Comment passer d’un SIGB à un système d’information ? Vers une nouvelle génération de systèmes d’information documentaire

Olivier Chourrot

À la lecture du titre un peu long de cet atelier, on pouvait redouter un débat entre experts en informatique documentaire. Heureuse surprise, c’est à une mise en perspective de l’évolution des services et des pratiques bibliothéconomiques que l’on a assisté. Principalement conçus pour l’automatisation du travail des bibliothécaires, configurés autour du circuit du document, les systèmes intégrés de gestion de bibliothèque n’ont jamais porté beaucoup d’attention à la qualité des interfaces utilisateurs (Caroline Wiegandt). Parent pauvre des SIGB, l’Opac avait pour seule ambition de faciliter les recherches dans le catalogue et la localisation des documents.

La rupture numérique

L’apparition des ressources numériques constitue une rupture dans l’évolution des SIGB : les banques de données spécialisent la médiation ; les cédéroms exigent des applications et des matériels dédiés ; enfin, l’abonnement à des ressources en ligne fait du réseau un lieu de stockage de données. Devenu hétérogène, le système d’information devient peu lisible pour l’usager comme pour le professionnel. Remède miracle à la complexité, le fantasme du « guichet unique » fait alors son apparition, au travers de la norme Z-3950 et de la banalisation du catalogue comme voie unique d’accès aux ressources. Or, les tendances actuelles d’évolution des métiers de la documentation invitent à dépasser cette vision. Traditionnellement acquéreur d’une collection finie, le bibliothécaire est également devenu veilleur de documents en réseau et éditeur des contenus générés par sa propre institution. Dans un contexte qui fait de la bibliothèque un « îlot d’organisation dans un système désordonné » (C. Wiegandt), les choix de normes et d’outils de gestion de contenus ont acquis une importance capitale.

Or, pour Christian Langevin (Qwam Content Intelligence), le bibliothécaire (académique) reste marqué par une vision « catalogo-centrée », qui entretient la confusion entre les outils de gestion interne et les interfaces publiques. Au mythe d’une solution globale centrée sur le SIGB, il faut préférer une analyse fonctionnelle fine de chaque besoin et bien distinguer les outils de gestion interne, de recherche fédérée et les interfaces de services (Marc Daubach, Ex Libris). Une condition essentielle pour y parvenir : développer l’urbanisation du système d’information (Jérôme Kalfon, SCD de l’université Paris-V), en allouant des ressources humaines et financières à l’indispensable travail d’intégration du système d’information (C. Langevin).

L’évolution des systèmes d’information documentaire

L’état des pratiques de réinformatisation proposé par Nicolas Morin (alors au SCD de l’université d’Angers), plus amer que doux, montre cependant que beaucoup reste à faire pour passer du « SID V1 », au « SID V2 ». Structuré au moyen d’appels d’offres « gloubiboulga », tellement complets qu’aucun fournisseur n’est en mesure d’y répondre avec un égal talent, le SID V1 privilégie de fait les besoins de gestion interne car ils sont mieux connus des professionnels et des assistants à maîtrise d’ouvrage du marché. À l’inverse, les fonctionnalités liées à la gestion des contenus, à la recherche documentaire et aux interfaces publiques sont insuffisamment exprimées pour déboucher sur des solutions satisfaisantes, comme en témoigne une récente étude sur l’usage de la recherche fédérée au SCD de Valenciennes *. Le SID V2 place au contraire l’usager au cœur de ses préoccupations : sur quelle segmentation des publics l’offre de services doit-elle reposer? Peut-on traiter d’égale façon un étudiant en premier cycle, un chercheur et un thésard ? Selon cette problématique, le SID doit évoluer continûment, par une dialectique entre analyse des besoins, conception, prototypage et évaluation des pratiques. Au changement complet du SIGB tous les cinq ans, il faut préférer une évolution modulaire, au plus près de celle des attentes et des comportements des lecteurs (C. Langevin, M. Daubach). Mais cela n’est possible que si la bibliothèque évalue périodiquement l’appropriation des outils par les usagers au moyen de techniques d’enquêtes qualitatives, à l’exemple des focus groups organisés périodiquement par la Bibliothèque publique d’information (Olivier Chourrot).

Enfin, les intervenants ont insisté sur l’importance d’une conduite de projet solide, s’appuyant non seulement sur une saine relation entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre, mais aussi sur une connaissance approfondie des publics et de leurs pratiques.

L’usager, grand oublié du SID ? Les débats de cet intéressant atelier pourraient conduire à le penser. Déplacer le centre de gravité de la bibliothèque de la gestion d’une collection vers la gestion de services profilés reste donc un enjeu auquel les professionnels doivent répondre dans les années à venir.

  1. (retour)↑  Effectuée dans le cadre d’un mémoire Enssib, cette étude montre que la recherche fédérée du SCD de Valenciennes n’est utilisée que pour 1,58 % des requêtes.