Médiaquitaine

Formation continue : entre offre et demande

Laurence Tarin

Une des questions fondamentales qui se pose à un centre de formation aux carrières des bibliothèques (CFCB) tel que Médiaquitaine concerne l’adéquation de son offre aux besoins en formation continue des personnels des bibliothèques. S’il est maintenant acquis que la logique des catalogues est obsolète, il n’en reste pas moins que les relations entre offre et demande demeurent complexes.

La mission d’un CFCB est clairement de répondre à la demande des établissements en accompagnant leurs projets par de la formation. Cela implique que ces demandes aient été formalisées, ce qui est aujourd’hui souvent le cas avec la généralisation de plans de formation dans les bibliothèques et le recours de plus en plus fréquent à des cahiers des charges, en particulier pour les formations dites « intra 1 ».

Plans de formation et ingénierie de la formation

La Sous-direction des bibliothèques et de l’information scientifique (SDBIS) au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a mis en place un dispositif qui est maintenant bien rodé 2. Il fonctionne avec des correspondants formation dans chaque service commun de la documentation (SCD), chargés de recueillir les souhaits des personnels, d’identifier, en lien avec la direction du SCD, les besoins de l’établissement et d’établir des priorités dans un plan de formation dont ils assurent ensuite le suivi. L’analyse de ces plans est donc devenue un exercice incontournable pour les CFCB. Cependant, il arrive que la réalisation d’un plan soit compliquée (manque de temps, d’effectifs, de compétences dans ce domaine particulier…). C’est ce qui a amené le CFCB de Bordeaux à développer un service de conseils en matière d’ingénierie de la formation. Cela nous a conduits, au début de la mise en place du dispositif, à accompagner les SCD dans l’élaboration de leurs plans de formation.

Nous avons en particulier réalisé pour eux des enquêtes de besoins en 1999. Plus récemment, plusieurs correspondants formation de notre région ayant acquis de l’expérience, nous avons pris en charge l’animation d’un groupe de travail composé des correspondants formation des universités d’Aquitaine. Un espace de réflexion et de mutualisation d’outils qui leur sont utiles a ainsi vu le jour.

Au fil du temps, Médiaquitaine a acquis une certaine expertise dans ce domaine. C’est ce qui a permis de répondre positivement à une sollicitation de l’Institut français de coopération de Tunis qui souhaitait qu’un plan de formation soit réalisé pour l’ensemble du réseau de lecture publique tunisien. Dans une situation un peu extrême où il s’agissait aussi de transférer des savoir-faire dans une autre culture, nous avons pu nous rendre compte à quel point un plan de formation est lié à un projet de développement.

Or, la notion de projet de service s’est diffusée de façon inégale et pas seulement en Tunisie… Cela limite bien évidemment la pertinence de certains plans, d’autant plus que la formalisation dans un plan n’est pas forcément synonyme d’innovation. Une véritable étude prospective sur les besoins en formation est difficile à réaliser surtout dans le cas de plans annuels qui, inévitablement, font la part belle aux besoins les plus immédiats. Le recueil des souhaits des agents n’est pas non plus gage d’anticipation. Certaines catégories d’entre eux, celles auxquelles il est laissé le moins de responsabilités et qui sont les moins informées des projets du service, ont des difficultés à se projeter dans l’avenir et ont donc tendance à réclamer des formations classiques.

Par conséquent, si les plans de formation nous apportent de précieuses informations, il n’en demeure pas moins qu’ils ne peuvent être notre seule source d’information.

Cahiers des charges et réponse à la demande

Répondre à la demande c’est aussi, le recours à des procédures de marchés publics se développant, apporter des réponses à des cahiers des charges. Les CFCB ont dû acquérir les compétences nécessaires pour monter ce type de dossier et apprendre à se positionner dans une relation commerciale. L’inconvénient de certains cahiers des charges est que les besoins en formation y sont parfois exprimés sous une forme rigide qui laisse peu de marge de manœuvre au centre de formation. La formalisation plus ou moins forte des marchés peut également être un frein au dialogue nécessaire entre organisme de formation et employeur des personnes à former.

Enfin, satisfaire les desiderata de nos bailleurs de fonds qui jouent au moins un rôle de prescripteurs relève toujours de cette logique de la demande. Les CFCB sont principalement financés par la Sous-direction des bibliothèques et de l’information scientifique qui, bien que nous ayant fixé comme mission principale de répondre aux besoins exprimés par les SCD à travers leurs plans de formation, nous confie parfois directement des tâches comme la formation aux prérequis du Système universitaire de documentation ou la formation post-recrutement des assistants des bibliothèques.

Par ailleurs, dans le cas de l’Aquitaine, la direction régionale des affaires culturelles (Drac), qui subventionne très régulièrement notre centre de formation, nous encourage à organiser des formations qui contribuent à la mise en œuvre de sa politique de développement du livre et de la lecture. Par exemple, lors de la mise en place par le conseil régional et la Drac, en 2003, de la Banque numérique du savoir en Aquitaine, il nous a été demandé de réaliser des formations destinées à accompagner ce projet (formations à XML, à la numérisation etc.). De même, la Drac Aquitaine, qui a beaucoup travaillé sur la question de la librairie indépendante, a incité Médiaquitaine à proposer, en lien avec l’Agence régionale pour le livre et l’écrit, des formations dans le domaine de l’économie du livre.

Ces formations ne correspondent pas toujours à ce qu’auraient souhaité voir organiser en priorité les différentes bibliothèques de la région et ne figurent pas forcément dans leurs plans de formation. Il est cependant justifié d’honorer ces commandes un peu particulières car la formation est aussi un moyen d’infléchir les pratiques professionnelles et de contribuer à la concrétisation de projets que l’État ou les régions incitent les bibliothèques publiques à développer.

Évaluer la pertinence de la demande

Le système « marchand » qui consiste à fournir une réponse à une demande peut toutefois avoir des effets pervers. Satisfaire les besoins n’est pas tout à fait la même chose que répondre à la demande. Sans aller jusqu’à prétendre définir les besoins de notre public, il semble toutefois légitime pour un centre de formation de revendiquer la possibilité de juger de la pertinence d’une demande.

Certaines demandes de formation sont en réalité des demandes de résolution de problème dont la solution ne relève pas forcément de la formation 3. Ce qui nous amène à adopter une attitude prudente et surtout critique par rapport aux besoins exprimés par des employeurs qui ont parfois tendance à se focaliser, c’est compréhensible, sur les questions dont ils sont saisis le plus fréquemment. On sait par exemple que si l’on interroge l’élu d’une collectivité locale sur les compétences que doit posséder un conservateur, il répondra qu’il doit avant tout être un manager 4. Est-ce que cela signifie qu’il faudrait axer principalement la formation des directeurs de bibliothèques sur le management ? Cela ne révèle-t-il pas plutôt que les autres tâches, techniques et scientifiques, sont vraisemblablement effectuées sans poser de problème particulier ?

Il est également légitime pour un centre de formation de prétendre exprimer sous forme de programme pédagogique une demande de formation, ce qui implique de l’interpréter. Or, l’un des inconvénients des cahiers des charges, on l’a vu, est qu’ils orientent parfois excessivement des programmes qui auraient tout intérêt à être adaptés avec souplesse. Cette difficulté est d’autant plus importante lorsque le cahier des charges n’a pas pu être élaboré en lien étroit avec la ou les bibliothèques auxquelles la formation est destinée.

Accompagner la formulation des besoins

Finalement, le cas de figure le plus intéressant est celui qui permet d’engager une véritable discussion avec l’établissement qui a formulé la demande afin de l’accompagner dans la formulation de ses besoins et de débattre avec lui de l’offre pédagogique qui peut être proposée pour les satisfaire. C’est dans une certaine mesure ce qui se passe avec les bibliothèques universitaires. La proximité institutionnelle entre ces dernières et le CFCB de leur région rend en effet possible une réunion annuelle de concertation autour de leurs plans de formation qui permet au CFCB d’élaborer son offre. Cela peut aussi être possible à l’occasion de l’organisation d’un stage « intra ». La formation étant mise en place pour un établissement particulier, une analyse fine des pratiques professionnelles des personnels dans le domaine concerné par la formation peut être réalisée. Cela facilite l’élaboration d’une stratégie pédagogique adaptée qui est généralement déterminée après avoir été discutée avec la bibliothèque qui souhaite former ses agents.

Par ailleurs, répondre aux demandes diverses et variées des bibliothèques d’une région, offrir des réponses à des problèmes très précis aboutit pour le centre de formation à une offre éparpillée, ce qui rend difficile la structuration des connaissances et la création de formations permettant de véritables spécialisations. D’où l’idée, pour remédier à cet inconvénient, de créer, même à partir de demandes ponctuelles, des cycles de formation permettant de travailler en profondeur une question.

Cursus structurés

C’est ainsi que Médiaquitaine a été amené à élaborer pour les SCD d’Aquitaine, en collaboration avec l’unité régionale de formation et de promotion de l’information scientifique et technique (Urfist) de Bordeaux, un cursus sur les bibliothèques numériques. Cette initiative a été prise en 2004 car les plans de formation des SCD exprimaient de façon répétée des besoins de stages sur les TIC (technologies de l’information et de la communication) qui révélaient une forte préoccupation pour la documentation électronique.

Nous avons donc choisi de structurer ces demandes éparses en un cycle qui est aujourd’hui en cours de réforme, les évolutions étant extrêmement rapides dans ce secteur. Il représente actuellement 8 jours de formation soit 48 heures réparties en 4 modules et aborde toutes les questions qui se posent aux bibliothèques universitaires sur ce sujet : devenir de la politique documentaire, structuration et accès à l’information, place de la documentation dans un système d’information, formation et nouveaux services à offrir aux usagers.

Dans un tout autre domaine, celui de la littérature de jeunesse, qui faisait aussi l’objet de demandes de formations récurrentes, c’est sous la forme d’un diplôme universitaire que nous avons choisi d’organiser notre offre. La préparation à ce diplôme totalise 175 heures d’enseignement réparties en 8 modules qui s’étalent sur 3 semestres universitaires. Cela permet d’aborder aussi bien l’histoire de la littérature de jeunesse, l’analyse des différents genres littéraires et celle des besoins des publics que l’action culturelle et les partenariats développés par les bibliothèques pour la jeunesse.

Organiser la veille, évaluer les formations

Que conclure de tout cela ? Qu’il convient bien sûr d’être attentif à toutes les demandes de nos publics quelles que soient leurs formes d’expression, mais aussi que l’on ne peut pas se dispenser d’effectuer une veille sur les évolutions du métier de bibliothécaire pour tenter d’appréhender les nouveaux défis que devra relever la profession. Quitte à arriver trop tôt, comme pour la journée d’étude que nous avions organisée en 2001 sur le livre électronique.

Un autre moyen essentiel pour cerner les besoins est tout simplement d’évaluer les formations réalisées. Là encore une large part doit être faite à l’interprétation. On remarque par exemple que, quel que soit le lieu, le type de formation (initiale ou continue), le sujet abordé et même les méthodes pédagogiques employées, les bibliothécaires souhaitent toujours plus de pratique et invariablement moins de théorie. Qu’est-ce que cela signifie ? Certainement pas qu’il ne faut organiser que des formations pratiques et distribuer des polycopiés de recettes, mais cela mérite que l’on s’interroge sur l’aide à fournir à nos stagiaires pour qu’ils soient à même de transférer des apports de connaissances, totalement nécessaires, dans un environnement professionnel concret.

Nos méthodes d’évaluation sont sans doute aussi à revoir, le traditionnel questionnaire de satisfaction ayant de sérieuses limites. Cependant, les réponses apportées aux questions qui sont posées à chaud sur les formations complémentaires qu’il serait utile de réaliser sont souvent intéressantes. En effet, à l’issue d’un stage, quand les stagiaires se demandent (on les y incite d’ailleurs) comment ils vont mettre en application ce qu’ils viennent d’apprendre, ils se trouvent dans une situation favorable pour exprimer et analyser leurs propres besoins. Nous aurions également intérêt à exploiter de façon plus systématique les remarques de nos intervenants qui sont eux-mêmes bien souvent des professionnels des bibliothèques et qui sont conduits lors de leurs enseignements à évaluer les connaissances des stagiaires et donc leurs besoins en formation.

On s’aperçoit que l’on est bien toujours amené à bâtir une offre mais que celle-ci se construit en s’appuyant sur des demandes de plus en plus structurées et sur une analyse des besoins qui doit se baser sur des sources d’information diversifiées.