Lire et écrire

par Nic Diament
Coordonné par Pascal Sévérac
Auxerre, Éd. Sciences humaines, 2007, 329 p., 22 cm, coll. Les dossiers de l’éducation
ISBN 978-2-912601-61-2 : 22 €

Adressé à un public d’étudiants d’IUFM (instituts universitaires de formation des maîtres), enseignants et professionnels du monde éducatif et culturel, voici un ouvrage qui a pour ambition, nous dit la quatrième de couverture, de « cerner la spécificité actuelle de notre civilisation de l’écrit à l’ère de la domination de l’image, d’internet, et des mass médias » en faisant « varier les mises en perspectives, anthropologiques, cognitives, historiques et sociologiques sur le statut de ces activités complexes que sont la lecture et l’écriture ».

Beau projet en vérité, mais difficile à réaliser dans les strictes limites de l’épure : initier dans un espace restreint (un peu plus de 300 pages !) des étudiants ou de jeunes professionnels à l’ensemble des problématiques soulevées par un sujet aussi vaste et aussi mouvant.

Le plan général du livre se construit sur quatre grandes parties qui, partant des bases théoriques et historiques de l’avènement de l’écriture et de la lecture de masse, évoquent les résultats de la recherche en matière de sociologie de la lecture, les problématiques autour de l’acquisition et de l’apprentissage de la lecture, les pratiques d’écriture. La dernière partie, intitulée « au-delà des idées reçues », rassemble avec une pertinence un peu fragile un faisceau de contributions qui, de la lecture étudiante au succès d’Harry Potter en passant par la disparition de la presse d’opinion et au -crossing, sont censées ouvrir sur des réflexions prospectives. Il s’agit là de la partie la plus périlleuse – et peut-être la moins aboutie – de l’exercice. À chaque fin de partie, un ensemble regroupe sous le titre « Points de repère » des tableaux, glossaires, statistiques, facilitant la compréhension.

Pascal Sévérac, le coordinateur, a fait appel à plus d’une vingtaine de contributeurs, dont certains sont bien connus des bibliothécaires (Alberto Manguel, Jean-Yves Mollier, François de Singly…) et d’autres des enseignants (Gérard Chauveau, Liliane Sprenger-Charolles…) qui, au moyen de chapitres concis et denses, s’efforcent de cerner l’essentiel d’une question. Ces chapitres sont de deux ordres. Les premiers apportent des éléments factuels au lecteur sur un sujet tantôt vaste, comme les deux synthèses historiques lumineuses de J.-Y. Mollier (« L’avènement de la lecture pour tous ») et de Dominique Kalifa (« L’invention de la culture de masse »), tantôt très précis comme celles, non moins brillantes, de Philippe Lejeune (« Les usages du journal intime ») ou de Patrick Pécherot (« Le polar, miroir du social »). Les autres chapitres sont plus de l’ordre de la compilation de théories ou d’œuvres majeures sur la question abordée : avec intégrité et un vrai souci de vulgarisation, ils incitent le lecteur à aller voir plus loin. Chantal Horellou-Lafarge donne ainsi envie de lire Baudelot ; Vincent Troger d’aller se plonger dans Histoires de lecteurs, de Gérard Mauger, Claude F. Poliak et Bernard Pudal ; Martine Fournier dans Être écrivain, de Nathalie Heinich.

Il est difficile de porter un jugement sur la globalité de l’ouvrage, tant son aspect « patchwork », inhérent à la maquette de la collection, incite plutôt à un regard analytique et comparatif.

De ce point de vue, l’ouvrage n’évite pas les redondances, dont certaines restent pertinentes (redondance est mère de la pédagogie), comme celle, annoncée d’ailleurs en note, entre Ph. Lejeune et Marie-Claude Penloup. D’autres, sans doute difficilement évitables, ont un caractère superfétatoire (ainsi l’analyse de F. de Singly sur la lecture étudiante doublée des résultats de la même enquête dans la partie « Points de repère »). Et notamment quand elles sont de l’ordre du sous-entendu… La faible opinion que la plupart des sociologues de l’ouvrage ont de Bourdieu transparaît avec une clarté un peu gênante, car jamais réellement explicitée.

Par ailleurs, certaines références datent un peu : en matière de sociologie de la culture, il est dommage par exemple que ne soit faite nulle allusion à l’étude de Sylvie Octobre Les loisirs culturels des 6-14 ans qui date pourtant de 2004 et qu’Olivier Donnat n’apparaisse que pour un titre publié en 1994. Pire : le chapitre sur les stratégies de l’édition en France, d’Ahmed Silem et Serge Lenga, fait le point sur l’état de l’édition… en 2000 ! Avec moult allusions, devenues obsolètes, à la fusion Gallimard/Bayard (« annoncée », pour le 12 octobre 1999 !) et au groupe Vivendi dont les auteurs n’ont pas l’air de connaître le destin ultérieur…

Certains sujets sont si vastes et/ou si polémiques que les auteurs à qui on a demandé de faire une acrobatique, mais courageuse synthèse et qui dans l’ensemble s’en sortent avec honneur, semblent parfois un peu laconiques. Il en est ainsi de l’article sur l’illettrisme, ou de celui, encore plus périlleux, sur les méthodes d’apprentissage de la lecture.

Mais tel qu’il est, bigarré et disparate, cet ouvrage réussit le difficile pari de la vulgarisation de qualité. À travers un tour d’horizon ample et généreux, il a le double mérite de donner aux lecteurs pressés des repères fiables et de susciter, chez les plus disponibles, l’envie et la possibilité d’explorer les pistes qu’il a ouvertes.