Le roman populaire : des premiers feuilletons aux adaptations télévisuelles, 1836-1960

par Yves Desrichard
Sous la direction de Loïc Artiaga
Paris, Autrement, 2008, 186 p., 23 cm
Coll. Mémoires/Culture, no 143,
ISSN 1157-4488
ISBN 978-2-7467-1200-3 : 19 €

Dans son introduction à l’ouvrage dont il a dirigé l’édition, Loïc Artiaga souligne que, après une longue période d’oubli et d’indifférence, le roman populaire en est, depuis quelques dizaines d’années, à des « réhabilitations symboliques » et à une « canonisation tardive », dont les collections « Bouquins » et « Omnibus », entre autres, témoignent. Comment ne pas penser à ce sujet à l’apport considérable de l’immense Francis Lacassin, qui nous a trop tôt quittés pendant l’été 2008 ?

Mais qu’est-ce que le « roman populaire » ? La question occupe nombre de débats « de bibliothécaires », et certaines disputes autour des « mauvais genres » sont encore dans toutes les mémoires. Ici, le sujet est précisément circonscrit entre 1836 et 1960, « des premiers feuilletons aux adaptations télévisuelles », et le livre ne s’attache donc pas aux manifestations les plus récentes du phénomène. Dans son article liminaire, Jean-Yves Mollier l’assimile en ses débuts au roman-feuilleton, introduit dans les journaux vers 1835. Il montre cependant que c’est le démarrage de « la petite presse populaire, après 1880 », qui en assurera le triomphe. C’est l’âge d’or de la vente en fascicules (qui oblige à un rythme de lecture, et donc d’écriture, spécifique), l’invention de la collection puis, au XXe siècle, le livre de poche, dont l’auteur rappelle qu’il fut introduit en France après la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il était né, en Angleterre et aux États-Unis, juste avant.

Dans sa contribution, Daniel Couégnas définit les contours du roman populaire. Il souligne qu’il s’agit d’une « écriture romanesque » prise dans une « logique industrielle », un « univers répétitif et facile par son style aussi bien que par son cadre, ses personnages, ses motifs et thèmes, ses péripéties ». La lutte éternelle du Bien et du Mal, la possibilité d’un récit sans fin obligée, l’importance du héros, la nécessité de victimes, sont autant de figures et d’attributs d’un genre – constitué d’une multitude de sous-genres comme le roman policier, la science-fiction, etc.

Le héros est « incontournable », « frère jumeau du héros romantique », s’en démarquant résolument, puisant ses racines dans les romans de chevalerie, mais bien présent à la modernité industrielle qui l’a suscité, et qui s’en nourrit. Il ne se conçoit pas sans « victimes, antihéros et personnages secondaires ».

Les romanciers du genre sont célèbres – ou oubliés : Féval, Dumas, Ponson du Terrail, Sue, Zévaco, mais aussi Ohnet, Romane, Mary et autres Soulié. Les collaborations comme l’utilisation (particulièrement stigmatisée chez Dumas, à l’origine de l’expression) de « nègres » sont curieusement contrebalancées par la propension de certains auteurs polygraphes à écrire sous de multiples pseudonymes. Tous sont plus ou moins méprisés des élites, d’avoir sacrifié à la dictature du marché (déjà…) là où Rousseau affirme, péremptoirement comme toujours, que « rien de vigoureux, rien de grand ne peut partir d’une plume toute vénale ». Curieusement, le même mépris accable leurs lecteurs, transformant (en mal) une « société où l’on “cherche la foule et déteste la compagnie” et où le livre sert de rempart » : aujourd’hui, entre deux appels de portable forcément indispensables, le « rempart » paraît bien faible…

Pourtant, plus que d’autres genres, le roman populaire a su puiser aux origines du mythe pour nourrir intrigues et protagonistes, même si ce qui le caractérise le plus souvent, c’est un grand conformisme aux idéologies du moment. Le théâtre, la radio, le cinéma surtout, s’empareront de ses intrigues faciles pour en faire, parfois, des chefs-d’œuvre, ainsi d’Orphans of the Storm de David Ward Griffith (1922) d’après Les deux orphelines d’Adolphe d’Ennery.

Le titre de la postface proposée par Jacques Migozzi constitue un parfait ramassé du propos de l’ouvrage : « Mauvais genres et bons livres : ce n’est qu’un début, continuons le débat ». Et de fait, entre Stephen King et Christian Jacq, les sagas d’ héroïc fantasy ou… les séries télévisées, la discussion reste féconde, sinon sereine, sur les limites du « populaire » – et sur ses légitimités.