Mutualiser l’action des bibliothèques territoriales et universitaires :

répondre aux enjeux des formations initiale et continue

Christine Girard

Thierry Giappiconi

La massification de la formation initiale et la généralisation de la formation permanente constituent pour les bibliothèques un défi, qu’elles doivent aborder sous l’angle d’une action conjointe des bibliothèques publiques et universitaires. Si la fréquentation étudiante des bibliothèques publiques est une situation de fait, les expériences pionnières de coopération restent encore trop limitées, notamment en raison de nombreux obstacles. Cependant, avec le renforcement du rôle des collectivités territoriales, les politiques publiques devraient de plus en plus favoriser la mutualisation des ressources documentaires, humaines et matérielles des bibliothèques territoriales et universitaires.

Broadening access to university education and life-long learning represents a challenge for libraries, which public and university institutions must tackle together. While students do demonstrably use public libraries, pioneering experiments in cooperation between institutions remain scarce, particularly due to the numerous hurdles such projects must overcome. However, as territorial collectivities are given a more prominent role, public policy should develop in favour of pooling human, material, and documentation resources between territorial and university libraries.

Die Breitenausrichtung der Grundausbildung und die Ausweitung der Weiterbildung stellen für die Bibliotheken eine Herausforderung dar, mit der sie sich aus der Perspektive einer gemeinschaftlichen Aktion der öffentlichen Bibliotheken und der Universitätsbibliotheken nähern müssen. Auch wenn die Studentenbenutzung der öffentlichen Bibliotheken eine reelle Situation darstellt, so bleiben die wegbereitenden Erfahrungen der Kooperation doch noch zu begrenzt, insbesondere aufgrund zahlreicher Hindernisse. Dennoch sollte die Öffentliche Hand das Zusammenlegen der dokumentarischen, personellen und materiellen Ressourcen der regionalen Bibliotheken und Universitätsbibliotheken mit der Stärkung der Rolle der Gebietskörperschaften immer mehr fördern.

La masificación de la formación inicial y la generalización de la formación permanente constituyen para las bibliotecas un desafio, que éstas deben abordar bajo el ángulo de una acción conjunta de las bibliotecas públicas y universitarias. Si la frecuentación estudiantil de las bibliotecas públicas es una situación de hecho, las experiencias pioneras de cooperación permanecen aún demasiado limitadas, particularmente en razón de numerosos obstáculos. Sin embargo, con el reforzamiento del papel de las colectividades territoriales, las políticas públicas deberían cada vez más favorecer la mutualización de los recursos documentales, humanos y materiales de las bibliotecas territoriales y universitarias.

Enjeux, réalités et opportunités

Il est aujourd’hui banal d’évoquer les enjeux géostratégiques de la connaissance. Chacun convient désormais que la formation est indissociable du développement économique et de l’emploi, qu’il s’agisse de former les élites nécessaires au développement de la recherche ou de disposer de qualifications indispensables au maintien d’activités compétitives dans une économie globalisée. Il n’est pas non plus très original de rappeler à quel point la large diffusion des savoirs de base et des humanités est nécessaire à la cohésion sociale et à l’exercice de la démocratie.

La question de savoir comment et selon quelles modalités les bibliothèques peuvent contribuer à relever les défis de la formation reste cependant ouverte. Plus que jamais, la réponse nous semble devoir être abordée sous l’angle d’une action conjointe des bibliothèques publiques et universitaires.

La banalisation de la condition d’étudiant

En 2007, 64,2 % d’une génération poursuivaient des études post-baccalauréat, contre 29,4 % il y a vingt ans et 1 % il y a un siècle  1. Une part importante de cette évolution porte sur l’allongement des études technologiques et professionnelles et concerne donc un éventail de métiers et de situations sociales plus large que celui que représentait autrefois la population qui suivait ou avait suivi des études supérieures (voir figure 1).

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Figure 1. Évolution de la proportion de bacheliers dans une génération de 1901 à 2007 ** Dans http://www.education.gouv.fr/cid21399/le-baccalaureat-2008.htmlLa proportion de bacheliers est calculée, chaque année, en rapportant les effectifs de bacheliers à ceux de la génération correspondante, en âge de passer l’examen.

Les étudiants constituent ainsi la part la plus importante de la jeunesse et une fraction importante de la population tout court. À Fresnes, qui n’est pourtant pas une ville privilégiée, mais dont la population est sensiblement plus jeune que la moyenne nationale, les étudiants représentent ainsi 8,11 % de la population.

Cette massification de la poursuite d’études supérieures cache de nombreuses disparités. Les étudiants s’avèrent mal préparés à leur entrée à l’université. Faute de culture générale, voire par manque d’une réelle maîtrise de la lecture, seule la moitié d’entre eux passe le cap de la première année, et, tout au cours de la scolarité, les abandons sont nombreux.

L’enjeu social est à cet égard important : 90 % des enfants de cadres atteignent le niveau du bac contre 51 % des enfants d’ouvriers, et environ 16 % de la population d’âge scolaire issue de l’immigration. Ces chiffres sont à rapprocher de ceux qui évaluent à 40 % des collégiens et 20 % des lycéens la proportion d’élèves pouvant être aidés par leurs parents  2.

La formation « tout au long de la vie »

Le passage de la massification des études à celle de la démocratisation de leur réussite constitue, comme on le voit, un enjeu de premier plan, aussi bien pour l’État que pour les collectivités territoriales. Mais, à la problématique de la formation initiale, s’ajoute désormais celle de la formation continue.

Il est moins que jamais raisonnable de considérer qu’une qualification puisse être totalement et définitivement acquise en amont dans les cursus de formation initiale. Le socle des connaissances de base ne peut durablement garder sa valeur que s’il est continuellement enrichi par l’expérience, l’information, voire, pour nombre de professions intellectuelles et scientifiques, la recherche et l’innovation.

S’agissant de la population sortie du cursus scolaire et universitaire, tout un dispositif – VAE (validation des acquis de l’expérience), REP (reconnaissance de l’expérience professionnelle) – permet et encourage en outre la reprise d’études. On ne s’étonnera donc pas que les problèmes et les enjeux de la réussite et de l’égalité des chances en matière de formation figurent à l’agenda des pouvoirs publics, qu’il s’agisse des collectivités territoriales, de l’État ou encore de l’Union européenne.

Le décalage entre ces attentes et les représentations qui président à la définition des projets des orientations des bibliothèques publiques n’en est que plus flagrant. Il peut en effet paraître paradoxal que des bibliothèques, qui, par nature, ont vocation à donner accès à la connaissance, restent en marge des politiques publiques de formation. Les étudiants, quant à eux, n’ont pas attendu l’évolution des mentalités professionnelles pour développer un usage pragmatique de ce qu’ils peuvent trouver à leur disposition.

La fréquentation étudiante des bibliothèques publiques : une situation de fait

L’augmentation de la fréquentation des bibliothèques publiques par les étudiants est la conséquence logique de la part croissante qu’ils représentent dans la population et de leur répartition sur le territoire. Les étudiants des classes préparatoires et ceux qui suivent les cursus des lycées professionnels n’étudient, ni ne résident pas toujours à côté d’une bibliothèque universitaire et il en est parfois de même pour ceux qui suivent les cours des antennes décentralisées des universités. Enfin, l’amélioration des transports et la cherté des logements font que les étudiants résident moins systématiquement que par le passé au plus près des universités et rejoignent le domicile de leurs parents dans des villes moyennes ou en zones rurales.

Le phénomène de la fréquentation étudiante est bien connu des bibliothécaires : les étudiants font partie du paysage familier des bibliothèques. Mais ce constat demeure empirique, car ces usagers ne sont souvent ni des inscrits, ni des emprunteurs. On sait en effet que, dans la situation actuelle, les étudiants conçoivent d’abord la bibliothèque publique comme un espace de travail et, pour autant que les services répondent à leur besoin, un centre de référence. Par conséquent, beaucoup d’entre eux ne sont pas inscrits et ne comptent donc ni au nombre des usagers actifs, ni au nombre des emprunteurs  3. Ils constituent par contre une proportion importante des usagers non inscrits.

Une enquête indicative menée en octobre 2008 à la bibliothèque de Fresnes auprès de 668 usagers des espaces de travail relève 32,2 % de non-inscrits, confirmant ainsi une enquête du même type menée au printemps précédent, lors de la période des examens  4. À l’instar de ce qui est observé à Lille (59 % des étudiants usagers de la salle de lecture), les étudiants de premier cycle constituent une part importante de cette population (33,4 % des usagers, toutes catégories confondues, des espaces de travail – voir figure 2).

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Figure 2. Répartition des étudiants post-baccalauréat par rapport à l’ensemble de l’échantillon à la BM de Fresnes (en %)

30,2 % du pourcentage restant de cette fréquentation sont lycéens (lycées généraux et technologiques), dont 19,5 % issus des classes terminales, les élèves de première et de seconde constituant les 9 % restants (voir figure 3)  5.

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Figure 3. Répartition des élèves de lycées généraux et professionnels à l’ensemble de l’échantillon à la BM de Fresnes (en %)

Les domaines dans lesquels les usagers des salles de travail, étudiants ou non, recherchent le plus souvent de la documentation diffèrent sensiblement de ceux qui font l’objet d’emprunts, voire de l’intérêt des usagers en général (figure 4).

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Figure 4. Comparaison entre la demande de documentation sur place et les prêts par domaine à la BM de Fresnes (La comparaison se base sur l’indexation systématique contrôlée des documents prêtés, la même segmentation ayant naturellement été utilisée pour l’enquête.)

Il semble que, dans beaucoup de cas, les collections de référence et de prêt, ainsi que les ressources électroniques, soient beaucoup plus utilisées que les prêts ne le laisseraient supposer. Les exemples des mathématiques, de la physique et de la chimie sont à cet égard remarquables, ainsi que ceux du droit, de la philosophie, de l’apprentissage des langues et de l’histoire. On remarquera que, comme à Lille  6, la médecine occupe une part non négligeable, cohérente avec la proportion des étudiants en premier cycle d’études médicales (PCEM), parmi les sondés, mais aussi avec l’importance du bassin d’emploi régional dans ce secteur, qui incite à la préparation de diplômes d’aide-soignants, d’infirmiers et de professions paramédicales  7.

Succès et difficultés des tentatives pionnières

C’est donc à partir de ces constats qu’au cours des trente dernières années, plusieurs projets de coopération entre bibliothèques publiques et bibliothèques universitaires ont été tentés  8.

Il convenait tout d’abord de disposer d’une vision globale des ressources disponibles dans une région. Il s’agissait tout à la fois d’offrir au public une base d’information qui lui permette de s’orienter dans l’une ou l’autre des structures selon ses besoins ou la disponibilité des documents et de fournir aux professionnels un outil de collaboration entre bibliothèques territoriales et bibliothèques universitaires.

Cette ambition a suscité, dans les années 1990-2000, des projets de catalogues collectifs BM/BU, initiés par des agences ou associations de co-opération des bibliothèques. Force est cependant de constater que, malgré leur intérêt, peu de ces collaborations ont atteint une réalisation opérationnelle, certaines ayant même été arrêtées en cours de route. Mais l’on constate heureusement quelques réussites, dont la plus remarquable nous semble, à cette étape, le portail documentaire Limousin Maduvil (Mutualisation d’accès documentaire université ville de Limoges). Ce service associe non seulement l’ensemble des bibliothèques publiques et des bibliothèques universitaires de Limoges, mais encore la bibliothèque du Conservatoire national de région, la documentation du musée municipal de l’Évêché, et prochainement celle du musée de la Résistance. L’énumération de ces bibliothèques, mais encore des bibliothèques universitaires de la région Limousin associées  9, auxquelles le portail donne accès démontre à quel point il est susceptible de répondre à un large éventail de besoins de formation initiale et continue  10.

Citons encore, dans la même veine, les plans de conservation partagée des périodiques au niveau régional ou les programmes de numérisation conjoints BM/BU, actions coopératives intéressantes mais bien partielles au regard des objectifs poursuivis.

La volonté de coopération et de mutualisation ne s’est pas limitée aux ressources documentaires. Elle a aussi donné naissance à des projets d’équipements communs qui ont vu le jour au cours de la même période, notamment dans le cadre du plan Université 2000 destiné à faire face à l’accroissement des effectifs étudiants. Certaines délocalisations universitaires (Cholet, Blois, Roanne, etc.) se sont ainsi accompagnées d’une mutualisation des collections et des installations BM/BU. À La Rochelle, la construction d’une BU reliée par un couloir à la bibliothèque municipale à vocation régionale (BMVR), dans le cadre du programme « Université nouvelle » issu du plan U2000, aurait pu ouvrir la voie à de fructueuses coopérations. Mais le couloir est resté longtemps fermé et les coopérations se limitent aujourd’hui aux actions culturelles. À l’inverse, nombre de projets, plus ambitieux dans leur démarche d’intégration, pour la plupart développés dans des villes moyennes (50 000 habitants) se maintiennent plutôt bien. L’exemple d’intégration des collections BU/BM en pôles thématiques de Valence semble fonctionner de façon fort satisfaisante, et on ne peut que s’étonner qu’il n’ait pas fait d’émules.

Citons encore la médiathèque de l’agglomération troyenne qui peut être considérée comme une bibliothèque universitaire autant que comme une bibliothèque municipale, du fait d’une convention entre la communauté de l’agglomération troyenne et l’université de Reims Champagne-Ardenne. Ce dispositif prévoit le détachement de deux personnes de l’université ainsi que le report d’une partie des droits d’inscription et de bibliothèque (entre 15 000 et 20 000 euros selon les années) afin de permettre à la médiathèque de constituer des fonds suffisants pour les étudiants du centre universitaire troyen.

Historiquement, cette coopération est issue du projet de BMVR qui a permis de fusionner les équipes de l’ancienne bibliothèque universitaire de Troyes et de la médiathèque de l’agglomération.

Les équipes et les collections constituent désormais une entité unique et les objectifs de niveau de la politique documentaire intègrent les besoins des étudiants. Huit agents sont concernés quotidiennement par le fonctionnement du volet universitaire de la bibliothèque, notamment pour la formation à la recherche documentaire de tous les étudiants de première année, formation comprise dans les cursus de leur licence. Les étudiants sont perçus par l’ensemble du personnel à la fois comme un public-clé et comme un public-cible. Cette forte fréquentation peut entraîner quelques conflits d’usage mais, dans l’ensemble, les choses se déroulent plutôt bien : les usagers de 15 à 25 ans représentent plus de 50 % du public fréquentant l’établissement, et la bibliothèque reçoit la majeure partie des 8 500 étudiants qui forment la population étudiante de l’agglomération. La bibliothèque constitue cependant pour ces derniers un lieu de travail mais pas nécessairement un lieu de consultation, ce qui montre les efforts qui restent encore à réaliser pour encore mieux ajuster les ressources documentaires à leurs besoins  11.

Malgré ces succès, ces expériences restent encore trop limitées et leur bilan demeure globalement mitigé. On peut par exemple regretter que l’ambitieux et beau projet de bibliothèque communautaire et universitaire de Clermont-Ferrand se heurte à des difficultés de tous ordres qui bloquent sa réalisation depuis plusieurs années, au point que l’on puisse craindre qu’il soit remis en cause  12.

Cette situation repose sur des causes multiples, sur lesquelles il convient de s’interroger  13.

Les obstacles objectifs et subjectifs

L’obstacle le plus répandu est d’ordre institutionnel. Force est en effet de constater que les projets d’équipement commun se heurtent rapidement à la difficulté de faire s’accorder durablement des collectivités et tutelles étatiques nombreuses et disparates ; -difficultés visiblement proportionnelles au nombre des acteurs et à l’importance du projet. En effet, les mutualisations d’équipement plus modestes dans le cadre des délocalisations universitaires semblent plus facilement réalisables.

Les projets de catalogues collectifs ou portails BU/BM se heurtent quant à eux à la disparité des formats et des pratiques de constitution des catalogues. En ce domaine, la disparité de la gestion des points d’accès et la difficulté de faire coexister des modes d’organisation différents sont les plus problématiques, les BU constituant leur catalogue dans le cadre des procédures de l’Abes (Agence bibliographique de l’enseignement supérieur), et les bibliothèques publiques recourant à des solutions de catalogage et de récupération des plus variées, à l’exception de l’insertion au réseau universitaire. L’option des portails, plus souple, semble à cet égard moins fragile.

Ces freins institutionnels sont encore compliqués par les différences statutaires (formation, carrière, horaires, congés, définition des cadres d’emplois, voire représentations et systèmes de valeurs) entre les personnels d’État et ceux de la fonction publique territoriale (FPT) qui rendent difficile par exemple la cohabitation de personnels de BU et de BM au sein d’un même établissement. Bien que la réforme des statuts de la FPT, en 1991, ait favorisé ce rapprochement, l’entreprise demeure inachevée. L’homologie reste incomplète et les conditions d’avancement et de mutation demeurent fortement différenciées entre les cadres d’emploi de la FPT et les corps comparables de l’État.

On comprend que, dans ces conditions, faute de légitimité et faute de portage politique fort, il soit difficile d’inscrire les projets de coopération dans la durée.

Ces efforts de mutualisation ont d’abord relevé de l’engagement de quelques élus et professionnels. Ils sont d’autant plus remarquables qu’ils ont eu la lucidité et le courage de dépasser des idées reçues issues d’une histoire institutionnelle ayant généré des représentations professionnelles et politiques différenciées, sinon opposées. Il semble toutefois que les mentalités évoluent  14. Mieux encore, l’enjeu semble de plus en plus inspirer la décision des élus et des professionnels. Les étudiants sont, ainsi, au même titre que les familles, l’une des cibles de l’ouverture le dimanche expérimentée par les élus et les professionnels en charge de la médiathèque de l’agglomération troyenne  15.

Il est vrai que, le temps passant, l’opposition entre « éducation » et « culture », apparaît plus comme un moyen de délimiter les champs d’intervention des ministères éponymes que comme une distinction utile et pertinente. En cette matière, il semble qu’un nombre croissant de professionnels et de décideurs découvre que le roi est nu. Rappelons que cette opposition bureaucratique ne correspond en effet ni à l’histoire, ni à l’actualité du discours universel sur les missions des bibliothèques publiques. Le Manifeste de l’Ifla/Unesco sur la bibliothèque publique de 1994 met en deuxième place des douze missions assignées aux bibliothèques publiques, celle de « faciliter l’étude individuelle ainsi que l’enseignement formel à tous les niveaux 16 ». Cette opposition est, enfin, totalement déconnectée non seulement des réalités sociales que nous avons évoquées en préambule, mais encore des pratiques existantes.

Les étudiants, comme on l’a vu, se moquent en effet de la distinction entre bibliothèques publiques et bibliothèques universitaires, ils recherchent avant tout la commodité d’accès et d’utilisation. La majorité d’entre eux souhaite d’abord bénéficier d’un espace de travail et lorsqu’ils utilisent une bibliothèque publique, peu font la démarche de s’inscrire (44 %, selon une étude sur les usagers de la salle de lecture de la médiathèque Jean-Lévy de Lille  17). Il est permis de penser qu’en toute logique, le fait que les étudiants, et bien souvent les personnes en formation continue, utilisent les espaces de travail et non les collections est trop souvent le résultat d’une mauvaise adéquation des collections à leurs besoins, notamment. Le cas des domaines du droit, de l’économie et de la gestion, ainsi que des disciplines scientifiques et techniques est particulièrement flagrant.

Parallèlement, les personnels des bibliothèques universitaires ont pu faire le constat qu’une partie de la population étudiante qu’elles ont pour mission de desservir ressemble de plus en plus à celle des bibliothèques publiques et appelle un mode de prise en charge des étudiants qui dépasse la seule fonction de documentation et d’offre d’espaces et d’installations. Beaucoup d’entre elles ont développé d’excellents programmes de formation méthodiques, bibliographiques et techniques des usagers à la recherche documentaire.

Le fait que les étudiants ne soient pas « usagers actifs » proprement dits ne nous semble pas une fatalité. La clé du problème nous semble résider dans une meilleure prise en compte des besoins concrets plutôt que dans une obstination à poursuivre contre vents et marées on ne sait quel « projet initial » dont on voit mal la légitimité institutionnelle et sociale. L’évolution des politiques publiques et les changements de l’environnement des bibliothèques, notamment dans le secteur universitaire, pourraient offrir aujourd’hui de nouvelles perspectives qui présenteraient l’avantage de parvenir à une meilleure utilisation des moyens existants.

L’appel à projet et les politiques de site : des dispositifs institutionnels en faveur de la coopération

L’enseignement supérieur est en train de vivre des mutations profondes qui, bien qu’elles ne datent pas d’hier, n’en sont sans doute qu’à leur début  18. La loi LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités) et la généralisation des appels à projets dotés de fortes incitations financières dessinent un nouveau cadre de fonctionnement de l’université, où l’autonomie et l’appel à l’investissement local prennent le pas sur la politique centralisée qui avait été jusqu’à présent de règle  19.

Parallèlement, la création des PRES (pôles de recherche et d’enseignement supérieur) incite, dotations financières à la clé, les établissements d’enseignement supérieur à se regrouper, notamment dans les grandes métropoles universitaires, afin d’accroître leur efficacité, leur attractivité et leur visibilité au niveau national et international. Neuf PRES ont été officiellement retenus et créés sur ce principe en mars 2007, avec le nouveau statut d’EPCS, établissement public de coopération scientifique  20.

Il va de soi que l’ancrage local des projets, et notamment leur capacité à développer une politique de site, est essentiel. Cette dimension ne peut se concevoir sans la participation des collectivités territoriales et d’autres acteurs locaux publics ou privés du monde de l’entreprise et de la recherche. Si elles ne figurent généralement pas comme membres fondateurs, les collectivités territoriales sont présentes, en tant que partenaires à des degrés divers, dans la plupart des PRES. Celui de l’université de Lyon associe par exemple la ville de Lyon, la communauté d’agglomération Grand Lyon, le conseil général du Rhône, le conseil régional. Relevons que le thème « université et développement des territoires : quels rôles et actions possibles pour les collectivités locales », avait été retenu par la communauté urbaine du Grand Lyon, lors des derniers Entretiens territoriaux de Strasbourg, organisés par l’Inet (Institut national des études territoriales) en décembre dernier  21.

L’appel à projet « Opération campus » lancé par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en février 2008 renforce encore cette évolution politique. Il s’agit en effet de faire émerger dans un nombre de villes limité, une dizaine à l’origine, des campus d’excellence qui bénéficieront de financements exceptionnels pour leur rénovation immobilière et leur modernisation  22. Outre l’ambition pédagogique du projet et l’urgence de la situation immobilière, les critères de choix retenus sont le développement de la vie de campus et le caractère structurant pour le territoire. Le développement d’une politique de site ambitieuse est très explicitement mentionné.

En témoigne le récent plan « Réussite en licence » doté de moyens spécifiques importants pour la période 2008-2012 (730 millions d’euros annoncés). Ce plan a pour objectif de diviser par deux le taux d’échec des étudiants en licence et de faire de la licence « un vrai diplôme national qualifiant d’insertion et de poursuite d’étude ». Le plan prévoit notamment, pour y parvenir, un renforcement de l’encadrement pédagogique, des accompagnements personnalisés (tutorat) ainsi qu’une rénovation des contenus, avec plus de pluridisciplinarité en première année.

La référence aux objectifs de formation tout au long de la vie, l’aide à l’orientation et à l’insertion professionnelle figurent également en bonne place aujourd’hui dans les recommandations et les dispositifs incitatifs du ministère de l’Enseignement supérieur.

Les perspectives nouvelles ouvertes par le renforcement du rôle des collectivités territoriales

On voit bien que tous ces dispositifs convergent vers une plus grande participation des collectivités territoriales et notamment des Régions dans les politiques de formation ainsi que dans l’enseignement supérieur et la recherche.

La région Aquitaine figure ainsi au premier rang des régions françaises pour ces initiatives. Elle est de celles qui affectent le pourcentage le plus élevé de son budget à l’enseignement supérieur et à la recherche. Elle s’est également engagée à hauteur de près de 178 millions d’euros dans le cadre du CPER 2007/2013 (Contrat de projet État Région) en faveur de ces deux domaines, ce qui la place au troisième rang national derrière les régions Île-de-France et Rhône-Alpes. Pour favoriser son « opération campus », la région Aquitaine s’est engagée à apporter une dotation financière au moins égale à celle de l’État. Les collectivités territoriales strasbourgeoises font de même en annonçant un engagement de 400 000 euros supplémentaires pour la période 2007-2013 dans le cadre de leur propre « opération campus ».

Via ces projets se tissent aussi des partenariats indispensables avec les villes-centres et les communautés urbaines, acteurs incontournables des projets d’aménagements concertés. Outre la région Aquitaine, le plan campus bordelais associe la communauté urbaine de Bordeaux, le conseil général de la Gironde et les communes de Bordeaux, Talence, Pessac et Gradignan, susceptibles d’apporter des financements, la mise à disposition de foncier ou d’immeubles et de s’investir dans des politiques concertées en matière de vie étudiante.

Ces démarches spécifiques s’inscrivent dans une approche territoriale des missions des bibliothèques territoriales, plus portée vers l’implication dans les politiques publiques locales et le développement des territoires que vers des modèles exclusivement « culturels » prédéterminés. La nouvelle édition des fiches métiers du CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale  23) témoigne de cette évolution chez les représentants des collectivités et des personnels de cet organisme paritaire. La prise en compte des enjeux de la formation et du développement territorial implique celle des besoins de la population étudiante comme de la population active ou demandeuse d’emploi.

À ce titre, la coopération s’impose des deux points de vue. Les bibliothèques publiques sont susceptibles de répondre en bien des domaines aux besoins des étudiants de premier cycle, tandis que des populations croissantes de non-étudiants ont besoin d’accéder aux bibliothèques universitaires dans le cadre de leur formation permanente.

Tout laisse à penser que c’est désormais à l’échelon territorial (régions, départements, communautés d’agglomération et de communes, communautés urbaines, etc.) que se présente l’occasion de dépasser ce qui, tout particulièrement en matière de bibliothèques, s’avère une opposition non seulement factice, mais encore coûteuse.

Politiques publiques et mutualisation des ressources documentaires, humaines et matérielles des territoires

La gestion de projet impliquant les différents échelons territoriaux, région, communautés d’agglomération et de communes et les bibliothèques municipales, départementales et universitaires suppose une approche politique et stratégique.

Les bibliothécaires doivent, en la matière, d’abord jouer pleinement leur rôle d’aide à la décision auprès des autorités territoriales et universitaires, et ensuite orienter leur expertise technique et leur responsabilité administrative vers la subordination de la bibliothéconomie aux impératifs du service public comme le recommande la fiche métier « directeur de bibliothèque » du CNFPT, et non pas subordonner les orientations à de prétendus impératifs bibliothéconomiques.

Une coopération d’ores et déjà en germe

Les projets ont tout à gagner à s’inscrire systématiquement dans une dimension coopérative rassemblant tous types de bibliothèques ou de centres documentaires. Les raisons de ce choix sont désormais nombreuses.

La première est que, si elles veulent faire face aux besoins et aux exigences du public, les bibliothèques publiques d’aujourd’hui sont plus encore que par le passé amenées à partager leurs ressources documentaires, matérielles et surtout humaines.

On sait, à cet égard, le succès que rencontrent les bibliothèques ou les réseaux de bibliothèques publiques capables de développer des ressources documentaires et des services spécialisés. Tel est le cas du haut-de-jardin de la BnF, de la BPI, de la bibliothèque de la Cité des sciences et de l’industrie, dont la réussite auprès des étudiants comme auprès du grand public n’est plus à prouver. Tels sont encore les services développés par les bibliothèques pôles associés de la BnF, le réseau des bibliothèques de la ville de Paris, et notamment leur réserve centrale, ou encore les fonds développés dans le cadre du réseau Bibliothèmes du conseil général du Val-de-Marne  24. On sait enfin que de nombreuses bibliothèques publiques, grandes ou moins grandes, développent des fonds et des services d’excellence et à quel point cette liste est loin d’être exhaustive.

Seule, désormais, la coopération est susceptible de permettre aux bibliothèques de développer la valeur ajoutée en termes de qualité de collection et de service qui justifie leur financement public. En effet, seule la complémentarité entre bibliothèques universitaires et bibliothèques publiques serait de nature à répondre à l’éventail toujours plus large des besoins suscités par la massification de la formation initiale et la généralisation de la formation permanente.

La deuxième raison est que cette coopération permettrait non seulement de mieux répondre aux besoins d’une partie des étudiants dans le domaine des humanités (un étudiant en droit a aussi besoin d’ouvrages de philosophie ou d’histoire, etc.), mais encore d’offrir à l’ensemble du public des corpus plus complets et mieux représentatifs des disciplines concernées, par une attention plus grande portée aux corpus traditionnels et aux programmes du premier cycle et, parfois, du second.

Cette option documentaire est d’autant plus souhaitable que la prise en compte des besoins des étudiants constitue le meilleur moyen de constituer une offre documentaire de qualité, répondant aussi bien aux besoins de formation continue qu’à ceux de culture générale. Il serait ainsi, par exemple, à la portée d’une bibliothèque et plus encore d’un réseau de bibliothèques publiques de développer méthodiquement son offre en sciences humaines, beaux-arts et littérature, au niveau de classes préparatoires, et ses ressources en mathématiques, physique et chimie à la base des formations techniques scientifiques, à tout le moins au niveau d’un baccalauréat professionnel. Il peut en être de même des ressources documentaires relatives aux techniques appliquées non professionnellement par le grand public (notamment celles relatives à l’électricité, au chauffage, à la maçonnerie, à la peinture, etc.), mais qui, n’en devant pas moins respecter les règles de l’art, les précautions, les règles et les normes de sécurité, n’ont pas vocation à différer profondément de celles nécessaires à la formation initiale et continue des techniciens professionnels.

Dans le domaine de la médecine, pour prendre un autre exemple, l’acquisition d’atlas anatomiques de qualité peut répondre à un large éventail de besoins en formation de professions médicales ou paramédicales, mais aussi à l’information du grand public.

La troisième raison est enfin que, comme on l’a vu dans le cas des portails, le réseau internet et l’évolution des systèmes d’information permettent d’envisager toutes sortes de mutualisation et de coopération.

L’implication commune des bibliothèques des deux types dans la réussite universitaire et la formation continue exige cependant que ces besoins soient méthodiquement pris en compte dans la conception des bâtiments, dans l’offre documentaire et dans la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (recrutement sur des profils adéquats, spécialisation intellectuelle, formation à l’étude des besoins et à la définition de projets).

Inscrire les bibliothèques publiques et universitaires dans une logique commune de desserte territoriale

L’imbrication des échelons territoriaux permet d’envisager la mutualisation des points de desserte et les réseaux dans une perspective de maillage parfois très fin. De par ses compétences accrues en matière universitaire, la région semble l’échelon territorial le mieux à même de fédérer les efforts des départements, des communautés urbaines et des communautés d’agglomération ou de commune.

Pourquoi ne pas formaliser, dans les bibliothèques des grandes métropoles, une complémentarité empiriquement imposée par les étudiants par des répartitions des horaires, des ressources et des équipements ?

Pourquoi, hors des agglomérations, ne pas envisager la prise en compte des besoins de proximité des étudiants locaux au service d’une modernisation au bénéfice de l’ensemble de la population ? Pourquoi ne pas envisager, par exemple, dans une ville, siège d’une bibliothèque départementale mais non universitaire, un projet commun – ville, département, université, région – de bibliothèque municipale départementale et universitaire, capable de desservir les zones rurales et urbaines les plus éloignées, comme les politiques de site associant université et collectivités territoriales nous y invitent aujourd’hui ?

Au niveau territorial, le renforcement actuel des agences régionales pour le livre, au nombre de dix-sept, constitue en outre un vecteur efficace pour mener des projets de coopération entre bibliothèques. Plusieurs d’entre elles, comme l’Arpel en Aquitaine, disposent de budgets importants et du fort soutien de la Région pour mener des projets régionaux associant les divers acteurs. Du côté des universités, l’environnement actuel est également favorable. Les projets de rapprochement BM/BU prennent désormais tout leur sens dans le cadre des PRES ou des « opérations campus » qui peuvent leur fournir l’opportunité de leur apporter le portage politique et les moyens financiers qui leur ont manqué jusqu’ici.

Les services documentaires créés dans les PRES, à Toulouse et Bordeaux par exemple, chargés de mettre en œuvre une politique documentaire de site au plan universitaire, sont bien placés pour y inscrire des logiques de rapprochement avec les bibliothèques municipales. Ainsi le département Documentation de Bordeaux, qui pilote la réalisation d’un portail documentaire de l’université de Bordeaux, prévoit les passerelles à établir avec la bibliothèque municipale de Bordeaux et, au-delà, avec le portail de la communauté urbaine programmé par l’Agence régionale pour l’écrit et le livre.

La réflexion sur les complémentarités à établir entre BU et BM pour l’accueil des étudiants est également inscrite à l’ordre du jour par le « plan licence », qui préconise l’accroissement des horaires d’ouverture des bibliothèques. Au regard des pratiques actuelles, le réseau des BU de Bordeaux a ainsi choisi de concentrer ses efforts sur la bibliothèque pluridisciplinaire de centre-ville, déjà largement ouverte le samedi et en soirée, hébergée dans un bâtiment mis à disposition de la ville de Bordeaux, qui permet de désengorger la BM de l’afflux des étudiants.

Cette coopération de fait devrait devenir, dans le projet campus bordelais, une réelle politique concertée, avec la création d’un nouvel équipement aux capacités d’accueil démultipliées et aux missions transformées. Uniquement en libre accès, très largement ouverte, disposant de salles de travail multimédias, de services d’orientation et d’aide à l’emploi et proposant des animations autour du livre, la future bibliothèque interuniversitaire de centre-ville ne pourra se faire sans développer le partenariat avec la bibliothèque municipale, au minimum pour les acquisitions et les périodes d’ouverture, mais sans doute plus largement. Et pourquoi ne pas se poser alors la question d’un équipement mutualisé BM/BU ? Parmi d’autres projets issus des plans campus des autres régions, citons encore, par exemple, celui du portail commun et du silo de conservation de la région lyonnaise.

À court terme, la question des bases de données communes peut être résolue de façon pragmatique par la généralisation des portails régionaux. S’agissant des bibliothèques publiques, l’harmonisation des accès sur la base de la récupération du fichier d’autorité de BN-Opale Plus, désormais possible, devrait grandement améliorer la cohérence des catalogues. Au-delà, peut-être conviendrait-il de s’interroger sur les causes des limites du CCFr (Catalogue collectif de France) et d’envisager une meilleure mutualisation des services de la BnF et de l’Abes.

Les obstacles statutaires, enfin, ne sont pas insurmontables. L’expérience montre que, si la gestion conjointe de personnels relevant de la fonction publique de l’État et de la fonction publique territoriale pose des problèmes complexes, il est possible, comme à Valence, que les personnels territoriaux assurent la desserte des établissements mixtes en attendant qu’une éventuelle meilleure homologie statutaire facilite enfin le travail commun. Le développement de la coopération serait d’ailleurs le meilleur moyen d’inciter à la réaliser au plus vite.

Cependant, la clé de la réussite de l’harmonisation et de la coopération des deux types d’établissement demeure la mixité de la formation initiale et continue. Il serait en ce domaine souhaitable que la mixité immédiate s’étende au-delà du seul cas des conservateurs. Le champ des connaissances à échanger et à mutualiser est vaste, qu’il s’agisse d’analyser la population à desservir (politiques publiques, étude des besoins et segmentation de publics-cibles), de la connaissance des contenus des différentes disciplines nécessaires à la sélection de l’information et à l’orientation du public (par exemple les modules « Épistémologie et paysages documentaires » de l’Enssib, ou les formations des Urfist – unités régionales de formation à l’information scientifique et technique – qui délivrent des connaissances de base sur les différentes disciplines), ou encore de la formation des usagers à la recherche documentaire.

Il serait enfin souhaitable que le cadre des rencontres professionnelles s’articule autour d’expériences et de projets communs, comme le développent déjà certains CRFCB (centres régionaux de formation aux carrières des bibliothèques). En la matière, la question de la connaissance des territoires, de l’étude des besoins de leurs populations, la recherche de partenariats avec les multiples acteurs de l’action publique, ainsi que la formation des usagers à la recherche documentaire, devraient être au cœur de ces échanges.

Car, faut-il rappeler qu’aujourd’hui bien plus qu’hier, dans un monde où l’accès à l’information est infini, la culture et la compétence des personnels en matière de recherche et d’évaluation de l’information redeviennent plus que jamais le cœur du métier de bibliothécaire ?

Tendances convergentes : le cas de la Suède

En dehors de nos frontières, la coopération entre bibliothèques publiques et bibliothèques universitaires est parfois compliquée par le fait que les universités sont souvent partiellement ou totalement privées et que nombre de bibliothèques publiques ont un statut plus proche de celui des fondations que du service public.

Tel n’est cependant pas le cas de plusieurs pays européens et notamment de la Suède où, précisément, l’imbrication des BM et des BU semble progressivement s’imposer. La réflexion menée dans ce pays nous semble d’autant plus intéressante que, comme en France, les bibliothèques publiques et les bibliothèques universitaires y sont financées par des fonds publics ; comme en France encore, elles dépendent du périmètre des ministères respectifs des universités et de la culture, et comme en France enfin, les compétences des universités sont l’objet d’une décentralisation croissante.

Depuis 1970, tous les bibliothécaires suivent une formation commune et les deux associations professionnelles, autrefois distinctes, ont fusionné. Au cours des années 1980, comme en France, les établissements d’enseignement supérieur ont été décentralisés, et nombre d’antennes ont été ouvertes dans des villes moyennes. La conséquence en a été qu’un nombre croissant d’étudiants utilise désormais les bibliothèques publiques qui ont l’avantage de la proximité. Cette situation engendre un besoin croissant de coopération entre les deux types de bibliothèques.

Depuis 1997, toutes les bibliothèques financées par des fonds publics sont régies par une même loi, bien que le texte traite surtout des bibliothèques publiques  1. Cette loi est en cours de révision. Une commission gouvernementale examine actuellement les politiques culturelles, et un rapport concernant la question des bibliothèques est annoncé pour le mois de février 2009.

La question des catalogues collectifs est simplifiée par le fait que la bibliothèque royale (KB : Kungliga Biblioteket), bibliothèque nationale de Suède, joue un rôle de support commun aux deux types de bibliothèques et notamment pour la gestion du catalogue collectif Libris  2.

La cohabitation dans un même bâtiment, expérimentée notamment à Härnösand dans le nord et à Visby dans l’île de Gotland, semble se traduire par de réels succès. Les bâtiments ont été programmés pour répondre aux deux fonctions. Les ressources documentaires sont tout ou partie intégrées, ainsi que, bien entendu, les ressources en ligne. Si les politiques d’acquisitions poursuivent leurs objectifs propres, les collections sont imbriquées et les deux types d’usagers ont accès à l’ensemble des collections. En dépit de quelques frictions de départ, dues à des différences de salaires et de conditions de travail entre fonctionnaires de l’État et fonctionnaires locaux, les deux catégories de personnel ont rapidement appris à travailler ensemble au quotidien.

Le financement est conjoint et fait l’objet d’une convention entre les collectivités locales et les universités. Dans ces deux villes, dont la population est de moins de 50 000 habitants, la solution d’intégration des services semble satisfaisante. Il est frappant d’observer, dans la bibliothèque commune de la charmante île de Gotland, la cohabitation du public de la bibliothèque pour enfants et des étudiants devant leurs ordinateurs  3.

C.G. et T.G.

  1. (retour)↑  http://www.kulturradet.se/templates/KR_Page.aspx?id=1947&epslanguage=SV
  2. (retour)↑  http://www.kb.se/libris
  3. (retour)↑   Nous remercions Barbro Thomas pour ces aimables informations.

  1. (retour)↑  http://www.education.gouv.fr/cid21399/le-baccalaureat-2008.html
  2. (retour)↑   Jean-Michel Barreau, Dictionnaire des inégalités scolaires, ESF, 2007 (Pédagogies).
  3. (retour)↑   44 % souhaitent prioritairement bénéficier d’un espace de travail et peu d’entre eux sont inscrits à la bibliothèque, selon une étude sur les usagers de la salle de lecture de la médiathèque Jean-Lévy de Lille. Voir Ségolène Petite et Laurence Le Douarin, « La diversité des usages et des étudiants au sein de la médiathèque Jean-Lévy à Lille », Bibliothèque(s), no 40, octobre 2008. Pour la définition des usagers actifs et des emprunteurs, nous renvoyons aux définitions de la norme ISO 2789, Statistiques internationales de bibliothèques.
  4. (retour)↑   Près de 11 % de ces non-inscrits sont des habitants de la ville, bien que l’inscription et l’usage des services soient totalement gratuits et les formalités d’inscription réduites à leur strict minimum.
  5. (retour)↑   Quant au reste de l’échantillon, 14 % sont des collégiens, 10,5 % des personnes exerçant une activité professionnelle, 2,5 % des personnes sans emploi, et 9,1 % des retraités.
  6. (retour)↑   Où 31 % des étudiants usagers de la salle de lecture suivent des filières médicales, et 8 % des filières paramédicales.
  7. (retour)↑   Des Fresnois sont notamment employés dans les hôpitaux du secteur : centre hospitalier universitaire du Kremlin-Bicêtre, institut Gustave-Roussy, hôpital Paul-Brousse, hôpital Paul-Guiraud, de Villejuif ; hôpital pénitentiaire et SMPR (secteur médical psychiatrique régional) de l’hôpital Paul-Guiraud à la maison d’arrêt de Fresnes, hôpital privé d’Antony, maison de retraite de Fresnes.
  8. (retour)↑   Nous utilisons ici le terme de « bibliothèque publique » (Public library) dans son acception courante et tel qu’il est retenu par la norme ISO 2789 : 2006, terme qui recouvre le plus généralement la notion de « médiathèque publique ». À quelques exceptions près, ces bibliothèques sont le plus souvent financées par les collectivités locales.
  9. (retour)↑   BU Droit et sciences économiques (Forum et Présidial), BU Lettres et sciences humaines, BU Santé, BU Sciences et techniques, sport, pôle universitaire de Brive, ENSIL, ENSCI, IREM, BUFR de Lettres et sciences humaines, bibliothèques de l’IUT du Limousin
  10. (retour)↑   Maduvil@limoges.fr. Ce projet repose sur la coopération de la BMVR (dite Bibliothèque francophone multimédia) de Limoges, pôle associé à la Bibliothèque nationale de France pour les domaines des littératures francophones et du dépôt légal imprimeur en région Limousin, et du SCD (service commun de la documentation) de l’université de Limoges. Il développe son action au service des 15 000 étudiants et enseignants chercheurs du Limousin. Le portail permet à l’usager de connaître la disponibilité d’un document sur l’ensemble des sites concernés, de localiser le site où il est disponible (carte et plan d’accès), les informations pratiques sur ce site (coordonnées, horaires, conditions de prêt).
  11. (retour)↑   Nous remercions Louis Burle, directeur de la médiathèque de l’agglomération troyenne, pour son aimable communication de ces informations.
  12. (retour)↑   Sur ce projet, voir l’article de Livia Rapatel, « Le projet de grande bibliothèque communautaire et interuniversitaire à Clermont-Ferrand : quelle place pour le public étudiant ? », BBF, 2006, no 2, p. 50-54.
  13. (retour)↑   Voir à ce sujet : Claudine Lieber, « Aventurières ou pionnières : les bibliothèques combinant lecture publique et lecture universitaire sont-elles une utopie ? », BBF, 2006, no 2, p. 55-61.
  14. (retour)↑   Nous n’en voulons pour preuve que les réponses à l’amusante provocation récemment tentée sur Biblio.fr, pour les besoins d’un mémoire, qui qualifiait la présence étudiante de « plaie des bibliothèques publiques ». L’opération n’a produit presque aucune des réactions attendues, et a même traduit une intéressante maturité.
  15. (retour)↑   « Ouverture le dimanche », message de Louis Burle, directeur de la médiathèque de l’agglomération troyenne sur Biblio.fr, du 14 janvier 2009.
  16. (retour)↑   Dans : http://www.ifla.org/VII/s8/unesco/fren.htm
  17. (retour)↑   Ségolène Petite et Laurence Le Douarin, « La diversité des usages et des étudiants au sein de la médiathèque Jean-Lévy à Lille », op. cit.
  18. (retour)↑   Le lecteur comprendra que notre propos n’est pas ici de soutenir telle ou telle politique, mais d’exposer les opportunités qu’elles pourraient être susceptibles d’ouvrir pour une meilleure coopération entre bibliothèques publiques et bibliothèques universitaires. Rappelons au reste que la décentralisation et l’autonomie des universités ne datent pas d’aujourd’hui. Le processus consistant pour l’État à transférer certaines de ses compétences aux collectivités territoriales, en les assortissant de ressources plus ou moins correspondantes, est une politique constante de l’État, conduite avec volontarisme par les gouvernements qui se sont succédé depuis les années quatre-vingt. Les deux étapes-clés de la décentralisation ont été institutionnalisées par l’adoption des lois Defferre en 1982-1983, puis par la réforme constitutionnelle de 2003. Toutes choses qu’il ne nous appartient pas de traiter, et encore moins de juger dans le cadre de cet article.
  19. (retour)↑   Loi no 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités.
  20. (retour)↑   « Aix-Marseille Université », « Paris Tech », « Université de Toulouse », « Nancy Université » « Université de Bordeaux » « Université européenne de Bretagne », « Paris Est Université » « Université de Lyon » « UniverSud Paris ». Voir : http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid20724/les-poles-recherche-enseignement-superieur.html
  21. (retour)↑  « Élargir les frontières de l’action territoriale », Strasbourg, 3 et 4 décembre 2008. Le programme précisait notamment, à propos du thème de l’atelier : « La loi du 18 avril 2006 promulguant des dispositifs PRES (Pôle de recherche et d’enseignement supérieur)/RTRA (réseau thématique de recherche avancée) et la loi du 10 août 2007 sur les libertés et responsabilités des universités ont accentué la capacité des acteurs académiques à être partenaires des développements des territoires. L’atelier permettra notamment d’aborder les champs de questionnement suivants : Comment appuyer la montée en puissance d’une gouvernance de site, alliant les représentants de la recherche et de l’enseignement supérieur et les représentants du territoire ? » http://www.inet-ets.net
  22. (retour)↑   Le financement annoncé est de 5 milliards d’euros issus de cessions de parts du capital d’EDF. Dix projets doivent être retenus, dont une première vague de six a déjà été sélectionnée.
  23. (retour)↑   La fiche « directeur de bibliothèque » actualisée en mars 2008, cite notamment parmi les facteurs d’évolution l’« importance accrue de la formation initiale et continue, de la culture dans l’insertion sociale, le développement économique et l’emploi » ainsi que « la décentralisation des compétences régionales en matière de bibliothèques publiques et universitaires » et le « développement des bibliothèques numériques et de l’information en ligne ; évolution de l’environnement web 2.0 ; évolution des modes de signalement, de recherche, d’accès, de stockage, de diffusion et de partage de l’information documentaire ». Dans : http://www.cnfpt.fr, Répertoire des métiers territoriaux, fiche « directeur de bibliothèque ».
  24. (retour)↑   Il va de soi que, développé à l’échelle par exemple d’une population de près de 1 300 000 habitants, un fonds comme celui de littérature française classique confié à la bibliothèque municipale de Fresnes peut répondre, au moins ponctuellement, aux besoins d’étudiants et de chercheurs.
  25. (retour)↑  http://www.kulturradet.se/templates/KR_Page.aspx?id=1947&epslanguage=SV
  26. (retour)↑  http://www.kb.se/libris
  27. (retour)↑   Nous remercions Barbro Thomas pour ces aimables informations.