Le scriptorium d'Albi

les manuscrits de la cathédrale Sainte-Cécile (VIIe-XIIe siècles)

par Noëlle Balley

François Avril

Maxence Hermant

Françoise Bibolet

Sous la dir. de Matthieu Desachy
Rodez, éd. du Rouergue, 2007, 174 p., ill., 27 cm, coll. Trésors écrits albigeois, 11
ISBN 978-2-8415-6887-1 : 40 €

Paris, Hazan ; Châlons-en-Champagne, Interbibly, 2007, 215 p., ill., 28 cm.
ISBN 978-2-7541-0188-2 : 25 €

La médiathèque Pierre-Amalric d’Albi offrait à son public, à l’automne 2007, un parcours en quatre étapes parmi les trésors les plus précieux de son patrimoine : les manuscrits de la bibliothèque des chanoines de la célèbre cathédrale, dont Matthieu Desachy, directeur de la médiathèque, s’intitule avec coquetterie conservateur in partibus.

Une présentation érudite du scriptorium d’Albi

C’est à l’expansion ratée de l’empire de Charlemagne vers les Marches d’Espagne qu’Albi doit son statut de cité-relais entre deux pôles de la civilisation européenne. Les manuscrits rassemblés alors par les chanoines témoignent, tant par le sérieux et la cohérence de leur contenu que par la prédominance du texte sur une illustration discrète, des efforts accomplis par une communauté religieuse et savante pour s’approprier les progrès de la Renaissance canonique, liturgique et intellectuelle alors à l’œuvre.

La présence de manuscrits aussi anciens dans la France méridionale est exceptionnelle, le nombre et la qualité des témoins conservés à Albi ne le sont pas moins. On remarque en particulier l’une des plus anciennes mappemondes connues, centrée sur une Méditerranée à la silhouette étrangement fœtale. La présence de notations musicales précoces est aussi l’un des éléments les plus remarquables de cette collection.

Elles font l’objet d’une présentation scientifique de haut niveau, un peu ardue pour les profanes. Vers l’an 1100, le scriptorium d’Albi connaît son apogée, autour d’un graphiste de génie, l’archidiacre Sicard. Explosion des couleurs, imagination débordante, raffinement des formes, dynamisme du trait, audace des mises en page, symbiose parfaite du texte et de l’image, que dire devant de tels chefs d’œuvre ? Le catalogue se clôt par une fort intéressante étude des obituaires de la cathédrale, judicieusement poursuivie jusqu’au XVIIe siècle.

L’ouvrage souffre par moments d’un certain déséquilibre entre érudition et vulgarisation, et l’on déplore l’absence de notices descriptives des manuscrits présentés, et de toute mention des folios reproduits. Les documents présentés sont admirablement mis en valeur par les photographies de Florian Rousseau : le grain du parchemin, les trous et les réglures, les aspérités sont remarquablement rendus. On pourrait presque les palper.

Perfection de l’enluminure champenoise

L’agence de coopération régionale champenoise Interbibly, qui poursuit un remarquable travail de valorisation des fonds patrimoniaux, proposait au même moment, sur le thème toujours très apprécié des manuscrits médiévaux, un exercice assez différent : une exposition collective et tournante des plus belles pièces des collections champenoises produites au cours du grand XVe siècle.

Le choix de la période s’avère fort judicieux, car, si l’on connaît bien la production rémoise de la période carolingienne, de même que celle des grandes abbayes bénédictines au moment de l’essor de Cîteaux, on sait beaucoup moins que les dernières décennies du Moyen Age champenois ont aussi suscité bien des chefs d’oeuvre. Troyes se taille la part du lion dans l’exposition, grâce au mécénat de ses dynasties de marchands, mais Chalon et Reims proposent aussi de fort belles choses. Si la provenance champenoise est attestée par la présence de saints locaux dans les calendriers, il est bien difficile de déceler des éléments stylistiques communs dans des collections qui réunissent artistes locaux au sommet de leur art, enlumineurs de passage (œuvres de jeunesse du Maître de Rohan) et commandes aux grands ateliers de Paris ou d’ailleurs. Quel bonheur qu’un aussi beau terrain de recherche soit encore largement inexploré !

Les pièces présentées sont représentatives de l’art de l’enluminure à la fin du Moyen Âge : raffinement et perfection de chaque pièce, omniprésence de l’iconographie autour d’un texte stéréotypé qui n’est plus qu’un prétexte, apparition progressive de la perspective et des décors antiquisants, prédilection pour les thèmes macabres, influence discrète de la gravure, changement radical dans le traitement de certains thèmes (de la Bethsabée bonne bourgeoise, trempant trivialement ses pieds dans la rivière, à la stupéfiante sirène de Jean Colombe). Elles démontrent avec éclat que l’imprimerie, loin de tuer l’art de l’enluminure, a accompagné son ultime splendeur.

Le catalogue de l’exposition présente la perfection un peu froide typique des éditions Hazan. Chaque page, accompagnée de commentaires, est un émerveillement. On regrette seulement, parce qu’il faut bien critiquer quelque chose, l’absence de renvoi entre les illustrations de la première partie et les commentaires regroupée dans le catalogue.