Pour l'autonomie des personnes handicapées mentales

Le projet Pictomédia

Girish Muzumdar

Pictomédia est un projet de communication par pictogrammes qui a pour objectif l’autonomie de la personne déficiente intellectuelle dans toutes les facettes de sa vie, personnelle, sociale et professionnelle. Il repose à l’origine sur une base de données de pictogrammes cohérente (plus de 2 000 actuellement) et de logiciels permettant la création de documents pictographiques (Pictomédia Scribe). D’autres logiciels (en cours de conception ou finalisés) pour faciliter les déplacements, l’accessibilité numérique et l’apprentissage de la lecture, du français langue étrangère et de l’écriture peuvent être proposés en bibliothèque, lieu clé d’accès à l’autonomie.

Pictomédia is a pictogram-based communication system designed to encourage people with intellectual disabilities to develop autonomy in their personal, social, and professional lives. It is based on a database of over two thousand pictograms and Pictomédia Scribe software for editing pictographic documents. Other software programmes are currently being designed or used in improving ease of movement and digital access and for teaching reading, writing, and French as a foreign language. These should be taken up by libraries, which can play a key role in developing autonomy for the intellectually disabled.

Pictomédia ist ein Projekt der Kommunikation durch Piktogramme, das die Autonomie eines geistig Behindertern in all seinen Lebensbereichen, persönlichen, sozialen und beruflichen, zum Ziel hat. Es beruht ursprünglich auf einer kohärenten Datenbank von Piktogrammen (momentan mehr als 2 000) und Programmen, die die Herstellung piktografischer Dokumente ermöglichen (Pictomédia Scribe). In der Bibliothek, Schlüsselort zum Zugang zur Autonomie, können andere Programme (in der Entwicklung oder ausgearbeitet) zur Vereinfachung der Fortbewegung, des digitalen Zugangs und des Erlernens von Lesen, Französisch als Fremdsprache und Schreiben, angeboten werden.

Pictomedia es un proyecto de comunicación mediante pictogramas que tiene por objetivo la autonomía de la persona deficiente intelectual en todas las facetas de su vida, personal, social y profesional. Este descansa en el origen sobre una base de datos de pictogramas coherente (más de 2000 actualmente) y de programas que permiten la creación de documentos pictográficos (Pictomedia Scribe). También otros programas (en curso de diseño o finalizados) para facilitar los desplazamientos, la accesibilidad digital y el aprendizaje de la lectura, del francés lengua extranjera y de la escritura pueden ser propuestos en biblioteca, lugar clave de acceso a la autonomía.

Fermez les yeux. Imaginez-vous au Japon ou dans tout autre pays dont vous ne lisez pas la langue. Le fin fond de l’Inde, par exemple. Imaginez-vous en train de chercher une adresse dans le dédale des rues de Tokyo, où même les chauffeurs de taxi se perdent. Ou en train de manipuler des appareils dont on vous a déjà expliqué le fonctionnement mais dont vous ne souvenez plus de toutes les étapes ni de leur ordre.

Voici, grossièrement transposé, le genre de difficultés que vivent au quotidien des personnes handicapées mentales ayant des problèmes d’apprentissage de la lecture.

Leur nombre est plus important qu’on ne le croit. D’après Le handicap en chiffres de février 2004, ces personnes représentent 5 % de la population française, soit 2 870 500 personnes, dont 336 700 vivent en institution et 2 533 800 en domicile ordinaire  1.

Le côté positif de la chose, c’est que « 80 % des déficiences intellectuelles se situent dans la zone des retards légers. Leur accessibilité à la vie sociale peut être augmentée en proposant des aménagements qui réduisent la complexité cognitive de l’environnement  2 ».

Toutefois, le chemin qui reste à parcourir est long. Est-ce parce que trouver des réponses aux problèmes cognitifs est plus compliqué ? Ou parce que le mot handicap est associé dans la conscience collective à une personne en fauteuil roulant ? Ou que l’autonomie en milieu ordinaire n’est pas toujours, pour quelque raison que ce soit, l’objectif premier ? En tout cas, l’autonomie de la personne déficiente intellectuelle dans toutes les facettes de sa vie personnelle, sociale et professionnelle, est l’objectif visé par le système de communication par pictogrammes que nous avons développé, Pictomédia  3.

Notre démarche fait confiance à la capacité de la personne déficiente intellectuelle à progresser dans l’autonomie avec des outils appropriés et parie sur l’effet boule de neige de ce processus, un petit pas en avant engendrant un acquis de compétences et une confiance en soi accrue, permettant ainsi de nouveaux progrès.

Genèse

Le projet Pictomédia est né d’une collaboration entre Maïa Interactive et un institut médico-éducatif du Nord de la France. Celui-ci se servait de documents pictographiques comme aide-mémoire pour des jeunes capables d’effectuer des tâches simples, mais qui avaient des difficultés à enchaîner seuls ces tâches pour réaliser des travaux plus complexes. Les consignes écrites étaient de peu d’intérêt car ils ne maîtrisaient pas la lecture.

Toutefois, l’utilisation de pictogrammes posait quelques problèmes. Il fallait créer des pictogrammes appropriés, trouver des images. Les pictogrammes étant sur support papier, « copier-couper-coller » s’entendait littéralement. Enfin, les pictogrammes personnels ne sont pas toujours compris en dehors des groupes qui s’en servent.

Le projet mis en place consistait donc à créer une banque de données de pictogrammes et un logiciel permettant la création de documents pictographiques, un « traitement de texte » pour pictogrammes, en quelque sorte.

Ce projet a été réalisé dans le cadre du programme européen Horizon avec un cofinancement de l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées), l’organisme chargé du développement de l’emploi des personnes handicapées dans les entreprises du secteur privé.

Pictomédia a toutefois été conçu, dès l’origine, comme un système dans lequel cette première réalisation a permis la création du « noyau », la base de données, et du premier outil, Pictomédia Scribe.

À partir de cette première réalisation, le système Pictomédia (figure 1) a beaucoup évolué, tant au niveau de la base pictographique que des outils et des applications (figure 2). Les publics concernés se sont également élargis. Des applications ont été développées pour d’autres publics confrontés à des problèmes de lecture : des personnes en situation d’illettrisme, des personnes ayant un niveau de qualification faible et des demandeurs d’asile.

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Figure 1. Le système Pictomédia

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Figure 2. Les pictogrammes au quotidien (extraits)

Pour que les pictogrammes deviennent des supports « universels », il faut également qu’ils se trouvent dans les loisirs quotidiens de la personne handicapée. Peut-être verrez-vous prochainement des histoires en pictogrammes !

La base de données Pictomédia

La base de données pictographique est au cœur du système Pictomédia. Elle contient plus de 2 000 pictogrammes répartis dans les domaines personnels, sociaux et professionnels. De nouveaux pictogrammes viennent enrichir la base régulièrement.

Le maître mot de cette base est cohérence. On aimerait certes créer des pictogrammes à la compréhension parfaitement intuitive. Face à l’impossibilité de cette tâche lorsque l’on aborde des thèmes quelque peu abstraits, sans aller jusqu’à la charte des droits et des libertés que nous avons également traduite en pictogrammes, la solution consiste à appliquer une logique et des règles à la conception et à la réalisation des pictogrammes.

La charte graphique et la charte sémantique assurent la cohérence des pictogrammes, et la charte syntaxique celle des documents.

De ces trois, la charte sémantique, fondamentale, est la plus étoffée. Elle consiste en des règles simples qui permettent néanmoins de décliner en pictogrammes tous les éléments d’une catégorie ou d’un concept.

Un exemple de règle : un verbe d’action est représenté par la partie du corps concernée, l’objet utilisé éventuellement, ainsi qu’une flèche de mouvement pour indiquer la trajectoire du geste (figure 3).

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Figure 3. Un exemple de règle : visser

Parfois ces règles sont mises à mal par de nouveaux besoins qui n’ont pas été prévus dans la règle d’origine. Ceci s’est produit une fois, pour la règle « Métier ». La règle initiale prévoyait la représentation d’une profession par un personnage dans les habits du métier portant ou se servant de l’outil ou de l’objet le plus souvent associé à ce métier. Cette règle n’a pas permis, ultérieurement, la création de pictogrammes tels que Secrétaire, Secrétaire comptable ou Assistante de direction. Elle ne permettait pas, non plus, la création de pictogrammes tels qu’Infirmier, Infirmière.

Par conséquent, une nouvelle règle a été formulée que vous déduirez sûrement des exemples de la figure 4.

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Figure 4. Médecins généralistes, pédiatre

Une règle sémantique peut également évoluer lorsqu’elle est trop fortement connotée culturellement ou contextuellement et que, par conséquent, les pictogrammes qui en découlent ne sont pas compris par d’autres.

C’était le cas, par exemple, du pictogramme « Semaine », inspiré par celui utilisé dans l’institut médico-éducatif et qui n’était pas compris, à juste titre, par les Afghans et les Turcs du centre de Sangatte où nous menions un projet pour des voyageurs en recherche d’asile. Nous avons donc numéroté les jours de la semaine, mais s’est alors posé le problème de l’ambiguïté du premier jour. Des symboles universellement connus représentant des religions ont permis d’ôter cette ambiguïté (figure 5).

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Figure 5. Les différents pictogrammes « Semaine »

Ce pictogramme a toutefois créé un problème inattendu. Lors d’une action menée dans un Centre d’accueil d’urgence, les éducatrices présentes ont contesté l’utilisation d’un pictogramme comportant des symboles religieux dans un établissement laïque ! Nous sommes donc revenus pour ce Centre au pictogramme avec les numéros et sans symboles.

Les améliorations apportées aux pictogrammes sont automatiquement répercutées sur les documents existants. En effet, les pictogrammes ne sont pas stockés avec les documents. À chaque ouverture, le programme recherche les pictogrammes du document dans la base pictographique. Par conséquent, suite à une mise à jour de la base, les documents s’ouvrent avec les dernières versions des pictogrammes.

La charte graphique assure la cohérence visuelle des pictogrammes de la base. Elle est moins élaborée, actuellement, que la charte sémantique.

La syntaxe Pictomédia est propre aux pictogrammes et ne consiste pas en une traduction littérale du français. Les pictogrammes suivent l’ordre du déroulement de la tâche (figure 6). Des travaux sont prévus pour adapter la grammaire de la langue des signes aux pictogrammes.

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Figure 6. Verser l’huile dans la poêle : prendre la poêle, prendre l’huile, verser l’huile dans la poêle

Un aspect important du système Pictomédia est la volonté de proposer plusieurs niveaux d’abstraction aux utilisateurs dans la création des documents. La raison en est que Pictomédia est prévu comme un tremplin destiné à ceux pour qui le saut entre la non-lecture et la lecture est trop important et non comme un système de communication alternatif dans lequel l’utilisateur se trouve enfermé.

Par conséquent, amener l’utilisateur à progresser du figuratif au symbolique l’aidera peut-être à terme à s’affranchir des pictogrammes.

La base pictographique propose deux types de pictogrammes, des pictogrammes spécifiques et des pictogrammes génériques. Les pictogrammes spécifiques sont explicites, alors que les pictogrammes génériques sont associés pour construire le message (figure 7).

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Figure 7. Pictogramme spécifique (à gauche) et pictogramme générique de « Prendre un verre »

Un travail dans la même optique est prévu au niveau de l’illustration elle-même.

La base pictographique est actuellement en cours de refonte. La nouvelle version sera multimédia.

La famille Pictomédia

– Pictomédia Scribe est le premier-né de la famille Pictomédia. Comme son nom l’indique, il permet la création de documents pictographiques à l’instar des traitements de texte. D’ailleurs, son interface est inspirée de ce type de logiciel afin de faciliter sa prise en main (figure 8).

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Figure 8. Interface de Pictomédia Scribe

– Pictomédia Imagier est un classeur de pictogrammes sur support papier.

– Pictomédia Access rend les personnes déficientes intellectuelles autonomes dans leurs déplacements. Ce projet, en cours de développement, est basé sur l’utilisation d’itinéraires pictographiques qui traduisent en images le parcours de la personne en y intégrant des repères géographiques existants. La personne peut donc se déplacer seule sans nécessité de signalétique supplémentaire dans l’espace public (figure 9).

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Figure 9. Exemples d’utilisation de Pictomédia Access

Ces parcours couvrent la chaîne de déplacement de la personne, qu’elle passe par le cadre bâti, les sites étendus, le milieu urbain ou les transports en commun. Un service d’assistance à distance assure la sécurité de la personne durant le déplacement. Ce service peut aller d’un simple téléphone portable avec une touche d’urgence qui appelle un éducateur ou un parent jusqu’à des solutions technologiques beaucoup plus élaborées mises en place par des associations, des collectivités, etc.

Un guide méthodologique pour la mise en place d’un tel service a été réalisé avec le concours financier de la Predim, la plateforme de recherche sur l’information multimodale au sein du Predit, un programme national de recherche dans le domaine des transports.

Pictomédia Access libère tous ceux qui ont besoin aujourd’hui d’être accompagnés dans leurs déplacements et facilitera grandement leur intégration dans le milieu ordinaire. Il peut être un excellent outil de navigation dans les bibliothèques de taille importante.

– Pictomédia iAccess vise l’accessibilité numérique des personnes déficientes intellectuelles. Cette démarche va au-delà de l’accessibilité web, qui en fait partie, bien entendu, pour chercher à donner l’accès aux outils informatiques et à l’écriture pictographique.

L’accessibilité à internet reste toutefois le volet principal de ce projet. Il s’agit de la création d’interfaces adaptées aux personnes déficientes intellectuelles.

Ces interfaces seront créées avec des outils pictographiques et informatiques conçus et réalisés dans le cadre du projet. Les créateurs de sites auront à leur disposition un ensemble de pictos/icones et des outils multimédias (son, animation…) pour permettre aux utilisateurs handicapés de naviguer dans le site et d’accéder aux ressources proposées.

Un projet de recherche en amont, en collaboration avec des laboratoires de psychologie cognitive, permettra d’identifier les freins et les facilitateurs d’accès aux sites. Les résultats de nos travaux seront formalisés sous forme de recommandations qui serviront de complément à celles proposées dans les Directives pour l’accessibilité aux contenus web (WCAG) du consortium W3C  4 et le Référentiel général d’accessibilité des administrations (RGAA).

Cette accessibilité web ne s’arrête pas au niveau des sites spécialement conçus pour des personnes handicapées. Une interface « universelle » permettra un accès, certes plus limité, à la plupart des sites.

Pictomédia iAccess facilite également l’accès aux logiciels et au matériel informatique grâce à des modes d’emploi rédigés en pictogrammes (figure 10).

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Figure 10. Exemple d’utilisation de Pictomédia iAccess

Pictomédia iAccess a été primé en 2008 au Carrefour des possibles Aquitaine, une opération régionale qui sélectionne les dix projets considérés les plus innovants dans le domaine des technologies de l’information et de la communication.

– Les pictogrammes ont également servi à créer une méthode d’apprentissage de la lecture : Pictomédia Lire. Pictomédia FLE (français langue étrangère) et Pictomédia Écrire sont en cours de finalisation.

Pictomédia Lire s’appuie sur des pictogrammes, des phonèmes codés en couleur et un lexique préétabli pour créer une méthode d’apprentissage « sans échec ».

Pour preuve, le mot ci-dessus est un mot français simple écrit en caractères hindi, la langue nationale indienne. En se servant des correspondances entre les couleurs et les sons, vous allez pouvoir le déchiffrer (figure 11).

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Figure 11. Exemple d’utilisation de Pictomédia Lire.(Pour des raisons techniques, les couleurs d’origine ont été transposées dans la charte couleur employée pour l’impression du BBF.)

La méthode est fournie avec plusieurs ressources, dont les principales sont le tableau de phonèmes, les phrases et les textes. Le tableau de phonèmes contient, pour chacun des sons de la langue française, le pictogramme et le mot référent ainsi que toutes les graphies utilisées pour ce son (figure 12). Les phrases et les textes pour chacun des phonèmes sont proposés en caractères noirs et en couleurs.

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Figure 12. Tableau de phonèmes

Par conséquent, l’apprenant n’est jamais bloqué dans sa lecture. En cas de difficulté, il n’a qu’à se référer à la version en couleurs du mot et se servir du tableau de phonèmes pour le déchiffrer.

Pictomédia FLE et Pictomédia Écrire étant basés sur les mêmes outils, ces trois méthodes forment un ensemble cohérent pour l’apprentissage d’une langue.

– Le logiciel Pictomédia pour non-lecteurs, en cours de finalisation, est certainement un des projets les plus intéressants de la famille Pictomédia. La communication par pictogrammes à ce jour est unidirectionnelle. Ce sont des personnes qui savent lire qui créent des documents pictographiques pour des personnes qui ne savent pas lire. Ce logiciel met l’écriture en pictogrammes à la portée des personnes handicapées. Tout ce qui est nécessaire à l’utilisation du logiciel se présente sous forme de pictogrammes. Le texte de l’interface est proposé pour faciliter le passage à la lecture de ceux qui en auraient des capacités (figure 13).

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Figure 13. L’interface du logiciel pour non-lecteurs

La création de ce logiciel a soulevé des questions conceptuelles extrêmement intéressantes, sur l’interface, la manière de nommer les documents et, surtout, sur la recherche de pictogrammes par l’utilisateur.

En ce qui concerne cette recherche, la solution retenue est une organisation en arborescence des pictogrammes, les catégories et les sous-catégories étant représentées par des pictogrammes. L’utilisateur parcourt cette arborescence pour trouver le pictogramme recherché (figure 14). Un référencement croisé permet d’avoir plusieurs chemins vers un pictogramme donné.

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Figure 14. Fenêtre de navigation

D’autres modes de recherche sont également envisagés (mondes virtuels, son...) afin que chaque utilisateur ait un mode de navigation qui lui convienne.

Les modes de recherche de pictogrammes dans la base peuvent être adaptés à une recherche d’information, ce qui permettrait aux personnes handicapées de naviguer dans les catalogues de bibliothèques à la recherche d’ouvrages.

Une question passionnante se pose également concernant la syntaxe. Lorsque les personnes déficientes intellectuelles se seront approprié ce logiciel, verra-t-on émerger une nouvelle syntaxe ?

Designed for all (Conçu pour tous)

Le champ d’application des ressources Pictomédia, conçues initialement pour les personnes déficientes intellectuelles, s’étend à d’autres publics ayant des problèmes de lecture ou de repérage spatio-temporel, par exemple les personnes en situation d’illettrisme, les personnes âgées, les personnes étrangères, etc.

Les déplacements des personnes en situation d’illettrisme et ceux des touristes peuvent être facilités grâce aux itinéraires Access simplifiés. Ces itinéraires pourront également servir aux personnes âgées ayant des troubles de mémoire. Les méthodes de navigation dans les catalogues peuvent servir aux personnes en situation d’illettrisme et aux personnes étrangères. Ces exemples ne sont donnés qu’à titre indicatif. L’imagination étant sans limites, bien d’autres applications seront certainement trouvées !

La communication par pictogrammes est également une opportunité pour faire bénéficier le milieu ordinaire des travaux du milieu protégé. Nous avons parfois tendance à considérer trop de choses comme acquises en milieu ordinaire. Tous ceux qui se sont débattus avec des consignes de montage de meubles en kit en savent quelque chose.

Or, créer une consigne en pictogrammes nous oblige à tout envisager, à tout valider et à tout formaliser. Une démarche qualité en somme !

Les sociétés qui font appel aux travailleurs des entreprises du milieu protégé pourront se baser sur leurs consignes pictographiques pour créer des fiches de postes de travail.

Partenariat de recherche

Les outils et les méthodes Pictomédia ont été développés avec de la rigueur, en validant les travaux à toutes les étapes. Malheureusement, ces travaux n’ont pas pu s’appuyer sur de la recherche, car il y en a peu dans ce domaine. Non pas sur les pictogrammes de signalétique, mais sur le langage pictographique. Nous cherchons donc actuellement à intégrer un volet recherche à tous les nouveaux projets, avec des équipes multidisciplinaires de préférence. Nous serons donc heureux de participer à des projets de recherche-développement ou de rencontrer tous ceux qui souhaitent participer à nos projets ou nous en proposer, que cette participation concerne la réalisation, l’expérimentation ou la recherche. Ce partenariat ne peut qu’être bénéfique aux travaux et contribuera à développer des ressources efficaces pour compenser le handicap des personnes déficientes intellectuelles.

Les enjeux

Car les enjeux sont importants. La tendance lourde va dans le sens d’une intégration sociale et professionnelle en milieu ordinaire. De plus en plus de parents la demandent, et les mesures spécifiques mises en place par l’État pour des personnes handicapées vont en diminuant pour être intégrées à des mesures de droit commun.

L’autonomie des personnes handicapées est une condition nécessaire à la réussite de cette intégration. Et pour cela il faut les préparer et leur proposer des ressources appropriées pour compenser leur handicap. Faute de quoi, cette intégration se fera à la manière de la personne que l’on pousse dans le bassin pour qu’elle apprenne à nager, avec tous les risques que cela comporte.

Viser l’autonomie enclenche un cercle vertueux, qui renforce à chaque pas en avant l’estime de soi et rend le pas suivant un peu plus accessible. Ce processus seul rendrait plus tangible le sentiment d’être citoyen à part entière. Dans les pays anglo-saxons, (plus tournés vers l’autonomie ?), le mouvement de « self advocacy », ou l’autoreprésentation, prend de l’ampleur. Ce sont des personnes handicapées mentales qui veulent parler en leur nom propre au lieu que d’autres le fassent à leur place.

L’accès à l’information, et plus largement à la culture en général, est essentiel à toutes ces démarches, pour agir, pour se distraire, pour s’éduquer…

Les bibliothèques sont des lieux clés pour proposer ces accès et leur participation à ce processus ouvrira les portes de la connaissance, dont l’acquisition est une valeur en soi, à de nouveaux publics. De nouveaux ouvrages adaptés à ce public pourront jaillir de cette rencontre.

Docu-fiction : un après-midi à la bibliothèque

Ce sont les vacances et Patrick s’ennuie à mourir. Gérard et Jean, ses copains de l’institut médico-éducatif, sont partis à la mer avec leurs parents. « Va à la bibliothèque », lui dit sa mère, excédée de le voir tourner en rond comme un lion en cage. « Bonne idée », se dit Patrick et il s’en va chercher ses affaires.

Il revient avec son sac à dos, le livret pictographique que sa mère a réalisé et son téléphone portable. Sa mère vérifie que le portable est chargé et qu’il fonctionne correctement. En cas de problème en chemin, Patrick se servira de la touche rouge « Urgence » pour appeler sa mère. Celle-ci règle également l’alarme pour 17 heures pour que Patrick sache quand il doit rentrer à la maison.

Et le voilà parti. Dans la rue, Patrick savoure la joie de sortir seul, comme un grand. Avant, il fallait toujours qu’il soit accompagné. À l’arrêt de bus, il sort son livret pour consulter son itinéraire. Il ne veut pas se tromper de bus. Son itinéraire se lit comme une bande dessinée, retraçant son parcours en pictogrammes et en détail, avec des photos des lieux qui servent de repères à Patrick. Un bus arrive. Patrick regarde la couleur de la ligne et le numéro qui y est inscrit. Il ne sait pas lire, alors il compare les deux images. C’est bon, c’est son bus.

Arrivé à la bibliothèque, il s’arrête à l’accueil. Tous ses parcours à l’intérieur de la bibliothèque partent d’ici. Il ouvre son livret à celui qui mène à la salle audiovisuelle. Patrick a envie de regarder un DVD sur les chevaux. La veille, son père lui a raconté une histoire de cheval qui lui a beaucoup plu. « En route », se dit-il, son itinéraire pictographique à la main. Il est content parce qu’il se débrouille de mieux en mieux et ne regarde pas son livret autant qu’avant.

Dans la salle audiovisuelle, Patrick s’installe à un ordinateur libre, met les écouteurs et clique sur l’icone de son programme. Sa bibliothèque expérimente un nouveau catalogue en ligne conçu pour des personnes comme Patrick, et plus largement pour des personnes ayant des problèmes de lecture du français. Les ouvrages de la bibliothèque sont organisés en familles et en sous-familles, chacune représentée par un pictogramme. Patrick parcourt cette arborescence à la recherche d’un cheval. Ah, voilà le picto « Animaux ». Patrick clique dessus et l’écran affiche une grande variété de pictos d’animaux. Il trouve le cheval et clique à nouveau. Apparaît alors la liste de tous les ouvrages concernant les chevaux. Patrick se sert des icones « haut-parleur » des fiches DVD pour en entendre une description. Il y en a un qui l’intéresse. Il imprime la fiche et s’en va chercher le DVD auprès de l’accueil de la salle.

Ensuite, le DVD à la main, il va chercher un lecteur de DVD libre. Son livret contient un mode d’emploi de l’appareil entièrement établi en pictos. Patrick en a encore besoin car il ne s’est pas assez servi du lecteur. Il sait introduire le DVD, mais ne se rappelle pas sur quel bouton appuyer pour le lire. Il regarde son mode d’emploi, le trouve et appuie dessus. Captivé par les images et l’histoire de ce grand cheval noir et ce petit garçon, Patrick regarde son film, subjugué. Il est déçu quand le film se termine et voudrait en chercher un autre.

C’est alors que son portable se met à vibrer. « Zut, se dit-il, il faut déjà partir ? » Il a bien envie de rester un peu, mais il sait que sa mère se fait du souci quand il est en retard. Il sait aussi qu’il va revenir le lendemain.

 

G.M.

    1. (retour)↑  Le handicap en chiffres, février 2004. Synthèse réalisée par Cécile Brouard, CTNERHI.
    2. (retour)↑   Yannick Courbois et Jean-Louis Paour, « Le retard mental », in Psychologie du développement et de l’éducation, direction Serban Ionescu et Alain Blanchet, Paris, Presses Universitaires de France, 2007.
    3. (retour)↑  http://www.pictomedia.com
    4. (retour)↑   L’organisme international qui supervise et favorise le développement de normes pour tout ce qui concerne le World Wide Web.