La littérature de jeunesse : itinéraires d’hier à aujourd’hui

par Nic Diament

Denise Escarpit

Avec la participation de Pierre Bruno, Christiane Connan-Pintado, Florence Gaïotti, Philippe Geneste, Janie Godfrey et Régis Lefort
Paris, Magnard, 2008, 473 p., ill., 24 cm
ISBN 978-2-210-72001-5 : 35 €

Depuis la sortie du Guide de la littérature pour la jeunesse de Marc Soriano  1, en 2002 chez Delagrave, les bibliothèques n’ont pas eu à leur disposition d’ouvrage généraliste plus ambitieux que celui que vient de faire paraître Denise Escarpit chez Magnard.

On ne présente plus Denise Escarpit, spécialiste incontestée de ce domaine, fondatrice de la revue Nous voulons lire !, et qui contribue, depuis plus d’une trentaine d’années, à une meilleure connaissance du champ en publiant des ouvrages généralistes comme le « Que sais-je ? », malheureusement épuisé, La littérature d’enfance et de jeunesse en Europe, par des études plus pointues, notamment sur Arnaud Berquin, ou par des guides sur des auteurs ou des illustrateurs…

Son ambition est double : d’une part, présenter une histoire de la littérature de jeunesse « selon différents itinéraires : celui de la chronologie, celui des influences et des courants littéraires, celui des auteurs et de leurs œuvres en tenant compte des contextes politiques et sociaux de la période où ils vivaient » ; d’autre part, et cela fera l’objet d’une petite seconde moitié de l’ouvrage, proposer une ouverture sur la littérature de jeunesse d’aujourd’hui.

Pour aborder l’histoire de la littérature de jeunesse, sur laquelle elle souligne, à juste titre, que nous manquons cruellement en France d’ouvrages de référence, elle choisit un parti pris original et fécond, celui d’une « anthologie historique » qui constitue la première et la plus importante part de son livre.

Elle divise son propos en trois grandes parties : « Naissance d’une littérature de jeunesse », « L’enfant reconnu comme lecteur » et « Ouverture sur l’enfant et le monde » où elle aborde et explicite les genres, les thèmes fondateurs au fur et à mesure de leur apparition.

Elle surmonte ainsi magistralement la gageure inhérente à toute histoire de la littérature : comment rester dans une continuité chronologique rigoureuse et se donner à la fois le loisir de développer, y compris éventuellement dans son retentissement futur, l’apparition d’un nouveau genre, d’une nouvelle manière d’écrire, d’un nouveau phénomène éditorial.

Chaque chapitre se partage ainsi entre le texte de Denise Escarpit, volontiers érudit (mais très lisible !), parsemé d’encadrés qui sont des mines de renseignements, et celui des œuvres choisies pour illustrer la période.

Les extraits sont la plupart du temps précédés d’une courte introduction, resituant l’importance et le contexte de l’œuvre. Ce choix, remarquable dans son éclectisme, met à disposition du lecteur des extraits d’œuvres connues, oubliées ou mythiques, comme le fameux Aventures de Télémaque de Fénelon, et bouscule joyeusement les préjugés qu’on pourrait avoir sur certaines œuvres anciennes dont D. Escarpit démontre l’incroyable modernité : ainsi un plaidoyer du grand Comenius  2 pour que les filles reçoivent une instruction semblable à celle des garçons !

Du XVe au XXIe siècle, D. Escarpit propose une sorte de « Lagarde-et-Michard » de la littérature de jeunesse, qui, mieux que toute démonstration académique, en présente la richesse et l’incroyable diversité, d’autant qu’elle fait de fréquentes incursions chez des auteurs européens.

Si on peut discuter certaines affirmations un peu rapides, sur l’apparition du roman réaliste ou sur la définition de l’album, par exemple, si on peut regretter quelques jugements à l’emporte-pièce, il faut les mettre sur le compte de la fougue de son auteur qui réussit à faire de cette partie historique, bourrée de références, de dates et d’informations précieuses, une lecture entraînante.

Dans la seconde partie, « Le monde contemporain », pour laquelle Denise Escarpit a fait appel à la collaboration de spécialistes de domaines particuliers, le propos change : plus d’anthologie, mais une sorte de panorama, genre par genre, de la production éditoriale depuis les années 1970.

Cette partie, dont les chapitres sont rédigés par des auteurs différents, est plus hétérogène : certains traitent de l’aspect éditorial du genre, d’autres non. Le propos devient parfois lourdement didactique, voire prescriptif : même si c’est dans le bon sens des termes, on peut alors se demander si le lecteur visé par la première partie n’a pas changé.

Certaines phrases laissent songeur : « On est en droit de se demander à partir de quand la lecture [d’un album par un tout-petit] peut relever d’un “acte littéraire” » (p. 331). Certains termes inquiètent : le « marqueur de fictionnalité » serait un « critère générique » du conte (p. 360), le documentaire jeunesse est censé fournir « l’apport informationnel issu de la réalité » (p. 333)…

Il faut cependant préciser que chaque genre abordé (l’album, le documentaire, le conte, la poésie, le théâtre, le roman – au passage, on notera l’impasse faite sur la bande dessinée actuelle) nécessiterait un livre à lui seul et on ne peut que saluer l’effort de synthèse, inexistant ailleurs qu’ici et plutôt réussi, représenté par l’ensemble de ces contributions.

Une bibliographie, comportant des monographies et des articles, fournie mais pas décourageante (une centaine d’items), un index d’auteurs et d’œuvres cités complètent utilement cet ouvrage dont on aura compris le caractère indispensable pour toutes les bibliothèques, publiques et/ou scolaires.

  1. (retour)↑   Cette « bible » des bibliothécaires et futurs bibliothécaires jeunesse avait été primitivement publiée en 1959, puis entièrement revue par l’auteur en 1975, chez Flammarion. L’ouvrage paru chez Delagrave est la reproduction en fac-similé de l’édition de 1975, précédée d’une préface de Michel Defourny.
  2. (retour)↑   Extrait de La grande didactique ou traité de l’art universel d’enseigner tout à tous, 1657.