De nouveaux accès aux lettres manuscrites

L’exemple de la correspondance de Nicolas Fabri de Peiresc

Raphaële Mouren

Nombreux sont les chercheurs qui, travaillant sur l’histoire culturelle du XVIIe siècle, ont passé quelques jours à la bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence pour dépouiller les quinze registres de correspondance de Nicolas Fabri de Peiresc (1580-1637). Ces copies de lettres envoyées par ses correspondants européens sont en effet une source centrale de l’histoire de la République des Lettres. Une partie d’entre elles était bien entendu disponible dans des éditions, mais celles-ci étaient partielles et dispersées ; l’édition principale, proposée au XIXe siècle par Tamizey de Laroque, demandait bien souvent aux chercheurs de vérifier le texte. Pour préparer leur consultation, les chercheurs disposaient des notices du Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques, qui décrivent sommairement le contenu des registres. Depuis 2004, les spécialistes comme les curieux peuvent consulter ces lettres d’une manière nouvelle, grâce à l’utilisation des outils informatiques. Combinant en effet des financements et des aides techniques du ministère de la Culture et de la Communication (Mission de la recherche et de la technologie) et du projet européen et régional Internum 1, la bibliothèque Méjanes a mené à bien un projet important de numérisation et de description :

  • numérisation des quelque sept mille lettres copiées dans les registres ;
  • indexation de chacune de ces lettres, en utilisant le format XML EAD et les normes de description existantes ;
  • mise à disposition sur une plateforme numérique structurée en XML.

Si la bibliothèque Méjanes avait déjà mené quelques projets, assez modestes, de numérisation, c’était la première fois qu’elle se lançait dans un projet qui demandait, à côté de la numérisation, un travail important de description. Elle a eu la chance de pouvoir bénéficier des réflexions menées précédemment dans le cadre du projet Internum par des institutions culturelles françaises, italiennes et espagnoles – bibliothèques, archives, musées, laboratoires de recherche – sur l’indexation (choix et utilisation des balises EAD, normes internationales d’indication des dates, etc.), ainsi que de l’existence d’une plate-forme développée dans le même cadre et permettant la mise en ligne rapide des images. Le maître d’œuvre du projet Internum, le Centre de conservation du livre, a ainsi largement participé au projet Peiresc en prenant en charge l’indexation des lettres, une à une, la création d’une page d’accueil et l’hébergement sur sa plate-forme numérique.

L’indexation a consisté à créer pour chaque lettre une notice dans laquelle apparaissent le nom de l’expéditeur et celui du destinataire sous leur forme internationale, les lieux d’expédition et de réception, la date, la référence et la description physique, ainsi que la langue utilisée. Tous ces champs d’indexation peuvent faire l’objet de recherches simples ou croisées dans un formulaire de recherche qui s’affiche toujours en premier sur les pages du site Internum.

Il a bien entendu fallu surmonter quelques difficultés, comme le fait que, s’agissant d’une copie continue de ces lettres, on trouve souvent deux lettres sur la même page (la fin d’une lettre suivie du début de la suivante), ce qui a demandé de traiter deux fois la même image, en la rattachant à deux notices différentes.

Les lettres sont accessibles à partir de la plate-forme Internum, mais aussi du site de la Cité du Livre (bibliothèque Méjanes) 2, et, grâce au référencement des notices (balises « data » spécifiques), directement par les moteurs et annuaires de recherche comme Google, Yahoo ou Exalead : les chercheurs en effet, comme tout le monde, utilisent beaucoup moteurs et annuaires, et le référencement est aujourd’hui indispensable dans un projet de ce type 3.

L’hébergement sur une plate-forme qui accueille des projets de numérisation très variés et privilégie la création de bibliothèques virtuelles thématiques a, quant à lui, plusieurs avantages pour les utilisateurs :

  • il évite la dispersion qui se produit si chaque établissement met ses images numérisées sur son site : bien entendu, cette approche de la numérisation comme vitrine de l’institution a des avantages pour cette dernière, mais contraint les utilisateurs qui cherchent un document à se promener sans fin de site en site pour trouver ce qu’ils cherchent ou simplement savoir ce qui existe ;
  • il permet la réunion de documents conservés dans des institutions éloignées. Ainsi, dès l’origine, le projet Peiresc a prévu l’intégration des lettres manuscrites conservées à la bibliothèque Inguimbertine ; les financements avaient été trouvés pour couvrir la dépense mais le projet n’a pu être mené à bien pour des raisons administratives. D’ores et déjà pourtant, un certain nombre d’autres documents concernant Peiresc sont proposés dans la « Bibliothèque virtuelle Peiresc » : manuscrits conservés à la bibliothèque Méjanes (catalogue de la bibliothèque de Peiresc), à la British Library et au Museum Meermanno Westreenianum 4 de La Haye, mais aussi imprimés et documents iconographiques provenant du musée Paul Arbaud, de la bibliothèque Méjanes et d’une bibliothèque privée.

Par la réponse à un appel d’offres du ministère de la Culture et de la Communication, par des accords de collaboration avec des partenaires régionaux, la bibliothèque Méjanes a ainsi pu mettre à la disposition des chercheurs du monde entier, non pas seulement le texte des lettres reçues par Nicolas Fabri de Peiresc, mais surtout de nouveaux moyens d’y accéder grâce à la possibilité qui leur est offerte de faire des recherches documentaires précises à l’intérieur de cette collection.