Bibliothekartag 2009

Retour sur le congrès de la fédération des associations allemandes de bibliothèques

Frédéric Blin

Du 2 au 6 juin 2009 s’est déroulé à Erfurt (Allemagne) le Bibliothekartag, congrès annuel de la fédération des associations allemandes de bibliothèques et bibliothécaires, qui a réuni environ 3 500 personnes  1. Missionné par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche suite à une invitation reçue de BI-International, structure mise en place par cette fédération et financée par le gouvernement fédéral allemand pour favoriser la mobilité professionnelle internationale des bibliothécaires  2, j’ai pu assister à une douzaine de sessions extrêmement riches, témoignant, la plupart du temps, de réflexions ou de réalisations similaires à – voire en avance sur – celles menées en France.

La place des bibliothèques dans le débat politique

La place des bibliothèques dans le débat politique a constitué l’une des thématiques principales du congrès, à travers notamment :

  • la présence de personnalités politiques de premier plan, qui ont particulièrement insisté sur le rôle des bibliothèques dans le processus éducatif et pédagogique ;
  • le contexte législatif, marqué par la promulgation par le Land de Thuringe en 2008 d’une loi sur les bibliothèques (il s’agit ici d’une revendication ancienne des bibliothécaires allemands ; d’autres Länder travaillent actuellement à l’adoption de lois similaires) ;
  • l’établissement d’une « alliance pour la préservation du patrimoine culturel écrit », à l’initiative des principales bibliothèques et archives patrimoniales du pays, et placée sous le haut patronage du président de la République allemande  3. L’objectif essentiel de cette alliance est qu’une politique nationale pour la préservation de ce patrimoine soit établie et qu’elle dispose de budgets spécifiques à hauteur de dix millions d’euros par an ;
  • le nombre important de sessions de travail ayant traité du rapport des bibliothèques avec le politique et du rôle de lobbying que doivent conduire les bibliothèques (en rapport avec le thème soutenu par la présidence de Claudia Lux à l’Ifla).

La crise économique mondiale s’est également invitée au congrès, par l’organisation d’une session dédiée à ses conséquences sur les bibliothèques, mais surtout par de nombreux témoignages relatant d’importantes réductions tant de budgets que de personnels dans les bibliothèques allemandes. Par analogie, la soumission à examen critique de la conservation numérique a mis en lumière l’importance de poser le coût de la conservation des données comme un critère essentiel pour la définition d’un projet de numérisation (il est nécessaire de définir ce qui mérite d’être conservé sous format numérique, pour justifier les coûts).

Réflexions et réalisations

Les apports d’un tel congrès, le plus important en Europe par le nombre de participants, sont évidemment très divers. Citons ici ceux qui nous semblent les plus significatifs, sans ordre particulier ni prétention d’exhaustivité :

  • les difficultés rencontrées par le projet de constitution d’une Bibliothèque numérique nationale allemande ;
  • la collaboration croissante des bibliothèques avec les autres institutions culturelles, archives et musées, autour de projets variés : préservation des collections culturelles en cas de catastrophe (Weimar), intégration de notices descriptives de documents de musées dans les bases de données bibliographiques des bibliothèques (projet UrMEL  4), constitution d’une bibliothèque numérique commune (projet digiCULT  5) ;
  • les projets d’inventaire et catalogage rétrospectifs des publications allemandes des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, qui se doublent d’un objectif de numérisation exhaustive de ces publications (programmes VD16, VD17 et VD18  6) ;
  • la mise en place d’infrastructures d’archivage numérique dans plusieurs universités allemandes (grâce notamment à l’outil national Kopal  7) ; la conservation numérique ne présente cependant pas les garanties suffisantes, tant du point de vue technologique que de celui de la soutenabilité économique, pour justifier la non-conservation des documents physiques (le microfilm reste de fait un support de conservation adapté aux besoins des bibliothèques) ;
  • l’interrogation sur le rôle des bibliothécaires dans l’administration des données de la recherche (« data librarian ») : responsabilité de la conservation, expertise sur les métadonnées, sélection des corpus à conserver, expertise juridique, formation des personnels scientifiques ;
  • une réflexion sur les futurs bâtiments de bibliothèques, mettant l’accent d’une part sur la modularité des espaces et d’autre part sur l’ergonomie des espaces de travail individuel ;
  • un nouveau modèle d’évaluation bibliométrique des publications scientifiques, le « facteur J », reposant sur la comparaison entre le taux de citation des publications d’une institution dans une discipline donnée, par rapport à la moyenne du taux de citation dans cette même discipline au niveau national, voire international  8.

Ce congrès fut l’occasion de rencontrer des collègues allemands, mais aussi du monde entier, et de visiter deux magnifiques bibliothèques : la bibliothèque universitaire et de recherche d’Erfurt, ouverte en 2000  9, et la célèbre bibliothèque Anna-Amalia de Weimar, qui allie un splendide bâtiment rococo avec des salles de lecture contemporaines remarquables  10.

Les résumés des interventions sont disponibles sur le site du congrès : j’y renvoie le lecteur souhaitant des précisions sur les points évoqués ou sur ceux que je n’ai pu mentionner. Qu’il me soit cependant permis de remercier ici les collègues allemands pour leur invitation et leur accueil chaleureux, et pour m’avoir permis de participer pour la première fois à cette manifestation extrêmement enrichissante.