’Enssib les 19, 20 et 21 novembre 2009.
Des chiffres
Le grand intérêt de ce rapport est sans nul doute l’ensemble des données chiffrées fournies : nombre de librairies, chiffre d’affaires de l’édition, poids par rapport aux autres secteurs culturels. « Et nous savons combien notre siècle, écrivait déjà Alexandre Vialatte 3, est celui de la précision. Appuyée sur la statistique. La statistique est une science étonnante. Elle donne des certitudes chiffrées. Elle a prouvé que, dans huit cas sur dix, les boulangers sont des hommes qui fabriquent du pain. Ce qui confirme un pressentiment qu’on avait déjà dans cette affaire, mais sans preuve scientifique, et par pure intuition. Et voilà ce qu’il y a de beau avec la statistique : ce qu’on savait bêtement avant elle, on le sait ensuite scientifiquement. »
Reprenons. Il s’ensuit une histoire de l’adoption de la loi sur le prix unique du livre. On le sait maintenant, si l’adoption à l’Assemblée nationale fut aisée, le passage en Conseil des ministres fut plus délicat, déjà les finances fourbissaient leurs armes. Le rappel, bien qu’ancien maintenant, des vicissitudes de cette loi (et son amélioration par décrets permettant le renforcement des sanctions), le panorama des situations des pays de la communauté européenne, avec des études comparatives sur l’évolution du prix et des commerces de vente, le bilan bien argumenté sur le nombre de librairies, ainsi que, pour la première fois sans doute depuis longtemps, l’estimation du nombre d’ouvrages pilonnés, font de ces chiffres des données tout à fait essentielles, à ajouter à l’ouvrage Le prix du livre, 1981-2006, la loi Lang, publié par l’Imec 4 en 2006.
Encore le prix unique du livre
Les mesures proposées sont toutes empreintes d’une grande prudence : si la suppression du rabais de 5 % autorisé paraît pour l’auteur une mesure importante pour assurer une meilleure rentabilité en librairie (rappelons que celle-ci est de 2,5 % pour les librairies de premier niveau), elle ne lui semble pas populaire ; mais, permettons-nous de le rappeler : le prix unique, en 1981, n’était pas une mesure populaire ; et Catherine Lalumière, alors secrétaire d’État chargée de la consommation y était très hostile, au nom du pouvoir d’achat. La question des tarifs postaux, dont on s’aperçoit au passage qu’ils sont les plus élevés de la communauté européenne, 5,30 euros en France pour 0,85 euro en Allemagne, et après on s’étonnera que les Allemands lisent (peut-être plus), reste en suspens. La suppression des rabais pour les livres scolaires tout autant, alors même que c’est une belle anomalie : la justification par le recours aux marchés par quelques conseils régionaux peu soucieux du devenir de la librairie ne nous semble pas un argument très recevable.
Bref, tout ce qui est du domaine de la loi est gentiment évacué, sauf la question du raccourcissement des délais de paiement aux fournisseurs, qui fait l’unanimité contre elle dans le secteur, et renvoie, comme le faisait le rapport Patino, aux contrats, et aux négociations. Il n’empêche que, sans l’œil bienveillant, attentif, de la Direction du livre, ces négociations ont peu de chances d’aboutir à quoi que ce soit : tarifs postaux, marchés scolaires, transports, etc. Signe des temps : la puissance régulatrice de l’État, sans arrêt invoquée, souhaitée, par un secteur pour qui c’est vital, est renvoyée à une date ultérieure.
Faut-il en vouloir à l’auteur ? Sans doute pas, et s’il nous enseigne quelque chose, au final de ce rapport, c’est que lire est un luxe, une cause et même une conséquence de la lenteur. Finissons avec Vialatte, dont Hervé Gaymard est à la fois un connaisseur et un admirateur :
« Avec de la vitesse, on fait tout, sauf de la lenteur. Et par exemple on perd son temps beaucoup plus vite. Avec de la lenteur, on perd son temps lentement. Donc moins. Une civilisation qui se prive de la lenteur n’est pas dans le sens de la nature. »
Et voilà, tout est dit.