Usages et pratiques dans les bibliothèques numériques

par Noëlle Balley
Sous la direction de Fabrice Papy
Paris, Hermes science publications/Lavoisier, 2007, 364 p., ill., 24 cm
Coll. IC2, Management et gestion des STIC
ISBN 978-2-7462-1655-6 : 85 €

Des dix-sept contributions rassemblées dans cet ouvrage, douze sont inédites et cinq sont reprises de l’ouvrage Les bibliothèques numériques, paru chez le même éditeur, sous la direction du même Fabrice Papy, en 2005. Cet ouvrage étant aujourd’hui épuisé, il a paru préférable d’orienter ce qui devait être une simple réédition vers la thématique particulière des usages et des pratiques dans les bibliothèques numériques, comprises au sens le plus large du terme. On y trouvera aussi bien des présentations institutionnelles (le portail Persée, le système d’information documentaire de l’université d’Artois, l’évolution du Cerimes, Centre de ressources et d’information sur les multimédias pour l’enseignement supérieur…) que des comptes rendus de recherches et de travaux en cours, et des articles de réflexion générale.

Que faut-il entendre par bibliothèque numérique ? Sous cette appellation qui ne sera définie que page 304, est regroupée toute une série de réalités distinctes, qui vont du portail documentaire au forum en passant par l’interface graphique, l’Opac, le traitement de contenus numérisés ou nativement numériques et la base de données éditoriale. Les articles s’interpellent et se répondent sans le savoir, décrivant un paysage riche et en pleine mutation. Quant aux usages et pratiques, il faut les comprendre tant du point de vue du créateur ou de l’administrateur des données que de l’utilisateur. Les études sur ce thème sont encore fragmentaires, et beaucoup de contributions l’envisagent sous l’angle du « il est encore trop tôt pour… ». Les chapitres s’articulent autour de cinq thèmes principaux : l’ergonomie des interfaces d’interrogation, le signalement des données numériques, les modalités d’interrogation, l’écriture en réseaux, sans oublier (last, but not least) l’avenir des bibliothécaires. L’exercice pour le lecteur, a fortiori pour le recenseur, consiste donc – en l’absence d’une conclusion susceptible de créer du lien et de la cohérence entre des contributions de qualité et d’intérêt très inégaux, publiées sans ordre apparent – à tirer les leçons de ces dialogues par-dessus la haie.

L’ergonomie des interfaces d’utilisation fait l’objet de divers travaux, de la part des instituts de normalisation comme des principaux fabricants. On a noté avec un intérêt particulier la contribution de Pierre Cubaud, « Interaction 3D pour les bibliothèques numériques », qui présente des essais fort prometteurs d’interfaces visuelles en trois dimensions, alternative séduisante à la superposition des fenêtres de Windows (p. 53-72). Des recherches sont menées sur des interfaces multimodales (comprendre : qui font appel à tous les sens), dont l’application aux « bibliothèques numériques » paraît un peu artificielle (Jérôme Dinet et Robin Vivian, p. 241-268).

Confrontés à la nécessité de signaler un nombre toujours croissant de ressources toujours plus labiles, le bibliothécaire et son cousin le documentaliste mettent en place des portails d’information documentaire et se donnent beaucoup de mal pour classifier, décrire, apporter les réponses à la fois les plus riches, les plus précises et les plus pertinentes. Les bons vieux Opac évoluent vers des interfaces de visualisation heuristique (Sophie Chauvin, p. 221-239). Les classifications traditionnelles hiérarchisées montrent leurs limites, et la classification à facettes mise au point dans les années 1930 par l’Indien Ranganathan apparaît comme une alternative tout à fait convaincante (du moins sur un corpus de quelques centaines d’items) si l’on en croit l’article de Michèle Hudon, « L’utilisation de facettes pour la classification et l’accès aux ressources numériques : proposition et exemple » (p. 145-170).

Mais nos chers lecteurs, que font-ils de tous nos efforts ? Des choses bien décevantes, nous disent les auteurs : 90 % des interrogations sur le portail documentaire de l’université d’Artois portent sur l’Opac, comme si les étudiants ne pouvaient dépasser le cadre de la bibliothèque matérielle, malgré la richesse des ressources virtuelles qui leur sont proposées. Alors que les bibliothécaires se donnent tant de mal pour limiter le résultat d’une requête aux réponses les plus pertinentes, les usagers adorent le bruit, qui les rassure sur une apparente exhaustivité des réponses et les aide, semble-t-il, à contextualiser leur recherche (même les spécialistes des disciplines hyperpointues de l’Institut Pasteur, écrit Emmanuelle Jannès-Ober, p. 95-108). Au contraire, répond Christian Lupovici (p. 296), le bibliothécaire est obsédé par l’exhaustivité, alors que « l’usager cherche une réponse, pas toutes les réponses »… Les bibliothécaires classent, trient, catégorisent, interdisent ; les lecteurs passent du coq à l’âne, de la rédaction d’un mail à l’interrogation sur le même poste d’une base de données scientifique, via un chat et un achat en ligne, explorant les possibilités techniques sans se limiter au contexte documentaire (Marie Després-Lonnet, « Les stratégies de recherche des étudiants », p. 203-219). Aux recherches par champs multicritères de nos beaux portails, ils préfèrent la recherche en un clic et trois mots maximum, « à la Google ».

L’écriture collaborative en réseaux, à laquelle on fait l’honneur d’études linguistiques et de logiciels d’analyse automatique, ce qui est généreux par rapport à la médiocrité des contenus étudiés (Mohamed Sidir et Nadine Lucas, p. 269-291) développe ses propres régulations et encadre ses propres pratiques, en attendant que la loi vienne « balayer le fragile consensus issu du processus d’autorégulation » (Philippe Amblard, p. 333-349).

Et le bibliothécaire, dans tout cela ? Ses tâches dans la nouvelle société de l’information numérique demeurent les mêmes en changeant totalement : du repérage à la conservation, c’est « le développement dans la continuité », explique Hélène Roussel (p. 109-122) dans un chapitre complet, clair et « classique ». Pour Christian Lupovici (p. 293-306), le rôle du bibliothécaire se déplace « vers l’amont » de la chaîne éditoriale, vers la structuration des contenus dans une granularité variable (voir la présentation du portail Persée par Jean-Émile Tosello-Bancal, p. 171-182). Réponse moins optimiste de Joachim Schöpfel et Jacques Creusot (p. 309-329) : les référentiels métier reflètent, depuis plusieurs années, les incertitudes d’une profession qui, passant de la bibliothéconomie à l’infomédiation, se demande si elle n’est pas « une espèce en danger », condamnée par le darwinisme bibliothéconomique à muter en e-serial librarian… Fabien Girard de Barros, prenant exemple sur les bases de données juridiques, explique, à l’inverse, que la maîtrise par tout utilisateur des requêtes les plus simples revalorisera le documentaliste, (re)devenu le spécialiste reconnu des recherches sur les questions de fond (p. 353-362).

À de rares exceptions près – nous avons gardé pour la bonne bouche le bel article, élégant et pessimiste, d’Olivier Fressard, « L’esprit du numérique : bibliothèques numériques et démocratie » (p. 123-143), où Tocqueville et Alain dialoguent avec Robert Damien –, les contributions sont fort mal rédigées, émaillées de coquilles grossières. La langue de bois et la logorrhée pseudo-scientifique y fleurissent, faisant passer le lecteur du sourire à l’exaspération : que pensez-vous par exemple d’un catalogue en ligne, « artefact informationnel spécifiquement conçu [… dont] l’articulation aux principes de sémiologie graphique permet de déployer des dénominateurs communs d’entendements et d’interférences porteuses dans la démarche d’affiliation intellectuelle, d’augmentation des connaissances et d’éveil citoyen » (p. 225-226) ? Dans son introduction, Fabrice Papy remercie longuement ses contributeurs d’avoir respecté les délais de rédaction. Il aurait bien dû leur accorder une demi-heure supplémentaire pour une relecture attentive : certaines contributions n’auraient jamais dû être publiées en l’état, ce qui nuit gravement à l’intérêt du volume et au plaisir de la lecture.