Un laboratoire de littératures
littérature numérique et internet
Paris : Bibliothèque publique d’information – Centre Georges Pompidou, 2007. – 262 p. ; 22 cm. – (Études et recherche).
ISBN 978-2-84246-104-1 : 26 €
Cet ouvrage collectif dirigé par Serge Bouchardon propose une réflexion sur l’état de l’art en matière d’écriture numérique. L’ouvrage s’intitule Un laboratoire de littératures : laboratoire parce que nous sommes dans un domaine expérimental, celui des hypertextes, et littératures au pluriel du fait de la transversalité des modes d’écritures utilisés. En effet, il n’y a pas une littérature numérique mais des expérimentations littéraires utilisant la programmation algorithmique.
Cet ouvrage est intéressant parce qu’il reprend dans le détail les enjeux et les perspectives offertes par le web en matière d’innovation littéraire. En outre, face à la complexité de la question, les auteurs ont su proposer un agencement explicite pour les non-initiés. L’ouvrage s’organise autour de trois chapitres qui traduisent bien la complexité de ce champ littéraire tout en donnant un certain nombre de clés au lecteur.
Le premier chapitre s’interroge sur le domaine de l’écriture numérique. Où se situe l’écriture numérique ? Sommes-nous dans l’écriture ou la réécriture permanente ? Existe-t-il seulement une véritable écriture possible ? Quelle est la place de l’écrivain ou du lecteur ? Quel est le lieu des écritures numériques : la page d’écran, le programme informa-tique ?
Il y a effectivement différents types d’écritures numériques qui ne sont pas uniquement liées aux différentes techniques de programmation ou aux différents usages du réseau internet. La multiplicité de ces écritures vient du fait que le dispositif algorithmique est à lui seul un véritable travail d’écriture, et en tant que tel, il interpelle l’auteur de l’œuvre numérique dans son statut d’écrivain. Pour clarifier toutes ces questions, une typologie dressant un panorama complet de la question est proposée. À cette typologie s’ajoute une cartographie des modes de navigation sur le réseau.
Le deuxième chapitre, lui, apporte un certain nombre de réponses aux questions posées précédemment. En interrogeant les termes d’écriture et d’écrivain, les auteurs posent la question de la place du texte, du statut d’auteur et du dispositif informatique dans les hyperdocuments. En effet, quelles sont les conséquences de l’écriture numérique sur l’œuvre réalisée ? L’œuvre numérique peut-elle seulement se terminer puisque l’algorithme la renouvelle sans cesse ? Mais au-delà de cette question, c’est tout le problème de la pérennité de ces expérimentations scripturales qui est posé à travers la mise en perspective de questionnements littéraires et des innovations hypertextuelles. Il n’y a pas d’œuvre achevée puisque la ré-écriture est inscrite dans l’acte même d’écriture. Ces questions, Borges et Blanchot les posaient déjà en leur temps lorsqu’ils expliquaient les raisons pour lesquelles l’auteur n’était que le rédacteur d’un texte déjà écrit, et qu’ils comparaient l’acte d’écriture à un acte de relecture.
Le dernier chapitre répond au précédent en offrant au lecteur certaines réponses très concrètes à partir d’études détaillées sur des réalisations hypermédias récentes. Des questions conceptuelles sur l’épistémologie des hyperdocuments n’auraient eu aucun intérêt si les auteurs n’avaient pas pris la peine de montrer, à partir d’œuvres hypertextuelles, comment ces dispositifs sont construits et agencés. Plus qu’un inventaire, il s’agit là d’une cartographie détaillée et expliquée des différents domaines de création des hyperdocuments avec les modes d’écriture et de lecture qui les accompagnent. L’annexe proposera, elle, des références précises à des œuvres que le lecteur ne manquera pas de consulter s’il veut connaître dans le détail la manière dont l’écriture numérique se concrétise.
Il est vrai que cet ouvrage pose des questions salvatrices sur le statut de l’œuvre, de l’écriture, de l’auteur, de la lecture, mais le lecteur aurait aimé une réflexion sur les limites des hyperdocuments, limites que Raymond Queneau entrevoyait déjà dans ses entretiens avec Georges Charbonnier lorsqu’il insistait sur les artifices de la littérature par contrainte de l’Oulipo. Tout acte d’écriture ne repose-t-il pas par essence sur une contrainte que la littérature oulipienne rend artificielle en en faisant une modalité d’écriture extérieure au texte ? C’est la même question que posent les hyperdocuments : leurs limites ne viennent-elles pas de leur incapacité à proposer une modélisation propre, autrement dit le « non préconstruit à l’avance » des hyperdocuments est-il seulement possible ?