L’art de lire : ou comment résister à l’adversité

Bertrand

Paris, Belin, 2008, 265 p., 22 cm
Coll. Nouveaux mondes, ISSN 1760-2629
ISBN 978-2-7011-4659-1 : 19 €

Les bibliothécaires connaissent les travaux de Michèle Petit, en particulier De la bibliothèque au droit de cité (BPI, 1997), et son intérêt attentif pour les effets de la lecture sur la construction ou la reconstruction de soi (Éloge de la lecture : la construction de soi, Belin, 2002). Ce nouvel ouvrage lui donne l’occasion d’un bilan des études qu’elle a menées ou rencontrées sur ce sujet, en particulier en Amérique du Sud où elle travaille régulièrement depuis dix ans.

« Comment résister à l’adversité » grâce à la rencontre avec des livres et avec des passeurs de livres ? Dans De la bibliothèque au droit de cité, cette adversité consistait en l’assignation sociale, la réclusion subies par les jeunes des quartiers populaires. Ici, le contexte est plus tragique, puisque, si l’on évoque la violence sociale, on parle aussi des guerres, de l’exode ou des catastrophes naturelles. Les jeunes concernés (il s’agit principalement d’enfants, d’adolescents ou de jeunes adultes) sont ainsi des jeunes abandonnés à eux-mêmes à la suite de deuils, ou hospitalisés, ou détenus, ou des toxicomanes ou d’anciens guérilleros. Mais l’action et le regard de Michèle Petit et de ceux dont elle retrace l’action « se situent au plus loin de la charité et des bonnes œuvres ». Ces intercesseurs, ces passeurs de livres sont dans une « problématique militante », dans un « projet politique ». Il s’agit, par la grâce de l’art du récit, de permettre à ces jeunes « d’organiser leur histoire et de la transformer », de leur ouvrir ou rouvrir le champ du langage (« Lire fait parler »), de leur offrir la possibilité de se reconstruire par le biais de la narration et de la symbolisation.

Bibliothèques ambulantes, clubs de lecture, ateliers : les activités proposées sont collectives. Et auto-reproductrices : les jeunes touchés par les passeurs de livres deviennent eux-mêmes des passeurs pour les enfants plus jeunes. La reconstruction individuelle se joue au sein de la communauté. Le symbole de cet ancrage pourrait être la chaîne humaine que les habitants de Guadalajara ont formée pour déménager leur bibliothèque. Mais, en même temps, la lecture est rupture et ouverture (« Les livres ouvrent le temps et l’espace »). Cette ambivalence est, en particulier, celle des jeunes exilés ou immigrés qui vivent entre deux cultures.

De quelles lectures parle Michèle Petit ? Bien sûr des contes, des récits mythologiques, de la poésie, mais aussi des albums pour enfants, des romans policiers, des bandes dessinées, des livres d’art, de Balzac ou Dostoïevski : beaucoup ont un « pouvoir réparateur », mais en particulier les « œuvres furieuses et grandes ».

La lecture permet de parler, d’apprendre, de comprendre, de symboliser. Et d’être attentif à la vie. C’est ce que nous dit la belle citation de Richard Ford qui conclut cet ouvrage : « En me faisant la lecture, [mon père] cherchait peut-être à me dire : Nous ne savons pas tout. La vie a plus de sens qu’il n’y paraît. Il faut être attentif. »