Problèmes rencontrés par la formation continue des bibliothécaires

Constat d'une directrice d'un petit CFCB

Natalie Cêtre

Le centre de formation aux carrières des bibliothèques de Bourgogne et de Franche-Comté « Bibliest » a un assez petit bassin de « clientèle ». Deux services communs de la documentation (celui de Bourgogne comprenant Dijon et les sites délocalisés à Auxerre et au Creusot et celui de Franche-Comté comprenant Besançon et l’institut universitaire de Belfort-Montbéliard), cinq bibliothèques municipales classées (Dijon, Autun, Chalon-sur-Saône, Besançon et Dole) et huit bibliothèques départementales de prêt représentent les établissements les plus importants. Si l’on compte les autres bibliothèques municipales, la profession représente environ 1 200 agents. Le seul institut universitaire de technologie de ces deux régions préparant au diplôme universitaire de technologie (DUT) Métiers du livre est celui de Dijon.

Pour remplir ses trois missions (information-orientation, préparation aux concours et formation continue), l’équipe de Bibliest se compose au total de trois agents.

Après deux années passées à la direction d’un CFCB et une enquête de besoins auprès de collègues, je constate plusieurs freins à la formation continue des agents des bibliothèques : inadaptation des conditions de recrutement (formation initiale, concours, débouchés, formation post-recrutement, inadéquation de la grille de la filière Bibliothèques…) ; insuffisance de la coopération entre les structures de formation ; baisse des effectifs en bibliothèques et des moyens affectés à la formation continue ; problèmes de déplacement des agents ; manque de formateurs.

Difficultés liées à l’insertion professionnelle

Le système actuel de recrutement (statuts de 1991) a une incidence sur la formation continue des bibliothécaires. Les conditions d’obtention des diplômes et le contenu des épreuves influent sur les programmes des CFCB : préparation aux concours, formation continue dont les nouveaux agents sans formation initiale ont besoin… À étudier les programmes et les épreuves des concours, les débouchés et les besoins des professionnels en poste, en préparant la programmation des formations du CFCB, on finit par s’interroger sur la pertinence de la grille de la filière Bibliothèque, formation initiale et concours compris !

En accord avec l’Association des bibliothécaires de France, j’estime nécessaire, après quinze années de recul, de revoir l’adaptation de cette grille à la réalité du métier.

Sur les 6 grades actuels, un au moins est inutile dans l’organisation des bibliothèques : celui d’assistant des bibliothèques (niveau bac, sans formation professionnelle, fonction publique territoriale – FPT et fonction publique d’État – FPE), dont les fonctions se calquent en réalité sur celles des B+ (bibliothécaire adjoint spécialisé – BAS ou assistant qualifié de conservation du patrimoine et des bibliothèques – AQC).

Dans la toute récente réforme des deux grades de catégories C (magasinier et magasinier principal à l’État et adjoint territorial du patrimoine 2e et 1re classes à la FPT), n’apparaissent ni clarification ni simplification de la grille, mais un changement de terminologie et de conditions d’avancement.  Alors que c’est la pertinence de toute la grille qui doit être étudiée.

Cependant, c’est surtout l’accès à ces grades qui pose problème : les concours ne sont pas adaptés (conditions de diplômes, épreuves externes et internes, formations post-recrutement) aux emplois réels et aux compétences nécessaires en bibliothèque. Le travail de réflexion initié par l’ABF est donc très utile et j’espère qu’il sera pris en compte par les pouvoirs publics.

Entrer dans un métier sans diplôme de formation professionnelle, pour les concours C+ et B, devrait sous-tendre une formation post-recrutement technique, ce qui n’est pas toujours le cas. S’il existe ces formations pour les assistants de la FPE (Médiadix) et pour les agents territoriaux des catégories B (CNFPT), elles sont courtes pour les premières et plutôt orientées « administration territoriale » pour les secondes. Pour les catégories C, rien n’est prévu. Les personnels ont ainsi vraiment besoin de formation continue dès leur prise de poste, donc des CFCB et du CNFPT.

Pour les concours C+ (magasinier principal et adjoint territorial du patrimoine 1re classe) et B (assistant), ce sont surtout les épreuves qui me semblent aberrantes : comment réussir des épreuves aussi techniques sans formation initiale ni expérience professionnelle pour les candidats externes ? L’obligation d’ouvrir un concours tant en externe qu’en interne n’exige pas d’en calquer les épreuves, déjà difficiles pour les candidats internes ! Mais quelles épreuves seraient réellement adaptées au recrutement de non-professionnels de niveau brevet ou bac ? Il est difficile pour les personnels des CFCB, dans le cadre de leur mission d’information et de préparation aux concours, de conseiller ces concours externes aux candidats sans diplôme professionnel (tels celui de l’ABF ou le DUT).

Si le second grade de la catégorie B (B+ : BAS et AQC) exige un diplôme professionnel (DUT ou un diplôme admis en équivalence) pour se présenter au concours, les épreuves laissent perplexe : pour les BAS, il s’agit d’épreuves similaires à celles du DUT (catalogage, bibliographie, composition de bibliothéconomie) : autant sélectionner les candidats sur les notes qu’ils ont obtenues aux examens du DUT ! Pour les AQC, les épreuves sont plus générales mais tournent aussi autour de la bibliothéconomie déjà sanctionnée par le DUT (composition et questionnaire), seule l’épreuve interne de rapport sur dossier demande une compétence supplémentaire. De quoi faire regretter les anciens concours sur titres aux candidats…

En ce qui concerne les concours de catégorie A, l’interrogation porte sur la similitude entre les conditions de diplômes et les épreuves des concours de bibliothécaires et de conservateurs, que ce soit pour la FPT ou la FPE. Licence, dissertation, note de synthèse, grand oral, langue… seule la seconde langue pour le concours externe de conservateur distingue ces deux concours. La différence ne s’affirme vraiment que dans la durée de la formation post-recrutement à l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib) et les conditions de recrutement des territoriaux (en poste avant ou après l’Enssib, selon le grade) 1. La différence de statut entre bibliothécaires et conservateurs nécessiterait une véritable distinction dans le recrutement.

Nous devons tenir compte de tous ces paramètres, ainsi que du nombre de postes ouverts, lorsque nous conseillons et orientons les personnes intéressées par les carrières des bibliothèques.

Coopération avec les services de formation continue

Centre national de la fonction publique territoriale

Les missions des CFCB pour la fonction publique d’État (et éventuellement pour la fonction publique territoriale) et celles du CNFPT pour la fonction publique d’État sont similaires : formation continue, préparations aux concours, formation initiale post-concours 2.

Une coopération entre les CFCB et les délégations régionales des CNFPT semble logique (mutualisation de moyens, publics communs, redondance des formations, etc.) pour certaines thématiques, notamment dans les régions à faible densité professionnelle, comme la nôtre.

Depuis la réforme du code des marchés, les délégations régionales du CNFPT estiment non seulement ne plus pouvoir collaborer avec d’autres services tels les CFCB, mais, et c’est ce qui me gêne réellement, les considèrent comme des prestataires de services devant répondre à leurs appels d’offres. Or nous ne sommes pas des cabinets de formateurs.

La coproduction (avec convention) de stages peut être une solution de collaboration entre les CFCB et le CNFPT, lorsqu’il faut couvrir un besoin commun des bibliothécaires de la FPE et de la FPT, dont les effectifs ne suffiraient pas à remplir deux stages identiques.

Le réseau des CFCB

Le réseau des CFCB fonctionne plutôt bien (échanges d’information, préparation à distance des concours gérée par Médiadix…). Mais les coopérations ne sont pas faciles à envisager en termes de coproduction de stages, pour des raisons géographiques. Certains besoins exprimés par des agents ne concernent qu’une ou deux personnes par région et un stage national, confié à un des CFCB, serait une bonne réponse. Malheureusement, cette option ne peut être retenue en raison des problèmes de déplacements des agents.

Les structures de formation initiale

Il y a peu de coopération entre ces structures (instituts universitaires de technologies, instituts universitaires professionnalisés…) et les CFCB. Des sessions d’information sur les concours et les débouchés pour les étudiants, organisées par les CFCB, seraient intéressantes, ainsi qu’une coopération dans la recherche d’enseignants.

Les étudiants et les demandeurs d’emploi ont peu de possibilités de préparer les concours des bibliothèques en dehors de l’Institut de préparation à l’administration générale (Ipag) et du Centre national d’enseignement à distance (Cned). Les préparations du CNFPT ne sont ouvertes qu’aux agents de la FPT ; celles des CFCB aux agents de la FPE à quelques exceptions près (Bibliest accepte des agents de la FPT et des candidats individuels à titre payant, car les seuls fonctionnaires ne sont pas en assez grand nombre pour remplir les sessions).

Déficit de stagiaires

La situation des bibliothèques n’est actuellement pas favorable et cela se ressent particulièrement chez les petits centres de formation – je mets à part des centres tels Médiadix (Île-de-France et Dom-Tom) et Médiat (Rhône-Alpes) par exemple, dont les bassins professionnels sont plus importants.

Nous programmons nos formations en fonction des besoins exprimés par les professionnels (enquête directe auprès des agents, réunions départementales, groupe de travail sur la formation…), mais il nous arrive néanmoins d’annuler des stages faute d’inscrits.

Les raisons invoquées par les responsables des bibliothèques ne sont pas liées au manque d’intérêt du catalogue de Bibliest (il correspond effectivement à la demande), mais à des difficultés de gestion des équipes.

Baisse d’effectifs

La baisse des effectifs, notamment en personnel qualifié, a pour effet de rendre difficile la gestion des plannings et diminue les autorisations d’absence pour formation. Paradoxalement, l’augmentation de la proportion de personnel non qualifié dans les équipes nécessiterait un recours à la formation continue plus important.

Les déplacements jouent aussi un rôle dans la disponibilité des agents en service public.

Difficultés de déplacements

La majorité des agents nous font part de difficultés de déplacements, pour des raisons tant professionnelles (budget, absence plus longue, refus d’autorisation de récupération des temps de déplacements…) que personnelles (familiale…). Ainsi, les stages interrégionaux sont difficiles à remplir, même lorsque la distance entre les deux SCD (Dijon et Besançon) n’est que de 90 km.

Baisse des budgets de formation

La baisse des budgets est assez générale en bibliothèque et la formation est particulièrement touchée.

Si les formations des CFCB sont gratuites pour les SCD, il reste néanmoins à rembourser les frais de déplacements aux agents. Pour les agents territoriaux, la règle est le recours aux stages du CNFPT (les collectivités financent obligatoirement cette structure) qui sont gratuits (stages et déplacements). Les agents ont donc du mal à obtenir un stage dans une autre structure (formations payantes), même si aucune délégation du CNFPT n’en propose d’équivalent. Il y a une forte disparité entre les bibliothèques territoriales : certaines disposent d’un budget annuel de formation hors CNFPT, d’autres non. Ainsi, nous travaillons toujours avec les mêmes collectivités et ne pouvons atteindre une part importante de la profession, en dehors d’une collaboration avec le CNFPT.

Effets sur les préparations aux concours

Actuellement, nous ne pourrions remplir une session (nous sommes même passés de deux sessions – Dijon et Besançon – à une seule) avec les seuls agents des bibliothèques. Nous n’avons pas d’inscrits de la FPT (en raison du coût). Par contre, nous avons beaucoup de demandes de la part d’étudiants (IUT, universités), de demandeurs d’emploi et d’autres professionnels en recherche de reconversion (enseignants, documentalistes…).

Les demandes des agents des SCD sont en baisse : ils semblent découragés par le faible nombre de postes mis aux concours et par la difficulté des concours même en interne (épreuves, nombres d’inscrits…). La majorité de nos inscrits de la FPE sont des contractuels. Les concours ne semblent plus être une possibilité d’avancement interne prisée par les titulaires.

Effets sur la formation continue

Les inscriptions aux stages se répartissent entre les agents de la FPE et de la FPT selon les thématiques et le coût des stages. Sans cette mixité, la plupart de nos formations ne pourraient avoir lieu et nous ne remplirions pas alors notre mission envers les SCD.

Les stages obtenus par les territoriaux sont généralement les formations gratuites (financement de la direction régionale des affaires culturelles – Drac, coproduction avec le CNFPT, journées professionnelles et séminaires, toujours gratuits) ou sur des thématiques non abordées dans l’année par le CNFPT (il s’agit souvent de stages de spécialisation : musique, audiovisuel, jeunesse, littérature, environnement juridique, technologies de l’information et de la communication, actualités de la profession…), notamment dans le cadre des stages « métiers » qui doivent se cumuler avec les stages sur la FPT de la formation initiale post-concours organisée par le CNFPT.

À la différence des autres centres, nous notons, en Bourgogne-Franche-Comté, une désaffection pour les stages de techniques professionnelles (catalogage, indexation…), tant pour les territoriaux que pour les agents de l’État.

Les actions le plus souvent refusées par les employeurs, autant de la FPE que de la FPT, sont les visites d’établissements. Elles sont souvent considérées comme du « tourisme » alors qu’il s’agit de véritables formations (nous prévoyons toujours une intervention thématique spécifique à l’établissement) et de rencontres enrichissantes : les bonnes idées sont faites pour être reprises !

Difficultés de recrutement des formateurs

Une des difficultés majeures qui m’avait été annoncée lors de ma prise de poste, était la faiblesse du vivier des intervenants.

De moins en moins de professionnels disposent de temps pour assurer des formations et le recours à des cabinets de formateurs est indispensable. L’appel à candidature lancé par Bibliest depuis l’automne 2005 a pourtant été assez efficace 3, mais nous avons eu autant de réponses de formateurs libéraux que de collègues (de toutes catégories de la filière).

Bibliest a proposé au réseau des CFCB la création d’un outil commun (base d’intervenants), cette idée est actuellement à l’étude et je suis persuadée que cette mutualisation de nos ressources serait efficace.

Difficultés pour maintenir l’activité d’un petit centre

Dans ce contexte, il est difficile de maintenir une activité satisfaisante pour un petit centre de formation. Il faut beaucoup d’énergie pour arriver à offrir un catalogue attractif et rechercher des partenariats efficaces (Drac, CNFPT, associations et agences de coopération…). La communication est essentielle et la mission d’information et de centre de ressources d’un CFCB prend de l’importance.

  1. (retour)↑  Les bibliothécaires territoriaux doivent avoir été recrutés sur la liste d’aptitude par une collectivité pour suivre les formations Enssib et Écoles nationales d’application des cadres territoriaux, leurs frais de formation (transports et logement à Villeurbanne) leur sont remboursés par leur employeur. Les lauréats du concours territorial de conservateur sont détachés auprès du CNFPT pour suivre les formations Enssib et Institut national des études territoriales, puis figurent sur une liste d’aptitude et sont, ensuite, stagiaires dans leur collectivité (6 mois, rémunérés au même échelon quà l’Enssib). Leurs frais de formation ne sont donc pris en charge ni par le CNFPT ni par un employeur. Les bibliothécaires d’État sont en poste avant de suivre la formation Enssib et leurs frais sont pris en charge par leur administration, les conservateurs d’État sont élèves de l’Enssib sans frais de formation et sont titularisés et nommés en poste dès la fin de la formation. On remarque ici la différence de traitement entre les conservateurs d’État et territoriaux : ces derniers sont stagiaires 24 mois au lieu de 18 pour les premiers.
  2. (retour)↑  Pour la FPE, cette formation est maintenant uniquement dévolue à Médiadix, en raison du faible nombre d’agents concernés.
  3. (retour)↑  Les collègues intéressés peuvent télécharger et nous renvoyer le formulaire, disponible sur le site de Bibliest, rubrique Accueil.
    www.u-bourgogne.fr/index.phd?rid=480