La nouvelle bibliothèque : contribution pour la bibliothèque de demain

par Jean Claude Utard

Claude Poissenot

Voiron, Territorial Éditions, 2009, 86 p., ill., 30 cm
Coll. Dossiers d’experts
ISBN 978-23529-5766-9 : 49 €

Claude Poissenot est bien connu des bibliothécaires : enseignant et chercheur en sociologie à l’IUT (institut universitaire de technologie) de Nancy, il intervient régulièrement dans les congrès et journées d’étude pour remettre en question quelques certitudes et affirmations de la profession. Dans le cadre de ces interrogations, il a également fondé un groupe de travail dont l’expression est un site internet au titre explicite : http://penserlanouvellebib.free.fr.

Dans la lignée de ces travaux, arrive aujourd’hui un ouvrage construit en trois parties : une remise en question d’un modèle décrit comme « en bout de souffle », une interrogation qui veut « reposer la question des missions », enfin un « portrait de la nouvelle bibliothèque ».

Un état des lieux

Les deux premières parties sont essentiellement fondées sur une critique de « l’impossible prescription » : les bibliothèques – leurs architectures, leurs espaces et surtout leurs collections – demeureraient marquées par une volonté de prescription, s’adressant à un utilisateur abstrait, en décalage avec les demandes réelles et en particulier avec celles des catégories populaires qui n’y retrouvent aucune de leurs références familières. De même, tournées vers un usage individuel, elles ne sont pas capables d’intégrer les groupes, spécialement les collégiens et adolescents, et plus généralement de répondre aux besoins des nombreuses personnes qui ne se retrouvent pas dans les processus d’individualisation prônés dans le modèle qu’implicitement ces établissements érigent. Du coup, la fréquentation des bibliothèques est fragile (Claude Poissenot enregistre dans ses recherches une érosion de leur fréquentation, constat validé par les chiffres de la dernière enquête sur les pratiques culturelles des Français), les réussites en termes de démocratisation de la lecture, faibles, et, selon lui, ces résultats fort timides exigent une remise en cause des missions que les bibliothécaires s’attribuent.

Portrait de la future bibliothèque

Le portrait d’un nouveau modèle doit donc « partir de la conception en vigueur de l’individu et permettre la construction à la fois de l’autonomie individuelle et aussi du lien social ». Cette partie, je l’avoue, m’a déçu : elle est aussi belle qu’un programme politique d’avant élection. Personnellement, je n’y retrouve guère à redire : la bibliothèque doit partir des usagers et leur offrir des espaces et mobiliers dédiés à toutes leurs pratiques, promouvoir aussi bien l’usage studieux que celui de détente et de loisir qui doivent être légitimés. Les collections doivent arrêter de viser une « qualité » hypothétique, mais inclure les succès populaires et les présenter avec un nombre suffisant d’exemplaires. Les horaires doivent être élargis, la gratuité défendue, l’emprunt facilité (quotas de prêt simples, souplesse des temps d’emprunt, inscriptions à distance possibles, etc.), y compris par des automates qui assurent une plus grande liberté aux usagers. La bibliothèque doit être numérique : portail web 2.0, postes multimédias, jeux vidéos autorisés, possibilité pour les usagers de venir avec leur portable et d’avoir de la wi-fi. Elle doit aussi être implantée dans des zones de passage ou d’activité, y compris dans des centres commerciaux, et proposer des animations, celles-ci devant être variées, s’adresser à toutes les catégories de public et ne plus seulement se focaliser sur la culture légitime. Enfin, le personnel doit être accueillant et disponible, aimer le lecteur et être à même de renseigner et d’animer les services.

Quel bibliothécaire refuserait de souscrire à un tel programme ? Mais comment, concrètement, mettre en œuvre ces belles déclarations d’intention ? Les exemples sont hélas peu nombreux et, au final, reposent sur une notion simple tirée de la distinction opérée par Bernard Lahire entre culture chaude et culture froide. La culture chaude est celle de la détente et du loisir, de la participation et de la convivialité, la froide celle de l’étude, de la distance, de la forme et de l’expérience individuelle. Claude Poissenot applique alors de manière systématique cette distinction au schéma d’organisation de la nouvelle bibliothèque en distinguant deux sous-parties : une bibliothèque froide, où le silence est garanti et où les collections sont tournées vers l’étude, et une bibliothèque chaude, plus proche de l’entrée (il est plus facile d’aller d’une zone chaude vers une froide que l’inverse) et qu’il faudrait d’ailleurs avoir le courage de baptiser bibliothèque de divertissement. Dans cette zone, le silence n’est pas la règle et la priorité doit être donnée aux visiteurs sur les documents. Des collections chaudes y sont implantées : littératures de genre, classées d’ailleurs par genre – cela inclut aussi bien le policier, la SF que la littérature de terroir, mais aussi la littérature érotique, la littérature gay et lesbienne, le rap, la techno et le R&B, sans oublier les BD et mangas. Enfin, on y retrouve aussi bien l’espace adolescent que l’implantation souhaitable d’une cafétéria.

Faisons abstraction du vocabulaire ou du schéma un peu réducteur présenté ici : construire des espaces différents, dédiés à des publics et des usages différents, n’est-ce pas ce à quoi s’emploient tous les bibliothécaires (ou presque) ? Distinguer des zones de loisir et des zones d’étude studieuse, n’est-ce pas ce que tout aménagement ou construction de bibliothèque prévoit aujourd’hui ? Les lieux passerelles, dédiés à la découverte, aux loisirs, aux faibles lecteurs, à ceux qui préfèrent les écrans ou les revues fleurissent, qu’ils s’appellent « Pôle Intermezzo » à la bibliothèque Cabanis de Toulouse, ou « espace Passerelle » à la toute récente médiathèque La Clairière de Fougères, voire simple « section passerelle » à la médiathèque Croix-Rouge de Reims. Bref, les réalisations ne manquent pas. Et, point par point, on pourrait trouver de multiples exemples qui donneraient chair aux vœux de Claude Poissenot. La simplification des règles de prêt est, par exemple, largement avancée dans de nombreux établissements, y compris dans le réseau des bibliothèques de Paris.

Même s’il subsiste des points de résistance, sur les collections en particulier, le modèle prescripteur décrit par Claude Poissenot me semble donc largement fantasmé, et sa nouvelle bibliothèque d’ores et déjà exister.

Remercions cependant l’auteur de nous rappeler que nos établissements sont toujours en construction et nos pratiques en discussion. Toute bibliothèque doit, au final, non point être un modèle, mais une œuvre évolutive et réactive, souple, adaptable à l’évolution des publics et des usages. De cela, nous sommes tous convaincus.