Éditorial

Yves Alix

En bibliothécais, comme on le sait depuis notre dernier numéro, on dit plutôt fonds spéciaux. Nous avons pourtant pris le parti d’insister sur la singularité de collections que leur rareté, leur sujet ou leur matérialité distingue des autres. Mais toute collection n’est-elle pas singulière, toute bibliothèque n’a-t-elle pas des fonds remarquables, issus de dons, de legs ou, bien souvent, de la quête patiente d’un bibliothécaire curieux ? Certes, et le recensement détaillé fait par le Répertoire national des bibliothèques et centres de documentation, le RNBCD, montre assez l’abondance et la diversité des fonds documentaires, patrimoniaux ou non, frappant par leur caractère. Faute de pouvoir tous les présenter, ce dossier met l’accent, à travers une dizaine d’exemples, sur des collections marquées d’abord par leur proximité, thématique ou institutionnelle, avec les musées et les archives. L’ouverture du musée du quai Branly, dont les ressources documentaires sont étroitement intégrées aux collections muséales, montre la voix d’un rapprochement plus que jamais souhaitable entre des institutions et des professionnels confrontés, dans le maelström de l’information mondialisée, à des défis communs, insurmontables dans l’isolement.

Au fil de ce panorama, on retrouve ainsi l’image, tantôt fixe (l’affiche à Chaumont ou à Forney, le dessin au musée Atger), tantôt animée (le cinéma à Los Angeles), la danse, trop rare en bibliothèque, les cartes et plans, les fonds d’architecture, les ephemera. Autant de ressources difficiles à identifier, à conserver ou à valoriser : si la singularité n’est guère synonyme ici de facilité, la valeur de ces fonds souvent cachés ou prisonniers de leur gangue nourrit tout au moins l’enthousiasme de ceux qui en ont la garde, de moins en moins « dragons veillant sur nos trésors » (comme Jean Cocteau disait jadis d’Henri Langlois), mais de plus en plus montreurs et passeurs pour le bénéfice du plus large public. Nous avons choisi d’exalter des collections singulières, nous aurions pu évoquer aussi les cabinets de curiosité dont tant de bibliothèques sont héritières. Car parmi les vilains défauts des bibliothécaires, la curiosité est sans doute le plus précieux !

Dans notre sphère professionnelle emportée dans le mouvement brownien général, il faut sans cesse revenir sur ce qu’on a écrit. Ainsi notre dossier de 2006 sur le droit s’enrichit-il d’une étude approfondie sur les licences Creative Commons et leur place dans le nouveau paysage juridique. À lire dans le silence d’une bibliothèque… si une telle singularité s’y rencontre encore.