Repenser l’accueil des publics

Valoriser les espaces, les services, les collections

Florence Bianchi

Le 2 octobre 2008, l’université d’Évry accueillait une journée organisée par Médiabib 91, l’association des bibliothèques de l’Essonne, consacrée à l’accueil des publics. Pendant longtemps, a rappelé Josette Granjon, présidente de Médiabib 91, les bibliothécaires ont pensé qu’il suffisait de construire des bibliothèques et de mettre à disposition une collection cohérente, encyclopédique et correspondant à ce qu’ils estiment être les besoins du public. Il faut à présent aller au-delà et s’interroger sur l’adaptation des bibliothèques au monde qui les entoure, à la pertinence de leur offre, en particulier en termes d’accueil : comment repenser les bibliothèques en tenant compte de ce que le public perçoit des espaces, des services et des collections ?

Repenser la bibliothèque

Pour Claude Poissenot, sociologue et professeur à l’IUT de Nancy, il est en effet nécessaire de « repenser la bibliothèque » car, avec « l’arrivée des tuyaux », la bibliothèque n’a plus les moyens de sa politique, « n’a plus les moyens d’être un lieu de prescription fort » dès lors que l’on peut accéder à l’information autrement. Il faut donc redonner à la bibliothèque un rôle spécifique, en partant des usagers et de ce qu’ils y font, ou pourraient y faire, « penser la nouvelle bibliothèque 1 » comme un espace public – et il n’y en a pas tant que ça – fait pour « être libres, ensemble ». Or, la bibliothèque s’adresse très bien aux individus rationnels, mais est moins habituée à s’adresser au groupe, a moins théorisé la dimension collective. Il faut savoir accueillir à la fois « l’ours », qui veut un fauteuil devant la fenêtre, tout seul, un automate d’emprunt et une boîte de retour parce que ça le fatigue de dire bonjour, « la petite vieille qui veut échanger », les groupes qui ont besoin de tables et d’espaces spécifiques pour travailler, afin qu’ils puissent être séparés – mais pas complètement –, etc. Et pourquoi pas occuper les enfants pendant « les courses » comme chez Ikéa ? Sans négliger ceux qui viennent pour « le froid », c’est-à-dire emprunter des documents – il y en a encore ! Car il faut garder le froid, les collections pertinentes, mais aussi faire des espaces « chauds », de l’actualité, de la bande dessinée, etc., et arrêter de les mélanger au froid, ce qui donne « du tiède », et surtout être disponible : certes, ranger dans les rayons, mais à condition d’être disponible pour l’accueil.

Des équipes polyvalentes et disponibles

À la bibliothèque municipale de Viroflay, ouverte en novembre 2007, « tout est accueil », a expliqué Marie-Christine Jacquinet, sa responsable : 55 % du temps de travail consacrés au public, gratuité de l’ensemble des services pour toutes les personnes qui travaillent ou habitent sur la commune, durée de l’emprunt à la carte pour les livres édités depuis plus de cinq ans, autorégulation des services web et des nouveautés, écoute de l’intégralité de la collection de musique numérisée dans toute l’enceinte de la bibliothèque grâce à des casques mobiles, fouillothèque, pochettes-surprises éclectiques à découvrir chez soi, portes ouvertes des espaces administratifs, etc. Un planning des moments de silence et des moments bruyants indique quand fréquenter la bibliothèque selon son humeur et les trois salles de travail, silencieuses, sont modulables selon la saison et peuvent devenir des salles de bruit pour les ados, ou de « papotage pour les mamans ».

L’adhésion de tous les membres de l’équipe aux principes de fonctionnement est impérative, de même que leur collaboration à toutes les décisions. L’organigramme est décloisonné autour de pôles d’activité auxquels tout le monde participe, tour à tour encadré et encadrant, et une cartographie des spécificités de chaque bibliothécaire va être élaborée. Toutes les procédures liées à l’accueil sont formalisées (répondre au téléphone, désaccueillir au moment de la fermeture, etc.).

Une telle organisation est plus aisée à mettre en place dans le cadre d’un projet de construction que dans celui d’un aménagement, ont reconnu Marie-Christine Jacquinet et Jean-Arthur Creff, qui n’a rien caché des résistances rencontrées lors de la réorganisation de la bibliothèque centrale de la médiathèque de Mulhouse, axée autour des personnels et des statuts, effective depuis octobre 2007. Il s’agissait de centraliser la banque de prêt et de réunir les différentes équipes pour constituer une équipe, avec cinq « axes » (multimédia, patrimoine, renseignement, banque de prêt et accueil de classes), chaque bibliothécaire demandant un axe majeur de travail, un complément régulier dans un deuxième et exceptionnel dans un troisième, l’un des objectifs étant d’harmoniser l’accueil, qui était très différent selon la personne et l’équipe.

Mise en scène des espaces et des collections

L’architecte Pascale Seurin et la programmiste Sophie Besson ont présenté le travail réalisé en binôme – et en collaboration avec la directrice Annick Poux – pour faire de la médiathèque de Poissy un lieu agréable et accueillant, à partir d’une situation « critique » et d’un bâtiment « apocalyptique » : un ancien centre commercial, bas de plafond, presque sans façade, avec des logements dessus, un parking dessous et l’Assédic à côté… Le résultat  2 est un continuum spatial tout en enroulements, favorisant une présentation des collections dans la continuité – sans fragmentation par genre. Selon Pascale Seurin, qui s’est inspirée de l’univers de la librairie, une médiathèque agréable doit proposer une « parfaite adéquation entre le mobilier, la présentation des ouvrages – qui demande de la place – et la clarté des collections ».

Christine Bourrus et Laetitia Touchard se sont quant à elles inspirées de l’univers du musée pour le projet de mise en scène de collections de la médiathèque du Val-d’Europe  3. Malgré les risques d’une recréation de distance, d’un « effet de sacralisation » (C. Poissenot), Christine Bourrus souligne l’impact et l’attractivité du projet, qui « fait venir exprès : en général, on ne visite pas les médiathèques, on les fréquente ».