Journal of Librarianship and Information Science
du vol. 37, no 1, mars 2005 au vol. 38, no 3, septembre 2006
ISSN 0961-0006
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Le Journal of Librarianship and Information Science (JOLIS) consacre l’essentiel de ses articles à la publication de résultats d’enquêtes, de sondages, etc. consacrés à diverses problématiques bibliothéconomiques, dans les bibliothèques de tous types, sur (pratiquement) tous les continents, et dans les contextes les plus différents. D’où l’impression, à le parcourir sur plus d’un an, d’une sorte d’inventaire à la Perec (peu de poésie là-dedans, si ce n’est à quelques degrés de discours près). D’où, aussi, la tentation fréquente d’extrapoler les résultats d’enquêtes ponctuelles, menées dans des environnements bien particuliers, à des situations connues – tentations dont on invite le lecteur à se garder à la lecture des articles ici mis en exergue.
La présentation plutôt frugale des différents articles obéit à une structure presque immuable, s’agissant de résultats d’enquêtes : présentation de la problématique de l’enquête, des enquêtes antérieures sur le même sujet, des objectifs de l’enquête ; présentation de la méthodologie : quand, où, qui et combien de personnes questionnées, modalités de collecte des informations, etc. ; puis, le plus souvent sous forme de tableaux, résultats de l’enquête, discussion de ces résultats, « conclusions » et recommandations. À vrai dire, ce sont souvent les commentaires qui précèdent ou qui suivent l’enquête qui font l’intérêt de certains articles, là où les enquêtes statistiques elles-mêmes, sans être critiquables, ne sont pas toujours « exploitables » pour un lecteur placé dans un contexte culturel et professionnel trop différent.
Stronger neural connectors
« Clientele recognition of library terms and concepts used by librarians » (JOLIS 37, 4, p. 195-204) est certainement l’un de ceux-là. Certes, il s’agit d’une « case study » dans les bibliothèques universitaires des Philippines, mais elle a le mérite de se soucier d’un problème souvent peu abordé, la compréhension par les utilisateurs du langage des professionnels des bibliothèques. À l’heure où la formation des usagers (et notamment des étudiants) est un enjeu majeur, savoir si « nous » sommes compris devrait être une préoccupation essentielle ! Les résultats de l’enquête sont, à vrai dire, plutôt encourageants : 84 % des usagers savent ce qu’est un OPAC, 80 % ce qu’est une bibliographie, etc. Cela dit, l’étude trouve son intérêt définitif en avançant scientifiquement la preuve de la supériorité féminine dans une profession où de telles idées ne peuvent qu’être avantageusement avancées : « Females […] have stronger neural connectors in their temporal lobes than males. These connectors lead to more sensually detailed memory storage, better listening skills, and better discrimination of voice tones *. »
Une étude (un peu) comparable sur l’utilisation par les étudiants des catalogues collectifs (« Users and union catalogues », JOLIS 38, 1, p. 7-20) propose des résultats beaucoup plus contrastés. Elle porte pourtant sur l’usage de catalogues aussi considérables que CURL (38 millions de notices) et COPAC (30 millions de notices), qui regroupent les fonds de plusieurs dizaines de bibliothèques « académiques » parmi les plus importantes du Royaume-Uni et d’Irlande. Ces outils semblent peu utilisés au regard de leur importance et de leur intérêt – beaucoup d’utilisateurs ignorant même de quoi il s’agit exactement.
Là encore, l’intérêt est dans les suggestions qui accompagnent l’enquête, dont pourraient s’inspirer par exemple les responsables du Sudoc : ainsi, pourquoi n’y a-t-il pas de correcteur orthographique (comme dans Google…) dans les interfaces d’interrogation des catalogues ? Le vocabulaire de l’interface devrait aussi être revu, pour éviter les termes trop abscons pour l’utilisateur, etc. Dans leur conclusion, les auteurs notent qu’une interrogation de LISA (Library Information Science Abstracts) permet de constater qu’aucun article n’a été consacré à la façon dont les utilisateurs cherchent dans les catalogues collectifs : à méditer au regard des sommes investies dans de tels projets…
650 00 $aChocolate$xMars bars
Cela dit, l’article qui intéressera sans doute le plus les professionnels français des bibliothèques est celui consacré au catalogage. Son titre indique assez son souci volontairement provocateur : « Why appoint professionals ? A student cataloguing project » (JOLIS, 38, 3, p. 173-185). Le catalogage est-il une activité professionnelle ? C’est la question posée en exergue de l’article, qui examine la qualité du travail réalisé par des étudiants grossièrement formés sur la rétroconversion de fonds spécialisés de la bibliothèque du King’s College de Cambridge. Là où les prémices sont volontairement « scandaleux », les conclusions sont, elles, beaucoup plus nuancées. Certes, les étudiants ont commis un grand nombre de fautes, qui rendent parfois impossible la recherche de certaines notices. La gestion des points d’accès, notamment, leur reste largement incompréhensible (même si on peut apprécier le « 650 00 $aChocolate$xMars bars$xCrunchies$xBounty$xSnickers$xTwix$xKitkat$xMilky Way » trouvé dans une notice). Les fautes de frappe sont nombreuses, etc. Mais les auteurs de l’article notent que, pour des non-professionnels qui ne savent pas ce qu’est, exactement, un catalogue automatisé, qui n’ont aucune idée des objectifs d’un tel outil, les étudiants ne se débrouillent pas si mal avec le format UKMARC, pour conclure : « They can perform basic clerical tasks in libraries. » Nul doute que l’article offrira matière à débat…
Plus « consensuel » peut-être, mais tout aussi instructif, « Health information : does quality count for the consumer ? » (JOLIS, 38, 3, p. 141-156) s’intéresse à la façon dont les utilisateurs (non professionnels) d’information en matière de santé perçoivent les sources, désormais multiples, d’accès à l’information sur ce sujet. L’étude est doublement intéressante, d’une part dans la façon dont les utilisateurs perçoivent les « sources d’autorité » en matière d’information médicale, d’autre part (et c’est sans doute le plus intéressant) dans la manière dont ces utilisateurs se perçoivent comme « consommateurs d’information ». Pour aider à déterminer les sources privilégiées, le projet DISCERN, développé en partenariat par la British Library, se propose d’offrir des méthodologies de choix en matière d’information médicale. Les utilisateurs, à rebours des recommandations de DISCERN, restent très sensibles non pas tant à la qualité des informations qu’aux sources de ces informations : en d’autres termes, c’est l’appréciation de la source des informations, plus que les informations elles-mêmes, qui crée (ou non) la confiance. Celle-ci, pour autant, n’est pas séparable de la confiance qu’ont, ou non, les utilisateurs dans leurs propres connaissances – qui conditionne l’esprit critique dont ils peuvent faire preuve dans l’appréciation des sources.
Il ne faudrait pas conclure pour autant, des études plutôt académiques rapportées ci-dessus, que JOLIS ne s’intéresse pas au devenir et aux activités des bibliothèques publiques, auxquelles nombre d’études et d’enquêtes sont consacrées. Ainsi, le bien nommé « Poetry for pleasure » (JOLIS, 37, 1, p. 35-43) s’intéresse aux animations poétiques à destination du jeune public en bibliothèque. Article plutôt stimulant, tout comme « Mother Goose, Spud Murphy and the librarian knights” (JOLIS, 37, 3, p. 119-129) qui examine l’image des bibliothécaires dans la littérature pour la jeunesse. D’où il ressort que, si l’imagerie traditionnelle des bibliothèques (« quiet, dark and dusty places, which demand silence ») et des bibliothécaires (« dowdy middle-aged women ») reste présente, elle évolue grandement, et dans un sens des plus positifs. Pour autant, « Spud Murphy », ci-devant bibliothécaire, est tout à la fois crainte par les enfants, et réputée pour son professionnalisme… Comme quoi l’image de la bibliothèque et de ses « servants » peut être brouillée, à mi-chemin du stéréotype fortement ancré dans l’inconscient collectif et d’avancées plus positives.
Work assimilation
S’il fallait ne retenir (exercice difficile) qu’un article de cette recension, ce serait sans doute « Convergence and professional identity in the academic library » (JOLIS, 38, 2, p. 79-91). Dans cette contribution, les auteurs analysent la « work assimilation » entre les fonctions « traditionnelles » du bibliothécaire et les compétences informatiques, de plus en plus présentes, de plus en plus nécessaires. La mise en place de « bibliothèques hybrides », concept fort à la mode, implique une collaboration tellement étroite entre bibliothécaires et informaticiens que la frontière de compétences et de responsabilités devient de plus en plus ténue, quand elle ne disparaît pas carrément. Entre menaces et opportunités, cette convergence (qui n’est pas propre au monde des bibliothèques) oblige à une redéfinition, non seulement des tâches mais aussi des compétences et, par conséquent, des formations. Comme le dit une des personnes interviewées dans le cadre de cette enquête, « it’s all about power, class and constructing hierarchies ». Et nul doute que nous sommes face à un mouvement de fond, dont l’importance va grandir encore dans les années qui viennent.
On le constate, le Journal of Librarianship and Information Science brasse une grande variété de sujets, dans les contextes géographique et institutionnel les plus divers. On regrette que la présentation de la revue, et souvent des articles, soit des plus spartiates. Néanmoins, à qui veut bien faire cet effort, nombre de contributions (souvent pourvues d’abondantes bibliographies) pourront apporter confortations et perplexités, dans le souci d’une démarche rigoureuse, argumentée et nourrie.