Bibliothèques et développement durable

Noëlle Drognat-Landré

Médiat Rhône-Alpes organisait le 23 janvier dernier la première journée en région consacrée au développement durable en bibliothèque *. La préparation scientifique de la journée était confiée à Alain Caraco (SCD de l’université de Savoie) qui, en ouverture, définissait le développement durable comme « le juste équilibre à inventer entre l’économique, le sociologique et l’écologique » – à quoi Didier Guilbaud (BDP d’Indre-et-Loire) ajoutait en synthèse la dimension du « spirituel ».

Les bibliothèques, en tant qu’acteur économique et lieu de médiation, ne sauraient rester étrangères à ces problématiques.

L’impact écologique de l’activité des bibliothèques : du bâtiment...

La conception des bâtiments, qui détermine largement la performance énergétique future de l’équipement, est bien évidemment un enjeu majeur, l’immobilier représentant à lui seul 45 % de la consommation globale d’énergie. Cet aspect fut traité à travers deux exemples, la réhabilitation de la bibliothèque cantonale de Liestal en Suisse, premier bâtiment public cantonal construit selon les principes du label suisse Minergie, et la construction de la future Bulac (Bibliothèque universitaire des langues et civilisations) à Paris.

Au plan technique, les mêmes principes se retrouvent dans les deux bâtiments : l’importance accordée à la qualité de l’isolation thermique du bâtiment, le traitement approfondi de l’éclairage et de la ventilation ; pour l’éclairage, le placement judicieux des sources lumineuses, la possibilité de faire varier l’intensité lumineuse en fonction des usages des différents espaces, l’utilisation d’éclairages économes en énergie (type LED ou tubes fluorescents), la multiplication des détecteurs de présence, le choix de revêtements de murs, sols et mobilier réfléchissant au mieux la lumière ; pour la ventilation, le bon sens recommande de donner la préférence à des systèmes de ventilation mécanique (système de ventilation à double flux, rafraîchissement par puits canadien et ventilation nocturne) et de réserver la climatisation éventuelle à des zones où elle est absolument indispensable ; on retrouve dans les deux cas le même principe d’enfouissement partiel ou total des magasins, ainsi protégés du rayonnement solaire et bénéficiant d’une régulation thermique naturelle. L’aménagement des abords et accès, qui influence fortement le comportement des usagers, fait également l’objet d’un soin particulier (proximité des transports publics, parcs à vélos).

Les intervenants insistaient enfin sur l’importance des réglages fins. Le combat se gagne « watt par watt », rappelait Yves Belmont, conseiller pour l’architecture à la direction régionale des affaires culturelles Rhône-Alpes, et grâce à « une politique de sobriété et d’efficacité », qui doit dans tous les cas précéder le recours à toute forme d’énergie, fût-elle renouvelable.

L’un des grands enseignements du projet Bulac réside dans le fait que la problématique du développement durable n’y a pas été traitée comme un volet à part du projet, mais a irrigué chacun des aspects de la conception du bâtiment. Pour l’architecte Yves Lion, maître d’œuvre du projet, « la démarche écologique, c’est d’abord du bon sens », et elle n’est pas réductible à l’application de normes – qui peuvent d’ailleurs générer des effets pervers – ; il est par ailleurs partisan de bâtiments de grande hauteur, visant à améliorer le coefficient d’occupation des sols et d’un bâti compact, avec peu d’ouvertures, afin de réduire les surfaces d’échange. Ces principes, à l’opposé des choix architecturaux effectués pour la grande majorité de nos modernes médiathèques, sont à méditer et, dans ce domaine comme dans d’autres, il faudra trouver des compromis entre exigences bibliothéconomiques et exigences architecturales.

... aux procédures de travail : agir et travailler autrement

Dans ce domaine également, la problématique du développement durable doit être abordée globalement : ce qui est en jeu, c’est un changement de manière de travailler, consistant à intégrer dans les missions et les modes de travail une logique différente. C’est l’une des conclusions que tirait Valérie Vesque-Jeancard de l’expérience qu’elle pilote depuis 2007 à la Bibliothèque nationale de France d’une démarche développement durable structurée et de grande envergure reposant sur trois principes : une démarche participative associant l’ensemble des personnels, un travail en partenariat et en réseau, une appréhension transversale et globale.

La BnF a identifié trois axes majeurs d’intervention pour une gestion éco-responsable : la réduction de l’émission de gaz à effet de serre (bilan carbone des bâtiments, audit énergétique et thermique des sites, recours aux énergies renouvelables, optimisation de l’existant) ; l’adoption d’une politique adaptée en matière de mobilité et de transport du point de vue des personnels (développement de la visio-conférence, rationalisation des convoiements, audit de la flotte automobile) comme des usagers (développement des services à distance, installation de parcs de stationnement vélos) ; une politique d’achat et de consommation responsable (inclusion dans les appels d’offres de clauses environnementales, recherche de dématérialisation pour toutes les procédures, gestion des déchets, etc.).

« Mettre le cœur de métier de la bibliothèque au service du développement durable »

Au-delà de l’exemplarité du secteur public, les bibliothèques en tant que lieu de médiation, d’échanges et de réflexion, ont une responsabilité à assumer, et très certainement un rôle d’accompagnement à jouer, pour entrer dans la société du développement durable.

La diffusion de l’information et du savoir sur le développement durable fait ainsi l’objet d’un volet spécifique du projet de la BnF, visant à « mettre le cœur de métier de la bibliothèque au service du développement durable » : constitution d’un corpus de ressources électroniques sur le sujet, création d’un centre de ressources en haut-de-jardin, mise en place dès janvier 2009 d’un cycle de manifestations et de conférences.

Dans le même ordre d’idée, la bibliothèque de Houilles (Yvelines) a organisé une série d’animations sur le sujet (expositions, débats, mise en place d’un point d’information « énergie »), y conviant les élus et y impliquant les services municipaux.

Didier Guilbaud rappelait à cet égard que l’action des bibliothécaires, à travers la position de conseil qui est souvent la leur, peut être également déterminante auprès des décideurs.

De cette journée dense, très riche en contenu, il ressort que le développement durable ne doit pas être abordé comme une nouvelle activité qui se développerait en sus et à côté des activités habituelles, mais bien comme une posture, un état d’esprit, qui doit imprégner l’ensemble de l’activité quotidienne des établissements, à tous leurs niveaux de fonctionnement : conception et gestion des bâtiments, comportements individuels et collectifs, procédures de travail, sensibilisation des publics.

Il est grand temps de se saisir de ces questions dans leur globalité ; il importe également de poursuivre la réflexion, notamment sur le milieu rural, où la problématique des déplacements est prégnante, ainsi que le rappelait Didier Guilbaud en conclusion de la journée.