Muséographie du patrimoine écrit
Approches critiques
Jean-François Delmas
Le 14 juin 2007 s’est tenue au musée des Beaux-Arts de Nancy une journée d’étude sur la muséographie du patrimoine écrit. Placée sous le patronage d’Albert Ronsin, cette rencontre était organisée par la direction régionale des affaires culturelles de Lorraine et le centre régional de formation aux carrières du livre, des bibliothèques et de la documentation de Nancy-II, Médial, avec le concours de la Direction du livre et de la lecture.
Une présentation paradoxale
Pour introduire cette rencontre, Jacques Deville, conseiller à la Drac de Lorraine, a rappelé qu’en 1937, Paul Valéry a soulevé, le premier, la problématique de l’exposition de manuscrits dans toutes ses spécificités. Soixante-dix ans après la publication de ce texte fondateur *, ce thème de réflexion – concernant les archives, les bibliothèques, les musées littéraires, historiques ou techniques ainsi que les maisons d’écrivains – a été abordé sous plusieurs points de vue. Les nombreuses interventions de cette journée ont souligné les caractéristiques paradoxales de la présentation d’un texte. L’exposition du patrimoine écrit apparaît, en effet, singulièrement difficile à adapter aux enjeux et aux contraintes d’une mise en valeur aisément accessible. Elle soulève de nombreuses difficultés, tant sur les plans scientifique et technique, que par rapport aux politiques culturelles dans lesquelles elles s’inscrivent. Ce choix semble parfois incompatible avec l’approche de textes. Leur compréhension se déroule dans la durée subjective de la lecture. En outre, l’exposition sous vitrine – toujours limitée dans le temps et dans l’espace – d’une double page de manuscrit ou d’imprimé ne révèle qu’une portion infime de l’œuvre présentée, contrairement à l’accrochage d’un tableau. Enfin, obstacle d’ordre psychologique, le public associe rarement la dimension de la découverte et du plaisir à une bibliothèque, institution considérée généralement sous l’angle de l’étude et de l’effort. Ces observations induisent la mise en œuvre de solutions particulières afin de pallier ces aspects contradictoires. Selon la formule de Fabien Plazannet, chef du département des politiques documentaires et patrimoniales à la DLL, l’exposition du patrimoine écrit doit offrir toutes les conditions d’une « conversation » pour séduire le public.
S’inscrire dans une politique culturelle
Les interventions de Thierry Delcourt, ancien directeur de la médiathèque de l’agglomération troyenne, ont souligné le contexte nécessaire aux termes de cette relation à établir. La valorisation du patrimoine écrit répond aux exigences du service public, inhérentes aux missions des bibliothèques. Travailler dans ce sens suppose de développer une politique culturelle plus large. Dans cette optique, la concurrence de moyens entre lecture publique et secteur patrimonial ne saurait perdurer. La mise en valeur des fonds anciens s’inscrit dans un projet d’établissement s’intégrant à son tour dans une politique municipale. C’est à cette seule condition que la bibliothèque peut prendre toute sa place dans la cité. À cet égard, il convient de s’assurer de l’adaptation du discours aux différents niveaux de compréhension des publics susceptibles de fréquenter les expositions de la bibliothèque. En matière d’organisation de telles manifestations, les progrès ont été considérables depuis les années 1930, impliquant un professionnalisme de plus en plus accru. Faut-il rappeler que la préparation d’une exposition fait partie intégrante du métier de -conservateur de bibliothèque ?
Donner un sens
La lettre et l’esprit de la muséographie du patrimoine écrit méritent une attention particulière. Une exposition réussie est sous-tendue par un discours clair. Le musée offre l’évidence de présenter des objets. Dans une bibliothèque, il faut en révéler le contenu pour lui donner un sens, a précisé Vivianne Cabannes, responsable des expositions de la BnF. La scénographie doit donc restituer un univers de signification, à la croisée de l’intelligible et du sensible, que le public ne percevrait pas sans elle. Afin de créer les passerelles nécessaires à la compréhension de l’exposition, son contexte doit donc être enrichi. L’utilisation des « traces » autour de l’écrit permet de traduire un esprit et de restituer une âme. La réunion de toutes les formes d’expression, notamment des peintures, des objets, des productions sonores et visuelles, offre un réseau d’interférences particulièrement suggestif. Les nouvelles technologies présentent également des ressources multiples, notamment la numérisation des documents. Ainsi scénographié, l’écrit constitue-t-il un seuil culturel indéniable. Il permet d’élargir le public, d’établir des collaborations et d’initier l’éducation artistique : il suscite de nouvelles formes d’intériorité. Les témoignages échangés lors de cette journée d’étude ont illustré les actions entreprises ici et là pour articuler les enjeux des politiques patrimoniales avec la recherche de nouveaux publics. Les intervenants ont confirmé l’importance de la mutualisation des expositions et l’intérêt de mettre en place des réseaux associant étroitement la recherche et la valorisation des fonds anciens.
À l’issue de ces débats, quelques regrets peuvent, toutefois, être formulés. L’accueil réservé aux expositions par l’opinion, l’analyse de leur succès ou de leur échec, la gratuité, la formation des conservateurs en matière de gestion des fonds anciens et d’organisation d’événements, la recherche de mécénat éventuel, constituent autant d’interrogations peu ou pas abordées à cette occasion. Néanmoins, cette journée d’étude a permis de mettre l’accent sur un domaine encore trop rarement évoqué. La considération – relativement récente – au sein de la profession des enjeux de la mise en valeur des collections patrimoniales est un gage d’espoir.