Le livre : que faire ?
Roland Alberto
Francis Combes
Joël Faucilhon
Éric Hazan
Hélène Korb
Frédéric Salbans
André Schiffrin
Jérôme Vidal
ISBN 978-2-91-337274-0 : 12 €
Par essence, par fonction, par parcours personnel, tout ce qui aborde la question du livre, de son économie, de sa production, ne nous est pas indifférent ; raison de plus quand il s’agit d’un ouvrage publié par Éric Hazan, dont on connaît l’histoire et le courage éditorial ; et aussi, la publication des deux livres d’André Schiffrin, et les succès éditoriaux qui s’ensuivirent. Preuve que les questions de l’avenir du livre, de son contenu davantage que du contenant, sont loin de laisser indifférents cette communauté de lecteurs que nous formons.
Tout ça ne doit quand même pas nous endormir, sur un mol oreiller ou sous un bel édredon ; gardons donc une sorte d’esprit critique. Et il faut bien avouer que, si on s’élève un peu des brumes de Villeurbanne, cette livraison nous laisse sur notre faim. Sur notre soif, même.
Cet ensemble d’articles ou d’entretiens réalisés par Éric Hazan reflète un peu la pensée unique dans l’autre sens ; la contribution d’André Schiffrin est une sorte de plaidoyer complémentaire de ses propositions antérieures : créations de fondations au sein de presses universitaires – dont on peut se demander ce qu’elles deviendront avec la nouvelle loi sur la responsabilité des universités (dite loi LRU) –, créations d’éditions sans but lucratif… ; celle de Roland Alberto sur la librairie indépendante est une aventure tellement singulière qu’elle ne peut, sans rire et sans risque, être transposée comme modèle, sauf à imaginer que la fameuse communauté de lecteurs ne soit réduite à celle d’une réserve d’Indiens ; que l’on visiterait, avec des jumelles et une insatiable curiosité.
Je suis ravi de constater qu’enfin parole est donnée à une bibliothécaire. De banlieue de surcroît ; enfin, mes souhaits ont été exaucés : que la chaîne du livre n’oublie pas la bibliothèque. Sauf que l’exemple choisi est un peu étrange, et les propos encore plus ; je ne sais pas sur quelles études autres que présupposées on s’appuie pour affirmer que « dans les villes de gauche ce qui touche aux sciences humaines et sociales sera plus développé qu’ailleurs » ; ce serait, d’ailleurs, donner à penser que la littérature, qui ne fait pas partie des sciences humaines, serait de droite, et incapable de subvertir la pensée. Et puis, nous sommes ravis d’imaginer que la formation des conservateurs (d’État et territoriaux) est orientée vers le management, le droit et la comptabilité ; comme des quincailliers ; vite, une Blanc-Montmayeur pour les vis et les boulons !
Heureusement, nous restent Jérôme Vidal et Joël Faucilhon, qui, chacun de son poste, l’un comme fondateur des Éditions Amsterdam et de l’excellente Revue internationale des livres et des idées *, que toute bibliothèque devrait proposer à son lectorat, l’autre comme initiateur d’une expérience locale à portée universelle (Lekti-ecriture.com), creusent leur pensée d’une évolution nécessaire et indispensable du livre : par le soutien public indispensable, par la redéfinition du rôle du livre dans l’enseignement, par l’accompagnement de la mutation du support, l’essentiel étant le contenu et son pendant le rôle indispensable du libraire, prescripteur ; et ce support, s’il est numérique, mettra plus de textes à la disposition d’une communauté, pour le coup, élargie et apaisée ; et remercions Francis Combes, avec qui nous sommes en plein accord lorsqu’il propose de supprimer les ayants droit, qui partagent avec les érudits locaux ce triste privilège d’être un peu les mouches du coche.
En fait, ce qu’il aurait fallu à ce livre, qui, finalement, ne manque pas de talents, c’est une ligne solide, bref, un ouvrage plus dense, moins décousu, une sorte de plat de saison : du pot-au-feu, avec du gîte-gîte, du plat de côte, et un bel os à moelle, le tout bien ficelé ; au lieu de quoi, on se retrouve avec un buffet de hors-d’œuvre.