Pour un livre blanc de la petite édition

réflexions et propositions

par Thierry Ermakoff
Paris (3 rue Ravignan, 75018): Hélikon, 2007 (hors-série).
ISBN 2-913740-15-4 : 4 €

Il n’y a plus de saison: on a de la neige en juin au sommet du plomb du Cantal; et depuis, il pleut. Le fromage sera bon, mais le vin étrange; surtout le Marcillac, qui ne supporte pas les gelées tardives et les orages précoces.

Et pourtant, à période régulière, nous avons un Baptiste-Marrey. Que ferions-nous si Baptiste-Marrey n’était pas là pour surveiller nos consciences livresques? Il y a (presque) vingt ans paraissait l’Éloge de la librairie avant qu’elle ne meure, aux éditions du Temps qu’il fait, et il y a dix ans, l’Éloge des bibliothèques (éditions Hélikon-CFD); sans doute dans dix ans, un Éloge de l’édition et du SNE?

Et pourtant, à période moins régulière, nous avons un Patrick Cloux. Puisque nous sommes ici pour évoquer le livre de Baptiste-Marrey, parlons de Patrick Cloux. Son dernier ouvrage paru, Mon libraire, sa vie, son œuvre est une sorte d’abécédaire sans Z, ni K ni W d’ailleurs; un abécédaire à l’éloge de la librairie; on y trouve les entrées « bibliothèque », « office », « remise », « format », et même « lecteur »: c’est dire si ce lecteur a encore sa place. Avec Patrick Cloux, on lit à l’estime, les yeux fermés; ce qui n’est pas des plus aisé. Mais comme il a longtemps exercé ce métier de libraire, il sait de quoi il parle, on sait ce qu’il veut nous dire dans le creux de nos intimités. Voilà un livre de libraire, un livre d’écrivain qui se lit un verre de whisky à la main. Publié par un éditeur qui peine, et que nous n’hésiterons pas à soutenir, en achetant, en plus de cet excellent ouvrage, celui de Fred Deux, Entrée de secours  *.

Baptiste-Marrey publie donc Les boutiques des merveilles aux éditions du Linteau, dont le titre est le prolongement direct d’un article célèbre publié par le quotidien Le Monde. Et voici qu’à partir de la boutique aux merveilles, la librairie, Baptiste-Marrey cède à son penchant le plus naturel: établir une politique du livre et de la lecture. Baptiste-Marrey, cofondateur du Lac des signes, des ateliers régionaux du livre (réalisés avec l’ex-FFCB), écrivain bénévole, infatigable faux-provocateur, il tient, on le sait, la lecture, et plus particulièrement la littérature pour une des plus hautes activités humaines.

L’ensemble se présente sous la forme d’une série de chapitres traitant de l’état des lieux de la librairie, de son utilité, de ses obligations et missions, des moyens d’assurer sa survie, son existence, son développement. Le tout entrecoupé de citations de Christian Thorel (Ombres blanches, Toulouse), James Tanneau (librairie Plurielles, le Mans), ou Charles le Pailleur, libraire retraité.

La thèse défendue depuis longtemps par Baptiste-Marrey est simple: écrire est une nécessité avant d’être un métier, lire et publier de bons livres une activité hautement supérieure; les diffuser dans un réseau dense de bonnes librairies et de bonnes bibliothèques est aussi pour les premières, et essentiellement pour les secondes, du ressort de la collectivité nationale.

Ainsi sont formulées une série de propositions souvent mesurées à l’aune des aides apportées au cinéma, dont l’économie semble être proche de celle du livre, qui touchent à la formation, à la diffusion, au soutien économique et culturel. Parmi celles-ci, la multiplication par dix du budget du Centre national du livre (CNL), la création d’un fonds interministériel pour le soutien à la librairie, la création d’un fonds d’aide à l’animation, le développement de formations croisées librairies/bibliothèques, la création d’un label « art et essai » pour les librairies et les bibliothèques, l’extension aux librairies de la loi dite « loi Sueur », initialement destinée au cinéma, etc.

La poésie, l’édition de création, la librairie indépendante, c’est comme le macaron de Massiac: on ne peut pas être contre. Baptiste-Marrey est un écrivain – certes bénévole – talentueux. Ses combats sont justes et souvent percutants.

Néanmoins, nous ne pouvons nous empêcher de penser que cet ouvrage pêche par excès; la petite édition n’est pas créatrice en soi (nous avons des noms); les grands éditeurs ne sont pas tous cupides: car enfin, nous connaissons tous de très bonnes collections chez Laffont (Pavillons, par exemple) ou Flammarion (Poésie); les Américains ne sont pas tous anesthésiés par Walt Disney, le cinéma n’est pas qu’hollywoodien: qu’on pense à Rick Bass, Don Delillo, Sean Penn ou David Lynch. Il n’est pas nécessaire d’appartenir à une chaîne de librairies pour être un mauvais libraire (nous avons des noms). Et certaines Fnac sont de très bonnes librairies; Fnac, qui, par ailleurs, a choisi Les boutiques des merveilles parmi ses coups de cœur. Nous avons même connu des bibliothécaires qui ne sont pas soumis à « la gestion tatillonne des despotes administratifs territoriaux ».

Bref, l’excès nuit à l’argument, tout comme un style parfois déroutant: il nous a fallu un peu de temps pour comprendre que la Grande Mahousse Pucelle n’était autre que Virgin Mégastore.

C’est un peu dommage: car quelques grandes idées émergent, qu’il conviendrait de mettre en œuvre rapidement. Elles sont d’ailleurs hardiment reprises dans une plaquette intitulée Pour un livre blanc de la petite édition, publiée par Hélikon (chez Patricia Menay, librairie Anima), rédigée avec hauteur et majesté par Marie Berne, Simone Blanc, François Boddaert, Christian Doumet, Pierre Jourde, Jean-Gabriel Cosculuela et Baptiste-Marrey. Cette publication, outre la question de l’édition, traite de l’auteur, des relations poésie-école, et, bien sûr, de la librairie. Ça ne coûte que quatre euros, et, pour quatre euros, à part cette saine littérature, qu’avons-nous aujourd’hui? Même pas de quoi aller de Paris en Seine-Saint-Denis où il se passe, en littérature, de si belles choses.