Le métier de documentaliste

par Christophe Pavlidès

Jean-Philippe Accart

Marie-Pierre Réthy

3e éd., Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2008, 463 p., 24 cm
ISBN 978-2-7654-0961-8 : 42 €

Tous les auteurs de manuels le savent : une réédition peut osciller grandement entre une simple mise à jour, actualisant les connaissances sur le sujet sans trop bousculer la problématique, et une refonte plus fondamentale, faisant de cette réédition un véritable nouveau livre, qui, par ses changements mêmes, montre à quel point le sujet et sa problématique ont évolué. Bien entendu, toute une variété de nuances peut se rencontrer entre ces deux pôles (qu’on prenne les éditions successives de tel ou tel fameux « Que sais-je ? », pour ne rien dire du Métier de bibliothécaire), mais disons-le sans faux suspense, si la deuxième édition du Métier de documentaliste apportait déjà, en 2003, de substantiels changements au manuel de 1999, la troisième est bien (contrairement à ce que pourrait curieusement laisser croire une couverture cette fois quasiment inchangée) une véritable nouvelle édition refondue en profondeur et en partie repensée : comme le souligne dans sa préface Martine Sibertin-Blanc, présidente de l’ADBS, « il s’[...]est passé bien des choses depuis l’édition de 2003 ! ». La vague de l’internet et du tout-numérique a continué de submerger les documentalistes d’innovations techniques mais aussi conceptuelles : à l’heure du knowledge management et du records management, mais aussi à l’heure de l’usager « inter-acteur » (le web 2.0 et autres avatars sémantiques), la notion même de documentaliste fait débat : quel confort, à l’opposé, que celui du bibliothécaire accroché à « sa » collection, « son » espace, « son » public... sauf que, comme chacun sait en cette année de célébration de Darwin, le confort n’a jamais rendu plus intelligent ni plus apte à évoluer.

C’est donc (contrairement au précédent changement d’édition) le plan d’ensemble de l’ouvrage qui a été repensé, passant de six à cinq parties. Après la première partie sur « Documentation et utilisateur », le choix très significatif a été d’introduire une nouvelle partie sur « Documentation et recherche », qui étend en deux chapitres les développements sur la recherche d’information : il s’agit clairement de montrer à quel point cette dimension est centrale, et combien elle est commune au professionnel et à l’utilisateur. Les autres parties ont connu des regroupements : la partie « Documentation et organisation » englobe désormais l’ancienne partie sur les réseaux et l’informatique documentaire ; celle intitulée « Documentation et gestion » absorbe aussi la partie technique sur le circuit du document qui la précédait jusque-là ; enfin, la dernière partie sur « Documentation et société » est maintenue et actualisée. Bien entendu, les annexes sont toujours aussi riches, et tous les encadrés, bibliographies et listes sont soigneusement mis à jour également : en cela, cette nouvelle édition est dans la parfaite continuité de la dimension extrêmement pratique des deux précédentes, alliant la rigueur du propos à la commodité de présentation.

Exercice pratique

Manifestement, les auteurs ont aussi voulu faire de leur manuel un exercice pratique de documentation appliquée, et ils y sont parvenus bien au-delà de ce que procure d’ordinaire ce type d’ouvrage.Plus encore que dans les éditions précédentes, le tryptique documentaliste/utilisateur/recherche d’information prend définitivement le pas sur le circuit du document (qui n’est plus cité, en introduction, comme « cœur de métier » qu’avec des guillemets et l’épithète « traditionnel »). La valorisation de l’utilisateur, particulièrement sensible au long de l’ouvrage, n’est pas pour autant la disparition du professionnel (dont la dénomination reste, elle, toujours aussi problématique, « documentaliste » n’épuisant visiblement pas l’idée que les auteurs s’en font) : ce dernier se sublime en expert de l’information plus qu’en gestionnaire de service de documentation, avec des conséquences « sur le métier au quotidien, mais aussi sur la formation initiale et continue ». Tout se passe au fond comme si la victime, si victime il y a, de la numérisation et du tout-réseau, était en fait non pas le documentaliste, mais peut-être finalement le document lui-même, dans son acception classique : dématérialisé, connecté, directement enrichi, il s’efface plus que jamais derrière l’information qu’il véhicule. Le documentaliste, fort de sa double compétence d’« hyperspécialiste de l’information » et d’expert technologique, devient alors « le garde-fou de la bonne information ». Cette compétence, pour être reconnue, repose sur un lien renforcé avec l’utilisateur : e-learning, coproduction scientifique et, bien entendu, toutes les ressources du web 2.0 déjà cité ; on notera également, et cela fera évidemment écho pour les bibliothécaires, l’accent mis sur le « documentaliste-communicateur » : comment ne pas reprendre à notre compte, pour notre propre devenir professionnel, des termes tels que « son avenir dépend en grande partie de la manière dont il communique sur son travail et sur son rôle » ?

Les bibliothécaires aussi

On l’aura compris, et cela ne surprendra pas les lecteurs des deux premières éditions et de leurs recensions (BBF, 1999, no 5 et BBF, 2004, no 4) : la lecture de ce livre qu’il convient une fois de plus d’appeler un classique est non seulement de la plus grande utilité pour tous les documentalistes, futurs documentalistes, veilleurs, experts en information et leurs formateurs, mais aussi pour tous les bibliothécaires : face à des utilisateurs trop autonomes, trop empiriques (ah, Google et Wikipédia...), bien souvent les bibliothécaires sont tentés par le repli exclusif sur la gestion de la collection, fût-elle numérique ; les documentalistes, à qui cette tentation est par essence étrangère, sont eux obligés d’avancer plus vite et plus loin dans le service « à valeur ajoutée » et dans le dialogue avec l’usager : en refermant ce Métier de documentaliste, on rêverait presque qu’un peu plus d’incertitudes, voire de dangers, parviennent à rendre les bibliothécaires, eux aussi, un peu plus créatifs quant à leur avenir dans la société de l’information.