Images et histoire

outils et méthodes d’analyse des documents iconographiques

par Yves Desrichard

Annie Duprat

Paris : Belin, 2007. – 223 p. : ill. ; 24 cm. – (Belin sup. histoire).
ISBN 978-2-7011-3978-4 : 19 €

À première vue, l’érudit et délicat ouvrage d’Annie Duprat n’a que peu à voir avec les préoccupations documentaires. L’auteur souhaite examiner la place que prend l’image dans l’étude de l’histoire, en particulier à l’école. Il s’agit tout à la fois d’analyse iconographique et de l’étude des « liens qui […] unissent » l’histoire et les images. Le thème est vaste, et risqué : « document sensible, l’image qui entre dans le système des représentations de chacun, suscite des imaginaires tout autant qu’elle en est le fruit ».

L’ouvrage se décompose en deux parties, « savoirs » et « savoir-faire ». Chacun des cinq chapitres mêle une fine réflexion sur les problématiques retenues, de nombreuses et pertinentes citations, et un grand nombre d’exemples – dont on regrettera cependant, sauf dans la dernière partie, qu’ils ne comportent pas d’illustrations !

Imago

Dans le premier chapitre, l’auteur propose un certain nombre de définitions du terme « image », en rappelant que « imago » désigne, chez les Romains, une sorte de masque mortuaire – et que, par conséquent, « dès son origine, l’image est sacrée ; objet de culte, elle est directement associée à la mort ». Puis, de la préhistoire à l’ère moderne, en passant par les iconoclasmes (l’interdiction des représentations) par les trois principales religions monothéistes, elle dresse en quelques pages une histoire de l’image d’une discrète et brillante concision.

Les chapitres 2 et 3 s’intéressent aux méthodes d’analyse de l’image, en s’appuyant sur deux principes exemplaires : « les documents dont nous disposons sont le produit d’une société et d’une histoire » et « aucune démarche systématique et univoque ne peut servir de méthode d’analyse de l’image ». L’observation de l’image et des textes qui l’entourent (paratexte), la confrontation, qui suppose une bonne connaissance de l’époque de production de l’image analysée, sont des éléments de méthode aussi convaincants que l’étude des commanditaires, de la liberté plus ou moins affirmée de l’artiste et, aussi, des publics auxquels les images sont destinées, toutes approches bien évidemment complémentaires et indispensables, puisque « l’utilisation de l’image […] doit […] s’accompagner d’un grand luxe de précautions ».

Les techniques de « mises en image » sont, elles aussi, abordées, sous des angles parfois surprenants : ainsi le « stéréotype graphique » de « la peur », largement présent (et tristement actuel ?) dans la « propagande » catholique, ou, plus décisif, la « sémantique de l’image savante », qui suppose, pour être véritablement comprise, de posséder une culture allégorique, symbolique, historique ou mythologique qui semble aujourd’hui largement hors de portée du commun des mortels. Vaste et rapide panorama qui se clôt sur « le mystère le plus troublant de l’absence/présence [d’images] », celles des camps d’extermination nazis.

Analyser et décrypter

Comme le note justement l’auteur, « la source iconographique s’avère d’une approche complexe en raison de la nécessité d’analyser et de décrypter les images tout en procédant à une contextualisation et à une historicisation des données ». Dans la deuxième partie (chapitre 4), cette méthodologie est détaillée : nécessité d’établir un corpus de documents à étudier, classement et catalogage, comptages (pour repérer les « signes » qui reviennent, ou ceux qui sont rares), « innovation et […] invariants graphiques ». Au passage, Annie Duprat fait poliment un sort à l’analyse sémiologique, triomphante dans les années soixante-dix, aujourd’hui largement contemptée.

Enfin, l’utilisation de l’image comme propagande est inventoriée à travers quelques exemples fameux (Staline) et d’autres plus surprenants, comme « le Roi-Soleil » ou… le soldat-laboureur Nicolas Chauvin, à l’origine du « chauvinisme »… et imaginaire ! L’ouvrage se clôt sur une série de dossiers thématiques (la caricature, la mort, la guerre, le pouvoir…), enfin largement illustrés, et qui permettent de compléter par quelques cas pratiques les chapitres théoriques qui précèdent.

L’un des intérêts d’Images et histoire est de s’appuyer très largement, pour ses démonstrations, sur les sources iconographiques antérieures au XIXe siècle (qui vit une inflation des procédés de reproduction) et au XXe siècle (celui de la « reproductibilité technique » de Walter Benjamin) tout en proposant un ensemble clair et vaste de réflexions largement applicable à l’iconographie contemporaine. On comprend que l’utilisation des images dans la recherche historique, voire dans la pratique pédagogique, reste largement aussi suspecte, voire décriée, qu’elle peut parfois l’être dans le monde des bibliothèques.

L’abondance des sources utilisées, le vocabulaire (les mots les plus complexes sont expliqués en note), les personnes citées (une brève note biographique est prévue pour les principales) font de l’ouvrage une somme qui exige une lecture attentive et soutenue. Mais, en moins de 200 pages (et même 120 si l’on met à part les dossiers thématiques), Annie Duprat a rassemblé un appareil méthodologique et critique documenté, qui comblera l’iconophile (?), amoureux sincère mais toujours circonspect de l’image.