Les politiques documentaires

37e Congrès de l'ADBU

Annie Le Saux

Les politiques documentaires, « quotidien des bibliothécaires » (Marie-Dominique Heusse, présidente de l’ADBU), constituaient le thème de la journée d’étude de l’Association des directeurs et des personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation, qui s’est tenue à Dunkerque, le 21 septembre 2007. À l’heure où la production d’informations scientifiques en ligne s’est fait une place non négligeable aux côtés (au détriment ?) de la documentation papier, il était judicieux de s’interroger sur l’articulation entre « la matérialité de la collection et une dimension de flux qui monte en puissance » (Bertrand Calenge, BM de Lyon) et sur les conséquences de cette évolution sur les stratégies et les missions des bibliothèques. Comment les bibliothèques font-elles face à cette nouvelle offre documentaire ?

La diversité des expériences présentées a témoigné d’une recherche de solution au cas par cas plus que d’une véritable concertation à l’échelon national. Il fut tout d’abord question d’une mise en œuvre locale, celle du SCD de l’université d’Angers, qui développe, après avoir constaté une demande quasi exclusive de documents électroniques par les chercheurs en sciences et médecine, la politique radicale du e-only, autrement dit une « gestion décomplexée des revues papier » 1 (Olivier Tacheau) ; puis d’une université pluridisciplinaire régionale implantée sur trois départements, l’université de Picardie Jules-Verne, où le SCD a mis en place un plan de développement des collections structuré par disciplines et non par implantation géographique ; de Strasbourg, où le passage des SCD en un SICD veut servir de moteur à une carte documentaire alsacienne, avec un marché unique pour la documentation imprimée des trois universités et une mutualisation des spécialités de chacun ; et aussi d’un Pres (Pôle de recherche et d’enseignement supérieur) régional, le seul du genre, celui de l’Université européenne de Bretagne, qui cherche à dresser une carte documentaire de l’Enseignement supérieur en Bretagne à partir des cinq projets de politiques documentaires des cinq SCD présents dans le Pres (Elisabeth Lemau, directrice du SCD de Rennes-II). Le but étant de trouver une articulation entre l’ancrage institutionnel et l’insertion dans des territoires multiples « sans créer de superstructures -inutiles » (Annie Coisy, SCD de l’université de Bretagne-Sud).

Dans un monde où la bibliothèque n’est qu’« une toute petite partie du grand tout », « Google », l’important est de se rendre visible à l’utilisateur, « de pousser nos contenus dans les outils utilisés par les chercheurs », dit Olivier Tacheau et, précise David Aymonin (directeur de l’information scientifique et des bibliothèques de l’École polytechnique fédérale de Lausanne), « d’être capable de lui fournir immédiatement toute sorte de document », la logique qui prédomine étant non seulement de donner accès au contenu, mais surtout de donner un accès rapide et aussi de partir des usages et d’adapter l’offre.

« La France souffre des comparaisons internationales, a résumé Valérie Tesnière, dans la synthèse qu’elle a faite de la journée, que ce soit en termes de budget d’acquisition – pour lequel le modèle allemand est donné en exemple au travers de licences nationales 2ou de coordination de réseaux ».

Or, comme l’a fait remarquer François Cavalier (alors directeur du SCD de l’université de Lyon-I), « un réseau de bibliothèques de référence n’a de sens que dans le cadre d’une politique documentaire réfléchie au niveau national. » Si l’on prend, parmi les réseaux existant à l’échelle nationale – le Sudoc, Couperin… –, l’exemple des Cadist (centres d’acquisition et de diffusion de l’information scientifique et technique), conçus dans un univers papier, on peut se demander si cette structure est toujours nécessaire et, si oui, pour faire quoi et comment la moderniser ? Pas de réponse simple, déclare François Cavalier, pour qui la véritable question est : « Quel mode d’accès à l’information scientifique et technique, associé à quel service ? ». Le modèle de bibliothèque capable de gérer ce type de flux centré sur l’article reste encore à inventer.

La solution serait-elle, comme le préconise David Aymonin, « de déléguer à une institution nationale les acquisitions et la gestion d’une collection de base, accessible à toutes les bibliothèques, et de laisser celles-ci se concentrer sur une politique -d’acquisition de niche » ?

La politique documentaire est à repenser à l’échelle de la Toile, même si on ne change que d’échelle et d’outils, comme l’a assuré Gildas Illien en s’appuyant sur l’expérience du dépôt légal d’internet à la BnF, où « le web est aussi un objet de patrimoine, de collection » 3.

Un pas en avant vers une politique documentaire nationale au service de l’enseignement supérieur et de la recherche a été fait par la création d’une mission interministérielle, dont le but est d’aboutir à la coordination de ce « paysage complexe, diffus et difficile à maîtriser qu’est l’IST » (Yann Boaretto, inspecteur général des finances). Cette recherche devrait se concrétiser par une organisation rationalisée de l’IST passant par le regroupement du marché académique et de l’édition commerciale, c’est-à-dire de l’Abes (Agence bibliographique de l’enseignement supérieur), élargie aux activités documentaires du Cines (Centre informatique national de l’enseignement supérieur), et de l’Inist (Institut de l’information scientifique et technique). Comment ? En gardant les deux entités et en les chapeautant par une Agence nationale de l’IST (Anist) 4 ?

Quel avenir nous attend face à un nivellement de l’offre documentaire (que l’on remarque chez tous les membres des consortiums), à une profusion de portails documentaires – « une auberge espagnole », selon les termes d’Olivier Tacheau – à une dispersion des forces… ? Quel scénario privilégier ? Celui de la Suisse et d’une collection nationale accessible à toute la communauté des bibliothèques universitaires, qui auraient en charge l’accès et le flux et deviendraient de plus en plus un lieu de niches ? Ou la mutualisation doit-elle se faire à plusieurs niveaux – local, régional, national –, qu’il s’agirait d’articuler ? En attendant, une idée a recueilli un large consensus, celle d’un plan national de conservation intégrant les documents papier et électroniques 5.

  1. (retour)↑  En 5 ans, l’abonnement à 235 titres papier a été supprimé, soit plus d’un titre sur deux.
  2. (retour)↑  Le Joint Information Systems Committee britannique réfléchit à des licences transnationales.
  3. (retour)↑  Un article de Gildas Illien sur les enjeux du web patrimonial devrait être publié dans le BBF en 2008.
  4. (retour)↑  Le rapport sur le devenir de l’IST est toujours en attente de publication.
  5. (retour)↑  Le lendemain de la journée d’étude, les interventions du sous-directeur des bibliothèques et des représentants de la CPU ont essentiellement concerné la loi du 10 août relative aux libertés et aux responsabilités des universités (loi n° 2007-1199), dont, dans l’attente des décrets d’application, seul l’esprit put être débattu.